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Briséis

Briséis
Estéban et Clémence sont amants. C'est un fait, une certitude, le seul point immuable de leur existence. Ils ne forment pas un couple, seulement, ils sont un cocktail explosif qui résulte d'une attirance trop longtemps refoulée, refusée. Ils s'aiment, c'est indéniable. Mais comment jouer contre le quotidien de Clémence, l'épouse d'Estéban, et l'univers qui semble vouloir les séparer ? Pire, comment aller à l'encontre de leur fierté, de leur égo, de cet orgueil qui les empêche de se l'avouer ? Ce sont deux amants qui se retrouveront toujours, systématiquement, pour oublier qu'ils ont mal à la vie.
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Défi
Briséis

« ... C'est arrivé à un ami à moi, mais tu n'y croirais pas, je te jure.
- Non, vraiment ?
- Oui oui. Tu sais, il était du genre désabusé, l'amour, tout ça, à dix-sept ans, quand on ne l'a jamais connu ... »

J'ai esquissé un léger sourire. Le hasard, parfois, fait bien les choses.

« C'était il y a huit ou neuf ans, je crois, un truc comme ça. C'était un peu bête, tu vois ... Enfin, parfois, les gens font des trucs un peu con, des trucs un peu dingue ... Enfin bref, c'est comme ça que c'est arrivé, tu sais, par hasard. C'est pas le genre de truc auquel on s'attend, hein, c'est sûr, mais enfin, c'est pour que tu comprennes comment ... Enfin, bon, bref, ça a commencé par des SMS ... »

Je ne voulais pas trop en dire quand même. On ne sait jamais.
Donc, les fameux échanges ...

********************************

< Salut, c'est toujours bon pour demain ? >
J'arque un sourcil. Je n'ai pas de projet pour demain, le samedi, en général, je le passe dans ma chambre. L'inconnu insiste en envoyer un second point d'interrogation. J'hausse une épaule.
J'ai répondu, question de courtoisie. Et de curiosité.

< Qui est-ce ? >
< Ben c'est Camille ?? Comment ça, c'est pas le téléphone de Lucie ?? >
< Du coup, je pense que je vais répondre non. Dommage pour ton rencard :/ >
< J'ai dû me tromper, c'est juste une amie ^^ ... Sinon, ça va ? >
< Ben moi oui, personne ne m'a donné de faux numéro. Et toi ? >
< Tant pis, c'est pas très grave. Tu fais quoi ? >

Je n'ai pas eu le temps de répondre avant d'entendre ma mère crier :

« Antooooooine, à table !! »

< A priori, je vais manger. On parle après ? >

Etonnement, l'interlocuteur a accepté.

< Ok >

Je suis parti manger. Je me suis fait enguirlander, comme d'habitude, mais l'idée de discuter avec cette Camille a rendu mon dîner, disons, plus attrayant. J'ai débarrassé mon assiette et je suis remonté dans ma chambre dare-dare. Je me suis jeté sur mon lit et j'ai repris mon téléphone.

< Re >
< Re. Bien mangé ? >
< Super, sauisses-purée. Et toi ? >
< Pas encore, mais je suis végé, donc ce sera sûrement purée-tout-court >

Une végétarienne. Pourquoi pas ?

< Tu fais quoi dans la vie ? >
< Je suis au lycée, et toi ? T'as quel âge ? >
< 17 ans, je suis au lycée aussi, cool. >

Nous avons discuté longtemps. Je n'ai pas vu le temps passé parce qu'étrangement, nous avions beaucoup de choses à nous dire. Vers deux heures du matin, au moment où les idées un peu saugrenues vous parcourent l'esprit, où elles ne paraissent pas encore mauvaises, mais où on se doute de l'issue possiblement foireuse qu'elles peuvent entraîner, mais où elles paraissent vraiment bonnes quand même, j'ai demandé :

< Tu veux sortir avec moi ? >

Et l'inconnue qui se cachait derrière l'écran de mon portable a envoyé :

