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Julien Riveau

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Œuvres

Julien Riveau


Les larmes ne voulaient pas couler, tout était allé trop vite. Sa maladie, sa mort, la lente détérioration de sa raison, tout s’entremêlait, se confondait. Un étrange mélange, entre la certitude de la perdre et une indifférence forcée, m’empêchait d’être triste pour le moment. Il restait seulement de sa voix des sons inarticulés, ses bras pendaient le long de ses cuisses, de profondes cernes recouvraient son visage maladif. Sa tête était le champ d’une bataille acharnée. Tout s’effaçait quand je croisais son regard. À travers ses yeux bleus, je voyais qu'au fond, elle n’avait pas changé. Son sourire fièrement arboré en acte de résistance, elle se révoltait contre l’ordre établi, celui de la Nature. Délaissant le chignon, ses cheveux descendaient sauvagement le long de ses épaules, laissant croire à une forme d’insouciance juvénile. Elle souffrait, terriblement, ses pieds enflés l’empêchaient de marcher, ses migraines répétées hachaient son sommeil, la laissant, dans un état à moitié conscient durant la journée. Dès le matin, elle était assise dans une chaise au centre du jardin, nous regardait de loin, je l’embrassais en passant, la regardais de loin.
« Elle vient de nous quitter », un long silence, je m’y attendais, j’accepte. Mes parents sont venus me l’annoncer ensemble, d’une voix solennelle.
- Tu veux venir voir son corps avec nous une dernière fois, à la morgue ?
J’ai décliné, sans savoir qu’ils y allaient tous. J’imagine encore le docteur, soulevant théâtralement le linceul, pour dévoiler au monde ce corps livide, à nu. Morte, elle avait perdu toute sa substance et n’était plus qu’un amas de chair. Son chignon détaché, ses cheveux envahissaient ses bras et son visage. Comment ses lèvres s’étaient-elles figées ? J’aime croire qu’elle souriait, un dernier défi donné à l’au-delà.
Les jours suivants se passèrent dans l’attente de l’enterrement. Un jour, me voyant dissipé, le surveillant général me convoqua.
- Quelque chose ne va pas ?
- Non, tout va bien.
- Alors pourquoi tu ne veux plus aller à la sortie scolaire ?
Il me dégoutait, sa voix, son attitude nonchalante, tout m’irritait, m’énervait. Il avait jugé bon, dans ma tristesse, de mâcher bruyamment une pomme. J’étais décidé à ne pas lui dire la vérité.
- Je suis malade, je vais aller voir un médecin.
- Bon…je vais voir ça avec ta mère, t’as pas mauvaise mine…ça n’a pas l’air trop grave.
Jamais il ne lui parlera. Elle était aussi en deuil, n’allait pas recevoir un appel de ce quinquagénaire au style douteux, de la chemise à carreaux et à manches courtes aux chaussettes de noël recouvertes de sapins. Une longue inspiration me donna du courage.
- J’ai perdu ma grand-mère, les funérailles sont mardi.
- Oh…je suis désolé, je ne savais pas. Elle avait quel âge ?
- 68 ans.
- Ah ça va…c’est quand même un bel âge.
Je me levai sans le regarder, de peur de lâcher une larme, claquai la porte et m’assis sur un banc dans la cour.
Arriva le mardi.
J’enfilai un costume noir, trop grand, dont les manches m’arrivaient jusqu’aux doigts. Il était à mon grand-père, fournisseur officiel des cousins. Les chaussures de clown m’allaient à ravir, plaçaient sur mes lèvres un sourire d’enterrement, le plus puissant, le seul capable de contenir un cœur lourd. Une longue procession nous amena à la messe d’adieu. J’aurais aimé pleurer comme eux, seulement, je manquai d’intimité.
Une image, un chœur, un défilé d’inconnus,
Indifférents, câlins, gospel, voilà la rue.
Un buffet, champagne, manger, converser,
Se faire chier, manger, s’éloigner, respirer.
Un souvenir, un sourire, une robe d’été,
Un goûter, un kinder, un câlin serré.
Vint enfin l’enterrement, sanctuaire d’intimité.
