Le conseil du clan

5 minutes de lecture

Naryl dormit bien ce jour-là. Et lorsqu’il s’éveilla, le soir suivant, il se sentait détendu, comme il ne l’avait jamais été.

Cette bonne humeur ne dura pas. En s’extrayant de son khangg, Naryl eut la surprise de voir toutes les femelles du clan l’entourer, debout. Elles semblaient avoir attendu son réveil en silence.

— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit Naryl en cherchant des yeux Nanal.

Cette dernière gardait le nez et les oreilles baissées.

Elles savent, comprit Naryl.

— Naryl, Awhem a convoqué le conseil du clan, dit Sirath. Nous t’attendions pour commencer.

Naryl acquiesça en silence. Le conseil du clan...on ne le convoquait que pour les affaires très graves. Comme l’accès à la puberté d’un jeune ellon, par exemple, ou le meurtre d’un membre du clan par un autre.

Il ne pouvait pas y couper, cependant. En silence, il suivit les femelles dans l’étroit boyau conduisant aux tréfonds de la caverne, un lieu qui, jusqu’ici, lui était interdit.

L’endroit pulsait d’une chaleur utérine. Toutes les parois étaient finement sculptées, les stalactites et stalagmites redéfinies et ciselées en une infinitude de modèles identiques, concrétions incrustées de diamants qui luisaient doucement. Au milieu de cette caverne concave se dressait une plateforme, vers laquelle toutes les sculptures convergeaient : elle portait en son centre une pierre qui émettait une faible lueur dorée, comme un feu en train de s’éteindre. Awhem s’y dirigea. En s’arrêtant à l’endroit qu’elle lui indiquait, Naryl constata que les femelles – à l’exception notable de Yuja et Nanal – avaient revêtu leurs masques de chasse. Toutes firent cercle autour de la plateforme, muettes et hiératiques.

Arrivé devant la silice, Awhem s’assit, tournant le dos à Naryl.

— Lorsque nous t’avons raconté la fondation du clan, nous t’avons menti, Naryl, commença-t-elle de sa voix caverneuse. En réalité, ce clan fut fondé par un mâle, qui trouva refuge ici avec nous. Voici tout ce qui reste de lui, conservé ici en sa mémoire.

Awhem se retourna. Elle tenait dans la main le cœur pétrifié d’un ædhel, qui, dans sa paume, diffusait une éclatante lumière jaune. Naryl comprit immédiatement que c’était ce cœur à demi mort qui avait redéfini l’apparence de ce fond de caverne, lui donnant une forme aussi régulière.

— Saryn était mon fils. La mise bas fut difficile, et il naquit avec une jambe brisée. Son père, lorsqu’il revint à la grotte après la naissance inspecter les nouvelles portées, voulut le tuer, mais je m’y opposai : une autre mère se joignit à mon combat et l’attaqua pour me permettre de fuir avec mon petit nouveau-né. Je l’ai élevé comme je pouvais, seule, en échappant aux orcneas, aux groupes de mâles en rut, à la faim, aux blessures. Au fil de mes pérégrinations, je finis par trouver cette caverne, dans laquelle je me réfugiais. Puis d’autres femelles nous rejoignirent. Mon fils grandit. Certaines d’entre elles s’accouplèrent avec lui...dont Nanal, ici présente.

Awhem désigna la susnommée du menton. Naryl ne suivit pas son regard.

— Malheureusement, Saryn n’était pas assez fort. Lors d’un raid des Sans-Clan, il perdit la vie pour nous défendre. J’ai récupéré son corps et je l’ai posé là. C’est tout ce qu’il en reste.

Naryl la regarda reposer le globe de silice au sol. Combien de temps avait vécu ce Saryn ? Pas bien longtemps, apparemment. Mais son influence continuait à agir par delà la mort, à la façon d’une étoile qui, dans ses derniers instants, autorise la vie. Contrairement à ce qu’avait dit Nanal, c’était lui, le seul et véritable mâle du clan. Les femelles l’avaient amené là pour le soumettre à son jugement.

— Naryl, reprit Awhem en retirant son masque. Toi et ta mère, vous nous avez menti.

Naryl eut l’impulsion première de baisser le nez, mais il se reprit.

— C’est vrai. Mais si nous l’avons fait, c’était pour les mêmes raisons que ce qui t’ont poussé à fonder ce clan.

— Peut-être. À la différence que tu es pour nous un étranger, et que tu as grandi pour devenir un mâle de grande taille, aux crocs imposants et aux griffes mortelles. Nous t’avons toutes vu chasser : nous savons que tu es capable d’abattre un daurilim adulte sans aide, avec le seul recours de tes armes naturelles. De plus, immédiatement après tes chaleurs, tu t’es servi sur la première femelle disponible.

— Il m’a forcé, intervint Nanal d’une voix glapissante. Je n’ai rien pu faire !

Awhem tourna vers elle un regard noir.

— Yuja vous a vu. Et ce à quoi elle a assisté, c’est une femelle en chaleur attirant un mâle en rut hors de la vue du clan, pour pouvoir s’accoupler avec lui sans être dérangée.

Nanal tourna la tête, ignorant sciemment le regard surpris et blessé que Naryl posait sur elle.

— En soi, Nanal est libre de faire ce qu’elle veut : personne ne l’a jamais empêchée de rejoindre la chasse sauvage les nuits de lune rouge, même si nous pensons qu’ainsi elle met sa vie – et la notre – en danger. Mais là, c’est différent. Nanal ne te suffira pas, Naryl : bientôt, les fièvres te consumeront tellement que tu auras envie de saillir toutes les femelles du clan.

Naryl sentit qu’il était inutile de leur dire qu’il subissait les fièvres depuis longtemps, déjà, et qu’il était parfaitement capable de se contrôler. Elles ne le croiraient pas, et le jugeraient doublement menteur.

— Bientôt, tous les mâles qui rôdent aux frontières de ce territoire convergeront ici, attirés par ton luith. Il te faudra les affronter un à un avant qu'ils ne gagnent la caverne ou s'organisent pour nous attaquer. Tu devras passer tes nuits à rôder en lisière du territoire, prêt à te battre constamment pour défendre le clan et ses petits.

Naryl songea que c'était peu cher payé, au vu des risques qu'il leur faisait subir. Mais pourquoi les femelles, en sachant qu'il était capable de les saillir, voudraient le garder ? Même s'il prenait beaucoup de proies, elles étaient tout à fait capables de se débrouiller sans lui, et courraient moins de risques. S'il partait, les autres mâles ne remarqueraient pas leur présence.

— Une décision doit être prise, Naryl, conclut Awhem. As-tu quelque chose à nous dire ?

Cette fois, Naryl planta son regard dans celui de la matriarche.

— Oui. Je quitte le clan. Dès ce soir.

Étrangement, cette annonce sembla provoquer la consternation des femelles, qui s’agitèrent derrière leur masque. Du coin de l’œil, Naryl constata la mine défaite de Nanal, et, plus encore, celle de Yuja. Seule Awhem resta impassible.

— Très bien. Puisque c’est ta décision...nous ne te retenons pas, Naryl. Mais ne reviens jamais.

Naryl jeta un dernier regard à Awhem, ignorant sciemment Nanal et Yuja. Puis il sortit de la salle, laissant les femelles derrière lui.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0