< D'accord >

Nous nous sommes donnés rendez-vous le lendemain, dans un café. Je me suis endormi excité par cette perspective. Dans la tête, j'avais les trois visages des trois seules Camille que je connaissais. La première était gentille, châtain, les yeux noisette, avec de très longs cils de biche. Elle avait été dans ma classe en CM1. La seconde était à l'opposé, blonde aux yeux bleus, aux traits un tantinet masculins, un vrai garçon manqué. Sauvage, j'avais eu le béguin pour elle, au collège. La dernière image me venait de cette fille un peu mystérieuse du fond de ma classe de seconde, qui n'avait été au lycée que quelques mois. Les cheveux châtain, mais des yeux verts, souvent plissés - tant que j'avais l'habitude de penser qu'elle faisait la gueule constamment.
Je me suis fabriqué une nouvelle image à partir de ces trois filles, si jolies à leur manière. Ma chimère avait les yeux verts d'eau, les cheveux blonds et ondulés, et un sourire mutin sur le visage. Franchement, elle était canon.

Je me suis réveillé de bonne heure, à la surprise de la totalité de ma cellule familiale. Ma mère, mon père, mon frère, qui prenaient leur petit-déjeûner devant le journal télévisé du matin, m'ont regardé avec un air absolument ahuri. J'ai pris un bol de céréal avec eux. Personne n'a rien dit. Personne n'aurait pu se doter que j'avais rencard, mais visiblement, tout le monde savait qu'un truc se tramait. Je n'ai rien dit.

Pour sortir l'esprit tranquille, j'ai fait mes devoirs, mes corvées, et j'ai préparé le repas. Rien d'inhabituel jusque là, j'adore faire la cuisine. Je me suis éclipsé vers quinze heure en précisant de façon assez laconique « Je sors. ». J'ai pris le bus pour arriver en ville et comme il était encore tôt, je me suis promené autour du lieu de rendez-vous.
J'avais proposé à Camille de se retrouver à Dunny's, un café restaurant américain à la mode des années soixante. Il était près d'une petit place assez sympa, historique, ce qui offrait un joli contraste. Je suis resté un moment à bouquiner près de la fontaine en attendant l'heure fatidique où allait arriver mon rencard.
Deux minutes avant seize heures, je me suis positionné devant la porte, pour qu'elle me reconnaisse. J'ai attendu dix, puis quinze minutes. Des gens étaient entrés sans trop se soucier de moi, d'autres attendaient dehors leurs amis ou fumaient leurs clopes. J'ai été pris d'impatience.

< Je suis là, tu fais quoi ? >
< Ben je suis là aussi >

J'ai fait un petit tour sur moi même en relevant brièvement les yeux. Je tombe nez à nez avec un grand blond. Je me prends la mixité de son prénom en pleine poire.

C'est le bug. Je crois qu'il est aussi surpris que moi. Bien sûr, aucun de nous ne pensais s'adresser à un garçon. Il est blond, il a les yeux verts ... Il est tout ce que j'imaginais, mais au masculin. C'est dément.
Je lui souris. Passée l'expression de surprise sur son visage, il me sourit aussi. D'un accord tacite, nous entrons et choisissons une table où nous asseoir.

« Bonjour, du coup. Je suis ravi de te rencontrer Camille. Je m'appelle Antoine. »

Je lui tends la main, il la serre avec force. Il rit.

« Je suis content de te voir aussi. »

Par message, j'ai voulu gardé l'anonymat, je trouvais ça plus drôle. Effectivement, on se bidonne. Quand le serveur arrive, nous sommes encore un peu gênés. Forcément, nous nous attendions à un rendez-vous galant ...

