Le sacrifice

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Ils avaient attendu le départ des chasseresses pour attaquer. Sirath, Morowë, Eëv, Taryn… les femelles les plus puissantes avaient quitté le gîte pour une battue exceptionnelle, un troupeau de daurilim ayant été signalé non loin. Yuja était restée à la grotte avec Nanal pour préparer l’arrivée de la viande. Depuis l’incident qui avait mené à l’éviction de Naryl, les deux femelles ne se parlaient plus. Le soir même, Nanal était venue la voir :

— Tu n’aurais pas dû le dénoncer. Il serait devenu notre mâle à toutes, par la force des choses. À toi également. Il fallait être patiente, ne pas le brusquer. Et maintenant, il est parti. On l’a toutes perdu.

Yuja en voulait terriblement à Nanal, mais elle s’en voulait encore plus. Morowë lui avait confirmé le plan de Nanal, qui était celui de Awhem, au départ : les ellith avaient senti les fièvres de Naryl bien avant qu’il ne les sente lui-même, et elles avaient décidé d’un commun accord d’attendre et de voir la suite. Le comportement de Naryl avait été passé au crible, ses allées et venues surveillées. Les nombreux cycles pendant lesquels il avait enduré les fièvres pourpres en silence, seul dans sa grotte isolée, les avaient convaincus de sa haute valeur. Mais l’immaturité de Yuja, en forçant Naryl à quitter son refuge, puis l’appétit sexuel de Nanal, qui l’avait séduit dès son retour, avaient tout fait basculer. Il avait fallu agir, d’autant plus que Yuja s’était plainte. On avait mis Naryl devant un choix… et il avait fait celui de partir.

Tout cela, c’est de ma faute, se morigéna Yuja, accroupie dans le fond d’une grotte inconnue. Sans moi, Naryl serait encore là, et les Sans-Clan n’auraient pas osé attaquer. Et Awhem serait encore vivante. Nivi aussi.

Nivi avait été la première à donner l’alerte. C’était elle qui, du haut de son poste d’observation, avait aperçu les mâles se ruer vers la grotte. Au lieu de se faire toute petite et silencieuse, de se cacher dans l’épaisseur touffue des feuilles, elle avait signalé sa position en leur tirant dessus. Excités par sa véhémence, quatre assaillants l’avaient arrachée à son arbre. Elle s’était défendue bravement. Tellement, d’ailleurs, que le chef, excédé par sa résistance, lui avait brisé la nuque. Il avait continué à la besogner comme ça, alors qu’elle agonisait.

Ensuite, ils avaient déferlé sur la grotte en poussant des hurlements. Le sang, la chasse, et surtout la lune, énorme et rouge, les avaient rendus complètement fous. Nanal avait lâché son pot rempli de gwidth, qui s’était brisé au sol. Elle avait couru vers la grotte pour prévenir les autres, mais fut aussitôt rattrapée, plaquée au sol. De nouveau, quatre ou cinq ellonil lui avaient écarté les cuisses pour se frayer un chemin en elle. Awhem, qui était sortie à ce moment-là, avait été égorgée sans autre forme de procès : trop vieille. Tant de souvenirs, de savoir, celui de tout un clan, d’ædhil depuis longtemps disparus, s’étaient évanouis dans le néant avec elle, le temps d’une respiration. Alors que l’esprit de la fière et sagace matriarche s’envolait vers les étoiles, les autres femelles étaient trainées, hurlantes, hors de la grotte, et violées sur place, ou tuées.

Yuja, qui revenait de la forêt où elle était, avait assisté à toute la scène, interdite. La peur l’avait paralysée. L’un des assaillants l’avait repérée, un jeune mâle aux yeux barbares, dont la chevelure à moitié rasée était trempée dans le sang. Il s’était précipité dans sa direction, plus vif que l’éclair. Jamais Yuja n’avait couru aussi vite : elle pouvait sentir la mort derrière elle, son souffle court et fauve. Elle avait voulu hurler, appeler Naryl, mais elle n’avait pas assez d’air pour le faire. Le moindre souffle, le moindre pas était trop précieux pour être gaspillé. Et finalement, le sol s’était dérobé, avant d’être projeté à sa rencontre. Sa bouche avait heurté la terre, s’emplissant de sable et de sang. L’assaillant était sur elle. Fébrile, affamé, déjà en train d’arracher ses vêtements, de les découper comme la peau d’un animal chassé.

Yuja s’était laissée faire, passive, trop assommée pour réagir. Mais soudain, elle avait senti le poids sur elle disparaître.

— Ne la touche pas. Cette jeune femelle est vierge. Elle est pour Rhan.

On l’avait relevé, et une main brutale, dans toute sa brusquerie mâle, l’avait époussetée sommairement. Cette même main l’avait conduite, d’une pression dominante sur son cou, devant la grotte où ses sœurs étaient prises dans toutes les positions imaginables, tandis que d’autres gisaient, égorgées. Quelques visages éclaboussés de sang s’étaient relevés à son arrivée. Et, de nouveau, la sanction :

— Non, pas elle. Elle est pour Rhan.