Impassible, une tombe, une larme versée,
Un torrent, l’inavouable sanglot, elle m’a bercé,
Une rose, un caveau, un discours inachevé,
Inconsolable, des mouchoirs noyés, des papiers froissés,
L’envie de chialer quand je pleurs.
S’en est suivi cinq ans de sècheresse, jusqu’à aujourd’hui.
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Julien Riveau
J'essaie une nouvelle forme d'écriture, moins travaillée, plus spontanée, qui se prête bien à la poésie.
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Julien Riveau


Ça fait presque deux jours que je n’ai pas fermé l’œil. J’ai froid, alors je roule mon corps en boule sous la couverture, et, presque aussitôt, je sens ma bouche, collée contre le tissu, manquer de souffle, se crisper, comme asséchée par un vent glacial. Je l’ai trop bien connu, cette sensation de froid extrême, on brûle, on est incapable de bouger, on laisse, impuissant, notre langue constater les minuscules crevasses de nos lèvres gercées. La prochaine fois, je me mettrai tout nu, ça réchauffe. J’essaie de boire de l’eau, de tremper mes lèvres un long moment, rien n’y fait, elles restent, ces cicatrices de l’hiver. Cette année, l’hiver est arrivé sans prévenir. Un jour, grand soleil, le lendemain, les bus ne roulaient plus, préférant rester, eux aussi, au chaud dans leur garage. Depuis de longs mois, la ville est prise d’assaut, conquise par ces innombrables minuscules flocons de neige. Les enfants s’amusent à creuser des tunnels à travers les rues enneigées. Les plus petits, ceux dont la tête dépasse à peine, rendent inquiets leurs parents, occupés sinon à décorer leur maison. La ville est à la fête ; seulement, moi, j’ai froid…
Allez, j’y suis presque…encore deux kilomètres, faut rien lâcher, allez. Un coureur passe sous le pont. Il ne remarque pas ce corps au sol. Allez… hou,hou…. houuu. Son souffle régulier masque les odeurs d’urine et de déchets laissées à l’abandon. Il ne faut pas le déconcentrer, il va battre son record sur 10 kilomètres. Il a mis ses lunettes de soleil, moins pour se protéger du soleil que des distractions de la ville, comme ce sans-abri justement. Il lui aurait fait perdre sa foulée, de précieuses secondes. Merde…mon genou, pas maintenant, allez, allez. Il accélère, amplifie ses foulées, sa semelle s’écrase moins sur le sol. Plein d’adrénaline, il ne sent plus son genou. Il s’imagine ne pas boiter pour aller au travail demain, comme tous les lendemains de course. Il prend un malin plaisir à dépasser les autres coureurs, ceux qui traînent la jambe, se laissent pousser par le vent dans leur dos. Allez, hou, hou…houu. Non, Emile, non, tu ne vas pas te remettre à pleurer. Bon tiens, prends ça, murmure une vieille femme, tout en forçant une tétine dans la bouche de son petit-fils. Ahh, mais ça ne sent vraiment pas bon. Elle remarque le bout de tissu rapiécé et reconnait, grâce au relief, la présence d’un être en-dessous. Ce tas ressemble davantage à un cadavre qu’à un homme endormi. Non, il bouge. Il a une forme irrégulière, plate par moment et soudain courbée, c’est une boule capricieuse, plutôt une excroissance du sol, vile et puante. La grand-mère se décale, apeurée­, de ce quelque chose qui sent si mauvais. Elle remplace la tétine par un biberon rempli de lait, comme pour anesthésier son odorat en contrôlant son goût. Allez, c’est bien, bois, bois. Ohlala, mais ça ne s’arrête pas, même ici, dit-elle, après avoir largement dépassé le sans-abri. Enfin on sort de ce merdier, ce n’est pas une vie ça, de dormir sous un pont. Et déjà la moitié de la journée s’est écoulée. Il n’a pas respiré une seule fois dehors, n'en ressent pas le besoin. L’air qui lui parvient est filtré, imprégné de l’odeur de la couette, familière et si spéciale.
J’ai froid…et faim maintenant.