« Un mikshake vanille s'il vous plait.
- Un deuxième pour moi. »

Après avoir commandé, il éprouve le besoin de me préciser son orientation sexuelle. Plusieurs fois. Oui, petit malin, vue ta tête, j'ai bien compris que tu n'es pas gay. Moi non plus, d'ailleurs, a priori. Cela dit, il est plutôt mignon.
Nous discutons beaucoup, cet après-midi là. Nous rions. Nous nous entendons bien. Je croyais avoir étudié toutes les possibilités, mais visiblement, j'avais tort. Ce pari stupide avec l'univers m'avait donné une bonne leçon, en quelque sorte. Je crois.
A ce moment-là, je n'avais pas prévu de tomber amoureux de Camille. Je n'aurais jamais imaginé cette scène, étrange, sublime, dans le couloir du lycée, où, pour faire sa terminale, il m'avait rejoint. Nous étions seuls. Nous nous disputions parce que j'étais devenu un peu jaloux. Un peu, seulement, et c'est lui qui me l'a concédé. Le partager devenait dur. Nous étions amis, inséparables.
Ce jour-là, il y avait quelque chose. J'étais animé par un sentiment que je ne connaissais pas, que je ne maîtrisais pas. Nous en sommes venus aux mains. Il m'a attrapé par le col, plaqué contre un casier. Le bruit a résonné dans le couloir. Mais nous étions seuls. Je crois que c'est pour ça que j'ai tenté ma chance. J'ai essayé. J'étais en colère, mais j'ai glissé ma main derrière sa nuque et j'ai collé ma bouche sur la sienne.
Il m'a embrassé plus que je ne l'ai fait. C'était irréaliste. Ses lèvres avaient un goût sucré. Celui du milkshale à la vanille. Nous nous sommes embrassés, nous nous sommes bagarrés. Au bout de quelques minutes, je suis parti en courant. J'avais la trouille.

********************************

« Ce n'est pas arrivé à un ami, n'est-ce pas ?
- Non, pas vraiment. Charlie est mon compagnon depuis sept ans, maintenant. Le premier homme que j'ai aimé, peut-être le dernier. Il vient de faire sa demande en mariage.
- Etienne, si j'avais su ...
- Tu aurais fait confiance au hasard plus tôt. »
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Défi
Briséis

T'aimer.
T'aimer ça n'a pas vraiment de mot.
T'aimer c'était tellement de choses à la fois. C'était savoir que tu étais proche avant même de te voir, mon coeur qui accélérait brusquement. C'était chérir chacune des secondes que je passais près de toi. C'était chercher ta présence, toujours, tout le temps, penser à toi quand tu n'étais pas là, à chaque instant. T'aimer c'était aussi avoir peur que tu me rejettes, avoir peur que tu t'en ailles, en avoir mal au ventre. C'était respirer. Je respirais quand tu étais là. Le reste du temps, c'était comme une apnée. C'était grisant.
T'aimer c'était aussi accepter tout ce que tu me faisais subir. Le secret, d'abord. Supporter de ne pas le montrer, devoir cacher mes sentiments, accepter d'être une inconnue à tes yeux lorsque le monde était là. C'était un sacrifice accepté, amorti, largement compensé par la vie que tu me faisais mener. J'aimais nos cachettes. J'aimais nos moments. Je ne vivais que pour eux.
T'aimer c'était si beau. C'était absolu. Il n'y avait pas de sens à cette histoire. Je ne t'aimais pas malgré moi, non. Je suis tombée amoureuse de toi par hasard, et le vertige que ça m'a donné, je ne pourrais pas le décrire. J'ai décidé de t'aimer quand même, de t'aimer malgré tout, parce que je n'avais jamais rien eu au fond de la poitrine semblable à un sentiment pareil. Ca n'avait pas d'égal, pas de justification. Tu ne m'aimais pas en retour. En tout cas, c'est ce que tu disais. Comment se fait-il, alors, que je ne me sois jamais sentie autant aimée que lorsque tu me prenais dans tes bras, à me serrer, comme si jamais tu n'allais me laisser m'échaper ?
T'aimer, mon dieu. T'aimer c'était tout ce que j'avais dans les tripes. Malgré ta femme. Enfin, ta petite amie. Malgré cette fille qui habitait à des milliers de kilomètres et qui revenait, parfois, pour me priver de toi. C'était insensé. Pourquoi m'entêter, alors que tu étais pris ? Parce que j'avais la certitude, au fond, que ton coeur m'appartenait. Cette sensation, tu me l'as offerte. Tu l'as ancrée dans mon âme chaque fois que tu m'embrassais. Non, je ne mens pas. C'est toi qui m'embrassais. Tu te penchais, me prenais par les hanches. J'étais si timide ! Et tu étais si doux. Tes mains sur mon corps de toute jeune fille. Tes lèvres sur les miennes, sur ma peau. Je me sentais fragile. Je me sentais forte. Tu pouvais bien me quitter, finalement. Je t'aimais. C'était plus fort que tout. Tout n'était que contradiction. T'aimer.

