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Défi
Tribunal judiciaire de Paris, Audience de comparution immédiate, 12 décembre 2022, 21H30.
Mohammed apparut dans le box, tête baissée, yeux cernés. Il flottait dans un sweatshirt noir délavé. Ses cheveux avaient poussé. L’escorte de police lui détacha les menottes avec vigueur. Mohammed frotta ses poignets, endoloris.
Une interprète avait été prévue pour traduire ce qui allait se passer à l’audience. Mais, tout du long, Mohammed insista pour s’exprimer en Français.
La juge débuta son rapport. « Alors… », débuta-t-elle, les yeux plongés dans ce dossier. « Vous vous appelez Mohammed BENNACER, vous êtes né le 6 juin 2000 au Maroc. Vous comparaissez aujourd’hui pour des faits de dégradations volontaires. Je vous informe Monsieur, que pendant le temps de cette audience vous avez le droit de garder le silence, répondre à mes questions, ou faire des déclarations spontanées. »
Mohammed ne comprenait rien à ce qui se passait. Il regardait tantôt ses souliers, tantôt la juge, tantôt la greffière, le Procureur, l’avocat de la partie civile, tous semblables.
« Depuis combien de temps êtes vous en France, Monsieur? »
Alors, Mohammed commença à expliquer. Le bateau, les mois en Espagne, un contact en France, qui s’était avéré peu fiable.
« Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il s’est passé la nuit du 10 au 11 décembre dernier? »
Mohammed raconta. La galère de la nuit, comme toutes les nuits depuis qu’il est ici. Trouver un endroit pour dormir, quelque-chose à manger. Déambuler de plan en plan.
« Ca ne m’explique pas pourquoi vous avez fracturé le véhicule de Madame Claude, Monsieur. »
Pourquoi? Mohammed se revit alors, dans la nuit glacée parisienne. Il marchait depuis plusieurs heures, d’un pas vif, son souffle perturbant toujours un peu plus l’air extérieur dans de grandes volutes de buée silencieuses. A mesure que la nuit se consumait, l’angoisse montait en lui. Il voulait téléphoner à sa mère, le lendemain, lui dire que tout allait bien.
L’idée, au fil du temps, s’était faite plus pressante. A 1H30, c’était devenu une question de survie. Il avait choisi un véhicule qui n’avait pas l’air trop sophistiqué, pour éviter toute sonnerie intempestive. Une petite Clio grise, pensant son délit atténué par la modestie du véhicule.
Tout cela, il ne parvint pas à le restituer à la barre.
« Je voulais juste dormir ».
A ce moment-là, tout le monde avait compris. Que cet homme arrivait là, devant eux, en fin de course.
Après quelques brèves minutes de débat, la juge s’enquit d’une éventuelle dernière parole du prévenu. Mohammed ajouta « Ne me renvoyez pas chez moi, je vous en prie. ».
La juge annonça sèchement « Vous êtes déjà sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, Monsieur ». Elle restait malgré tout frappée par sa volonté de rester ici, alors que la France ne lui avait offert qu’un vaste hexagone de solitude.
Chacun dans la salle mesurait son confort, sa chance, le gouffre qui le séparait de Mohammed, le sens du mot "frontière". L’ambiance dans la salle était lourde. Pas de douleur comme elle peut l’être parfois, mais de fatalité.
Chacun sentait sur ses épaules le poids de son impuissance.
"Le tribunal se retire pour délibérer".
Mohammed se rassit dans le box, épuisé. Angoissé, encore. Pas vraiment du verdict, mais comme toutes les nuits depuis un an, de savoir encore là où pourrait enfin dormir.
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