On aurait mieux fait de prendre un taxi. Mais on ne va pas prendre la voiture pour cinq cents mètres ; c’est ridicule. Ce qui est ridicule, c’est de ne pas respecter les règles de sécurité. Tu n’en fais qu’à ta tête, comme à chaque fois, avec tout… Rooh c’est bon, c’est ma fête oui. Allez, on est bientôt arrivé. Mais on est où là, ça sent fort. Oulala, t’as raison, c’est un mélange atroce. En même temps, s’ils laissent des gens dormir ici. Faudrait réurbaniser ces coins-là, les empêcher de squatter, après ça empeste et c’est nous qui en payons les frais. Un jeune couple s’est introduit sous le pont. Ils sont tous les deux élégants, en vêtements blancs et immaculés. Leur posture droite, doublée d’une cadence lente et assurée, témoignent d’une assurance dans les affaires de la vie. L’homme est banquier, il vient d’obtenir une augmentation. Justement, ils vont la fêter, au Restaurant, là, juste en face. Attends, tu vois les deux jeunes là-bas, sur les vélos…je t’avais dit qu’il fallait y aller en voiture, dit la femme, énervée. À une centaine de mètres, les deux adolescents s’amusent à faire des figures, soudain, l’un d’entre-eux regarde la femme. Bon, faut qu’on y aille. Elle commence à courir, suivie de son fiancé. À chaque pas, du fait de la surface de contact réduite, ses talons la déséquilibrent, ses pieds se tordent aléatoirement d’un côté et de l’autre. Malgré ses efforts répétés, elle manque de tomber plusieurs fois, se rattrape avec son bras, reprend confiance et accélère. Allez, allez, on y est presque. Les deux cyclistes n’ont pas bougé.
Un corps lourd sprint sur une dizaine de mètres, s’arrête net, visiblement essoufflé. Houff…houff. T’arrives même pas à courir dix mètres, s’écrie un adolescent, sur un ton moqueur. Sa voix enjouée et bruyante, ses mouvements brusques et imprécis, sont assez d’arguments en faveur de son ébriété. Ils sont trois, et, malgré l’heure peu avancée de la soirée, aucun n’est en mesure de marcher. Pour tenir debout, ils doivent se balancer dans tous les sens, chercher l’équilibre dans ce changement rapide de position du corps. Ils m’ont réveillé. J’avais réussi à taire mon ventre, maintenant, il se remet à gargouiller de plus belle. Attends…j’vais pisser. Il pose, pour se soutenir, sa main gauche sur le mur et commence à uriner. Il observe, avec un sourire idiot, ce filet transparent se jeter sur le béton. Attends, regardez ce que j’vais dessiner. Il se met à l’œuvre, et, avec une application et une adresse remarquable, vient à bout de son travail. Oh pas mal, un second l’imite. Bientôt, une paroi entière est recouverte de ce liquide. Demain, l’odeur sous ce pont sera difficilement supportable pour les passants. À l’entrée de l’édifice, à travers la demi-pénombre naissante, ils distinguent une silhouette massive, un homme portant une batte. Le moins ivre des trois amis, le plus inquiet aussi, presse les autres de refermer leur braguette. Ils s’effacent dans la nuit, comme ils sont venus, dans un fracas.
Qu’est-ce que c’était…je ne devrais pas me balader seul la nuit, à mon âge, murmure un vieil homme, reprenant son souffle. Il s’appuie sur sa canne pour avancer. Les lampadaires se mettent en marche, il découvre ce corps, là, seulement recouvert d’un drap fin. Par ce froid. Non, on ne peut pas habiter dans ces conditions. Pris de pitié, il tire de sa poche une pièce de vingt centimes et la pose, avec peine, à côté du sans-abri. Son portemonnaie est encore sorti. Une bourrasque emporte un billet de vingt. Oh non, pas ça, lance-t-il, agacé. Et il se met à poursuivre l'argent d’un pas décidé, suit le bout de papier de loin, le voit se poser délicatement au milieu de la route. A cette heure, la circulation est bonne, le peu de voitures qui passent roulent à des vitesses folles, ignorent les feux et négligent les passants. Du bord de la route, il observe quelques instants les voitures et le billet qui reste immobile. Allez, il n’y a personne. Il ne prend pas la peine de tourner la tête…un camion arrive dans le sens opposé, sur sa voie. Le conducteur klaxonne, freine, augmente l’intensité de ses phares.
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