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Briséis


L’été a duré sept jours. Tout le reste n’était que du bonus.
« Saute ! »
Je n’ai pas eu le temps de comprendre. Il m’a poussé du haut du ponton, toute habillée, en jetant mon sac plus loin. J’ai plongé dans l’eau et tout mon corps a frémi à ce contact. Mes sandales ont coulé, j’ai perdu mes lunettes de soleil et j’étais trempée, l’observant deux mètres plus bas. Je n’ai pas réussi à être en colère. Alors j’ai ri, et il a sauté. Sur moi. J’ai hurlé, et l’eau qui me rentrait par le nez et la bouche m’a étouffée. J’ai bien cru que j’allais me noyer, mais il nous a remonté comme si de rien n’était. J’ai craché des algues, et il a souri. Tout était normal. Le soleil, haut dans le ciel nous montrait le bleuté des fonds marins et nous étions entourés de poissons de toutes les couleurs. Il m’a enlacée de ses bras et mes jambes l’ont étreint, et je l’ai coulé. Une fois, deux fois. Jusqu’à ce qu’il réponde et que j’en ai assez de boire la tasse. Il n’y avait personne. Nous étions seuls sur la plage, heureux, amoureux de la mer et des albatros qui parcouraient le ciel. J’ai fait la planche près de lui, pendant que nous dérivions au gré des courants. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. C’était dimanche, à midi. La vie commençait là, au milieu de nulle part et du centre du monde, dans cette anse vide d’étrangers mais pleine de lumière. C’était beau. J’étais en vie.
Une histoire commence quand on en rencontre le personnage principal. Et le personnage principal, c’était Ben. Benjamin et ses grands yeux noirs, Benjamins et ses étincelles qui vous réchauffent le cœur et vous broient la poitrine en mille morceaux. Benjamin et ses sourires éclatants, de ceux qui vous brisent parce qu’ils sont heureux et triste à la fois, avec ses bras si grands et si forts pour vous serrer contre lui comme un géant protecteur. C’était un peu tout ça, Ben, quand je l’ai rencontré à deux heures du matin dans le métro de Lyon. Il n’y avait personne, plus de trains non plus et il me souriait sur l’autre voie, comme s’il attendait de moi quelque chose et je ne savais pas quoi. Il a sauté sur les rails et il a traversé la station. Il est tombé, royalement, s’étalant de tout son long sur les pierres crasseuses. J’ai ri et j’ai tendu ma main. Il s’est relevé, et avant que je puisse comprendre quoi que ce soit, il m’a entrainée dans les rues sombres. Je n’ai pas eu peur. Je n’ai pas hésité. J’ai juste couru derrière lui. Nous faisions un truc fou, complètement dingue. Deux inconnus qui poursuivent leurs ombres dans la ville au milieu de la nuit. Quelques vigiles ont dû nous prendre pour des fous, mais c’était tellement bon. Je n’ai pas tenu bien longtemps, alors il a fini par me porter. Il continuait à courir, et je ne savais pas où nous allions, et je crois bien que lui non plus, mais il courait et il m’emmenait, comme un prince sur son cheval blanc qui m’arrachait à ma morne routine. On s’est arrêté devant les grilles fermées d’un parc, et plutôt que de rebrousser chemin on les a escaladées. On a roulé dans l’herbe et j’ai soufflé, les joues rouges et le cœur qui battait incroyablement vite. Je me suis allongée et j’ai fixé les étoiles et le ciel, et c’est seulement alors que je lui ai demandé son nom, et qu’il a demandé le mien. On s’est blotti l’un contre l’autre et on a passé des heures comme ça. Juste là. Nous n’avons rien fait. Pas même parlé. Nous étions bien, là, en harmonie avec le reste du monde, un peu à notre place dans un endroit interdit après le couché du soleil. Ce n’était pas grave. Il n’y avait rien de grave. Juste la perfection d’un instant volé au temps par deux adolescents inconscients.