Elle est pour Rhan. Et désormais, elle se retrouvait là, recroquevillée dans un coin, en attendant que « Rhan » vienne prendre ses droits. Nanal, mais aussi Akya, et Tanil. Toutes les quatre avaient été capturées et ramenées à la grotte. Les mâles avaient pris ces deux dernières et s’amusaient avec, indifférents à leurs cris. Nanal attendait, stoïque, alors que le sang n’avait pas encore séché entre ses jambes. Yuja était terrifiée. Elle faisait tout pour penser à autre chose, pour s’efforcer d’effacer les terribles images des massacres et des viols, du supplice que vivaient Akya et Tanil sous ses yeux. Mais elle ne pouvait s’empêcher de regarder : toujours, ses yeux inquiets revenaient sur les silhouettes haletantes qui s’affairaient devant les flammes de la victoire.

Une ombre lui cacha momentanément l’orgie. C’était un mâle immense, doté d’une longue crinière écarlate, et d’yeux de la même couleur de sang et de feu. Une collection impressionnante de trophées macabres pendaient à la ceinture de cuir qui ceignait sa taille puissante. Mais ce qui attirait le regard de la jeune femelle, c’était son érection. Cette dague de chair dure comme une arme qui pointait hors de sa gaine, terrifiante d’agressivité.

Yuja baissa les yeux. Mais le mâle saisit son menton entre ses doigts griffus, la forçant à relever le visage vers lui.

— Regarde-moi.

C’était Rhan, le meneur de cette bande de mâles sauvages et cruels. Yuja tourna les yeux vers lui, mettant dans son regard toute l’animosité dont elle était capable. Loin d’effrayer le chef, il amena un sourire féroce sur son visage.

— Une petite femelle fougueuse, dis-moi !

Yuja sentit le pouce de son agresseur caresser sa bouche. Furieuse, elle le mordit férocement. C’était le moment de venger ses sœurs ! Elle ne comptait pas se laisser faire.

La brutalité du coup qui suivit la laissa abasourdie. Rhan l’avait frappée du revers de la main.

— Je sens que je ne vais pas m’ennuyer avec toi, grogna-t-il en la saisissant par les cheveux.

Yuja se mordit la lèvre pour ne pas crier. Elle ne voulait pas lui donner ce plaisir ! Mais il la trainait, la jetait par terre. Et déjà, il était au-dessus d’elle, agenouillé entre ses cuisses.

— Attends !

C’était Nanal. Elle était nue, son opulente chevelure défaite. Les seins fièrement mis en avant, les tétons dressés, elle se caressait en remuant les hanches de façon suggestive.

— Prends-moi d’abord.

Le mâle lui jeta un regard amusé.

— Pourquoi ?

— Je n’en peux plus d’attendre.

— Tu n’en as pas eu assez ? Mes chasseurs vont s’occuper de toi très vite.

— C’est toi que je veux. Il me faut un vrai mâle. Et toi, il te faut une vraie femelle.

— Je te trouve bien présomptueuse. En quoi serais-tu meilleure qu’une jeune vierge ?

Mais déjà, il avait lâché Yuja, et regardait Nanal avec un demi-sourire crâne, une lueur d’intérêt dans ses yeux cruels.

— J’ai de l’expérience. Cette petite sera raide comme un bout de bois. Moi, je suis chaude et accueillante.

— Tu veux dire qu’une centaine d’ellonil ont déjà distendu ton vestibule ! Je préfère les petites fentes étroites et bien serrées.

— Aucune vierge n’est plus étroite que ça, répliqua Nanal en se mettant à quatre pattes, présentant son fessier charnu.

L’invitation acheva de décider Rhan. Étouffant un grognement, il relâcha Yuja, qui glissa au sol comme une proie sans vie.

— Je m’occuperai de toi plus tard. Mais ça, effectivement… ça, ça ne se refuse pas. J’espère que tu as les moyens de tes ambitions, femelle ! Je vais te faire hurler.

Nanal lui répondit par un sourire ambigu. Elle ne le perdit pas lorsque Rhan la saisit par les cheveux, et poussa un râle profond lorsqu’il s’enfonça en elle sans le moindre ménagement.

Yuja se recroquevilla contre la paroi. Désormais, elle était la seule à être en paix. Rhan s’acharnait sur Nanal, qui remuait du bassin en poussant des cris plus langoureux que déchirants. Yuja, stupéfaite, la vit relancer le grand mâle à chaque fois qu’il faisait mine de s’écarter d’elle. Le rapport de forces s’inversa : plus Rhan jouissait en elle, plus elle en redemandait. Finalement, elle finit par le pousser sur le dos et s’asseoir sur lui en jouant frénétiquement des hanches. Au petit matin, elle y était encore, chevauchant un mâle épuisé qui finit par sombrer sur place, complètement vidé. Ce ne fut qu’une fois qu’il fut profondément endormi que Nanal se releva. Yuja posa un regard coupable sur son entrecuisse ensanglanté et plein de bleus. Tout cela, Nanal l’avait fait pour elle. Grâce à son sacrifice, elle avait tenu la première nuit.

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