C’était magnifique.
C’était en juillet. Après un concert, avant une folle escapade à Cassis. L’été a commencé deux jours plus tard. Nous ne nous étions pas quittés. Nous n’avions pas dormi. A peine mangé. Nous avions redécouvert notre ville et le dimanche, nous étions allés à la gare. On n’a pas réfléchi. On a pris deux billets pour le sud, un allé simple pour la côte et on est parti. Le paysage défilait tellement vite, on a tellement parlé durant le trajet que je n’ai rien vu passer. Mon corps dansait en descendant du train, mon sac à main pour seul bagage et mon envie de m’ouvrir entièrement au moment présent. Ma main dans la sienne, on déambulait parmi les gens, toujours plus loin, plus longtemps, se gavant de soleil et de ciel bleu. Et puis on s’est retrouvé dans une crique splendide.
Après la baignade, je me suis laissée tomber sur le sable, mouillée, épuisée, de drôles de papillons au fond du ventre. J’ai tourné la tête j’ai vu un grand brun de profil, assis près de moi à regarder la mer. Il souriait comme absent avant de déposer un baiser sur mon front. J’ai fermé les yeux et je crois bien que je me suis endormie. Il a dû s’endormir aussi, parce qu’en m’éveillant je l’ai vu lui aussi, les paupières closes et le souffle apaisé. J’ai caressé du bout des doigts sa peau collante de sel et de sable et quelque chose dans sa poitrine a fait un bond tellement immense que je l’ai senti. On s’est relevé, on a couru sur le ponton, juste pour voir l’astre doré se coucher sur l’horizon. J’ai laissé balancer dans le vide mes jambes nues, et mon short encore humide me collait à la peau. Il s’est baissé près de moi et il a prononcé mon nom une fois. Puis une seconde, si bas, si doucement que j’ai cru rêver en l’entendant murmurer. Mais je ne rêvais pas. Ses lèvres sur mon cou, je ne les ai pas imaginées, qui remontaient jusqu’à ma bouche et follement m’embrassaient comme si la Terre autour de nous allait s’écrouler. Comme si c’était tout et rien, que le monde tournait et s’arrêtait, comme si c’était la première fois, ou bien la dernière, qu’il fallait savourer ce baiser là plus que tous les autres. Je savais ce que je faisais.
A vrai dire, non. J’ignorais de quoi serait fait le lendemain, mais je m’en moquais. Je savais que c’était ça, vivre. Faire ce qu’on veut et aimer ce qu’on fait, c’était la clef de notre éphémère bonheur, parce que c’était tout ce que nous n’avions pas chez nous. En se trouvant l’un l’autre, on avait trouvé l’envie, on avait gagné quelque chose que personne n’avait plus. J’ai gagné le gros lot sans avoir rien parié, il a donné son cœur et j’ai voulu en prendre soin. Je me suis dit que c’était bien trop beau comme ça, et le soir approchant on est retourné en ville. A pieds et mouillés jusqu’aux os, on avançait gaiment, sans craindre les regards des gens qui s’étonnaient, de nous voir si heureux, bras dessus bras dessous. On a pris une seule chambre, dans un hôtel miteux, on n’a pas cherché loin, on a juste souri. Ils n’ont rien demandé, ni papiers ni avance. J’ai promis de payer ma moitié à Ben, mais il a refusé. J’ai cru qu’il avait un peu d’argent à perdre, j’ai fini par comprendre qu’on pouvait tout gaspiller, ça nous rendrait heureux.
Je me suis allongée sur le dos, débarrassée de mes chaussures et je l’ai fixé, qui se déshabillait lentement, sans me regarder. Je l’ai observé mettre son corps à nu, sans pudeur. Je n’ai pas eu peur quand il est venu près de moi, parce que j’avais confiance. Il a posé sa tête sur l’oreiller, enroulé son bras autour de ma taille, et c’est tout. Je crois qu’il a plongé dans les bras de Morphée instantanément. J’ai souri en admirant cet ange dormir, si près de moi, sans rien tenter qui pourrait me gêner. J’ai redessiné son visage du bout de mes doigts, et je n’ai pas résisté à l’envie de poser mes lèvres sur les siennes entrouvertes. Il n’a pas ouvert les yeux mais je l’ai senti frémir. Je me suis abandonnée au sommeil juste après. Nous ne sommes pas restés longtemps dans cette chambre. A quatre heures du matin, nous étions partis. Nous n’avions pas payé, bien sûr. Et pourtant, nous avions de quoi. Benjamin disait que cela rajoutait du piment à l’aventure. Lorsque j’ai compris que nous ne rentrerions pas à la maison, j’ai éteint mon téléphone, et je l’ai envoyé de toutes mes forces sur la Jetée. Avec lui, j’ai jeté les messages de mes parents que je n’avais pas écouté, les contacts précieux qu’ils auraient pu être si jamais il m’arrivait des ennuis. J’ai assumé mon départ et le début de ma vie. Benjamin a souri. Et il a fait la même chose. On n’y voyait que dalle, alors on a marché sur les quais, attendant que le soleil se lève pour décider de ce qu’on ferait de notre journée. On a regardé les bateaux, longtemps. Il me tenait par la main et on déambulait entre les yachts comme un couple qui rêve d’avenir.
« Je t’offrirais celui-là, a-t-il énoncé en désignant l’un des plus gros voiliers.
- Je préfèrerais celui-là, plutôt. Il est plus joli » ai-je répondu, amusée en lui en montrant un autre.
Il a paru déçu, mais il ne s’est pas démonté. Son expression s’est fendue d’un de ses plus beaux sourires et il m’a prise dans ses bras, me faisant tourner dans les airs. Je riais, et il m’a posé sur une marche du navire.
« Celui-ci est plus grand, il y aura plus de place pour tous nos enfants ! Et on pourra y mettre plein de nounous pour les surveiller à notre place. »
J’ai éclaté de rire. Il semblait tellement sérieux, tellement naïf et innocent que j’ai cru l’avoir vexé. Mais non. Il m’a embrassée et il est monté sur le pont avec moi.
« Tu veux jouer aux pirates ? »
Nous avons fait la course jusqu’au gouvernail malgré les menaces d’un des gardes du port. Les pièces étaient toutes fermées, bien sûr, mais cela ne nous a pas arrêté. Nous courions partout, nous nous cachions. Je ne me suis jamais autant amusée que pendant cette partie de chat avec les autorités portuaires. La seule échappatoire que nous avions, c’était l’eau. Alors nous avons plongé. La tête la première, toute habillée, c’était la deuxième fois en deux jours. J’étais hilare, bataillant avec les vagues pour rester à la surface. Benjamin s’accrochait au bateau et lentement, sous les injures du policier, m’empêchait de dériver. Il a fini par nous oublier et est reparti d’où il venait, ce bonhomme un peu benêt avec de l’embonpoint. Il nous a laissé remonter sur le ponton grâce à l’échelle usée, retourner jouer dans la ville comme deux chatons espiègles.
Lorsqu’on a réalisé qu’on ne pouvait pas rester là sans payer les notes du motel, Benji a décidé qu’on prenait le large. Alors je l’ai suivi. On est retourné à la gare. On n’a pas pris de train. On ne savait pas vers où aller. On a juste suivi les rails, discrètement. On a couru lorsque les vigiles nous ont vus, on a ralenti quand on est sorti de la ville. Il n’y avait que des champs, partout, alors on suivait la voie ferrée et quand on entendait un train approcher, on courait dans l’herbe et on s’éloignait d’une vingtaine de mètre. On a joué à ça pendant de longues heures, à chanter à tue-tête des mélodies d’aventures. Et lorsque le soleil a commencé à décliner, j’ai perdu courage. J’ai compris qu’on ne tiendrait pas longtemps comme ça, sans un toit sur la tête et des vêtements de rechange. J’ai compris que ce n’était pas ça la vraie vie. Qu’on vivait dans un ailleurs et que ça ne durerait pas. Je me suis juste brisée, au milieu d’un pré, dans le soleil couchant. Je me suis mise à pleurer et à beugler des choses qui n’avaient pas trop de sens. Alors Benji s’est accroupi devant moi et a pris mon visage entre ses deux grandes mains avec une infinie douceur. J’ai plongé mon regard dans le sien, et un instant tout allait mieux. Mais j’ai su que dès que j’ouvrirais à nouveau les yeux sur le monde qui m’entourait, je me remettrais à pleurer. Il a essuyé mes larmes du bout de son pouce, et il a ouvert son sac. J’ai senti mon pouls accélérer.
Il a sorti une trousse impeccablement rangée de sachets de poudre plus ou moins blanche et de tubes et de seringues et ma respiration s’est bloquée. J’ai regardé cette armada pharmaceutique, et je n’ai pas eu besoin d’explication. Et pourtant il a parlé.
« C’est pour être heureux » a-t-il dit, tout simplement.
Je l’ai fixé, incrédule, ébahie par tant d’assurance et j’ai pété les plombs.
« On ne pourra pas vivre comme ça, Benji. On ne peut pas juste partir, on ne peut pas juste vouloir être heureux en volant ce qu’on mange et en arnaquant les honnêtes aubergistes. On ne peut pas finir par se flinguer parce qu’on va mal tourner. On ne peut juste pas faire les choses comme ça. On ne peut pas partir sans se retourner vers Lyon, vers ma famille et la tienne, on ne peut juste pas continuer comme ça. Ca ne marchera pas ! Je ne sais pas ce qu’on a cru, je ne sais pas ce que j’ai voulu faire en te suivant ici. Mais il faut qu’on rentre maintenant. Il faut qu’on rentre. »
Il a posé ses lèvres si tendrement sur mon front que je n’ai pas senti le garrot s’enrouler autour de mon coude.
« Tu voulais être heureuse. Tu voulais voler un peu de bonheur à ce monde de brute et je t’ai offert tout ça. Je t’en offre encore un peu, si tu veux, ce soir. Juste un peu de plénitude pour qu’on reste ensemble, toi et moi contre tout le reste. A regarder les étoiles et les insectes qui nous monteront dessus parce qu’on n’a pas pris de tente. Mais je ne te forcerai pas. Tu peux rentrer si tu veux. J’essaierai de t’en empêcher, de te garder parce que c’est plus fort que moi. Mais si t’es assez forte pour continuer, vas-y. Cours, rentre et retombe les deux pieds sur terre. Moi, je pensais qu’on voulait s’envoler. »
J’ai ouvert les paupières en grand sur son visage détendu, aux traits si doux et pourtant déterminés. Je n’ai pas hésité. J’ai tendu mon bras sans trembler. Il a doucement planté l’aiguille. Et j’ai senti l’héroïne me bruler les veines et embraser mon cerveau, j’ai senti le sol se dérober sous mes pieds et j’ai vu les étoiles danser au dessus de ma tête. Tout l’univers s’est renversé et ma tête a heurté les genoux de Benjamin et je ne comprenais rien, rien, rien. J’ai cru que mon cœur ne battait plus. Il me parlait et ses mots glissaient sur ma peau et son regard coulait sur mon être sans jamais l’effleurer et il m’a embrassée sur la bouche et le nez, sur le front et les joues et il essayait de rendre ce moment plus calme et plus doux alors que je me sentais déjà calme et douce et je flottais tellement, tellement haut dans le ciel.
Nos corps blottis l’un contre l’autre, sur le côté, évanouis sur l’herbe tendre qui nous faisait un lit. C’est tout ce qui restait de l’extase. Le tableau irréaliste et le vide au fond de mon ventre.
Je me suis levée avec les yeux rouges et les joues irritées par mes pleurs. Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Benjamin a ouvert les yeux et souri, se frottant la nuque et les cheveux ébouriffés. J’avais la tête lourde et instinctivement j’ai baissé le regard vers mon coude où un bleu se formait lentement. Je n’avais même pas honte. Je n’ai pas pensé une seule seconde à tout ce que les adultes disaient, à tout ce que tout le monde avait déjà pu dire sur la drogue et le manque. Pour la première fois de ma vie, je ne manquais de rien. Benjamin s’est levé et a pris ma main, souriant.
« Lève-toi, on s’en va. »
Il a pris son sac, le mien, et on s’est remis à marcher en chantant. Personne, jamais, ne pourra me convaincre que ce que nous faisions était mal, ou inconscient, ou stupide. C’était merveilleux. A force de suivre le chemin des trains, on est tombé sur une gare. Forcément. On a grimpé sur un quai, l’air de rien, en sifflotant. Tout le monde nous regardait, et j’ai caché un rire derrière la paume de ma main. On a couru jusqu’à un distributeur de sucreries, et on s’est goinfré de chips et de bonbons. C’était puéril. Mais tellement bon. Après ça, on a voulu prendre des photos du trou paumé où on était tombé. On a trouvé un parc, bras dessus bras dessous, et on a trouvé des gens pour nous prendre en photos. Je riais, il m’embrassait, nous nous enlacions.
On marchait sur les bancs, cinq minutes comme ça, en écoutant des chansons d’amour. Et puis on se perdait, l’un contre l’autre, sous la pluie et les rires des passants qui nous traitaient de jeunots. Je lui prenais la main et lui faisait semblant de ne rien voir, et d’un seul coup je partais, et lui en bon amoureux il me courait après. J’aimais qu’on joue à chat, juste lui et moi, dans les rues de ce bled. Il me cherchait, et je répondais parce que, j’avais trop peur qu’il s’en aille pour de bon. J’étais à ses pieds et ça avait l’air de le satisfaire. Et puis je me lassais, et c’est lui qui revenait me prendre dans ses bras immenses. On a fini dans une chambre d’hôte d’une vieille femme adorable. Elle n’a pas demandé d’argent, nous a proposé des cookies. On a préféré monter sur le champ. Il m’a dévorée des yeux, et moi je le déshabillais pour de vrai. Alors il m’a arraché ma veste, et mon haut a valsé dans un coin, et mon short n’a pas résisté à sa poigne de fer. A balancé nos vêtements dans tous les sens, on devait faire un boucan d’enfer, mais personne n’a rien dit. On a dansé comme ça, se rapprochant, s’éloignant pour mieux revenir l’un contre l’autre, presque nus. Et puis il m’a poussé sur le lit, et il m’a embrassé. Et j’ai enroulé mes jambes autour de sa taille et tellement de choses auraient pu se passer, à cet instant là, mais il m’a déposée sur le côté, avec délicatesse. J’ai senti ses mains parcourir mes flancs avec une douceur infinie et il a souri, me lançant un regard gentleman qui disait quelque chose comme « je ne ferais rien que tu n’aimeras pas ». Et pourtant, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’il se passe mille choses entre nous ce soir là. Je me suis demandée s’il voulait, lui. Mais je me suis mordu la langue et je l’ai regardé sortir sa trousse noire.
Il a hoché la tête, et c’est moi qui ai sorti les seringues.
« On n’aura pas besoin de se détruire pour aimer la vie, je te le promets. La drogue, c’est juste du bonus. »
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Briséis
Il n’a fallu que quatorze heures pour convaincre huit milliards de personnes que la fin était proche. Tous, jeunes, vieux, noirs, blancs, gros, maigres, humains ou non, tous les êtres vivants seraient morts d’ici quelques dizaines d’heures, tout au plus. Je ne sais pas exactement comment ils s’y sont pris. Mais tout le monde, sur vingt-quatre fuseaux horaires, chaque personne a eu la conviction que nous vivions nos dernières heures ...
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