Révélation

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Naryl avait longtemps attendu ce moment. Bien des fois, il l’avait répété dans sa tête, voyant danser la silhouette noire de l’usurpateur sur la paroi de la grotte où il dormait. Au fond de lui, il avait toujours su qu’il aurait le dessus, et cette puissance qu’il avait ressentie, courir dans ses veines comme un torrent de feu lorsqu’il affrontait Rhan le lui avait confirmé. Mais Asvgal était différent. Tellement différent... Naryl avait l’impression de se battre contre un mur de brume. Au lieu de venir à sa rencontre, Asvgal l’évitait, disparaissant si vite que Naryl s’en trouvait désorienté. Il frappait le vide, furieux. C’est alors que la douleur venait, fulgurante et inexorable. Asvgal le griffait, puis se retirait. Un coup, deux coups. Trois... et même quatre. Le torse et les épaules en sang, Naryl rugissait et hurlait sa rage.

— Bats-toi, espèce de lâche !

Seul un rire glacial, venu de ténèbres invisibles, lui répondait. Vint l’instant où Naryl n’y tint plus. La rage le consumait. Au fond de lui, il savait ce qu’il devait faire. Les vieilles légendes racontées par Eshm lui revinrent : l’histoire du Tombé et de la façon dont il avait tout vitrifié autour de lui. Lui aussi, il possédait au fond de lui ce pouvoir.

Ignorant les coups de griffe octroyés sans pitié par son adversaire, Naryl se figea, et il prit une grande inspiration, cherchant à se ramasser autour de lui-même, de ce centre brûlant qu’il sentait rayonner dans sa poitrine. Autour de lui, l’air parut se densifier, le temps se figer. Les oiseaux se turent. La nuit retenait son souffle.

Devant lui, Asvgal aussi s’était arrêté de bouger. Son intense regard rouge sondait Naryl, le mettant au défi d’exécuter sa menace.

Tu n’oseras pas, disaient ces yeux. Ce pouvoir n’est pas fait pour être utilisé. Pas ici. Pas comme ça. Tu le sais.

Finalement, mû par un obscur pressentiment, Naryl céda. Il relâcha son attention... et Asvgal se jeta sur lui.

— J’avais raison, grogna-t-il. Tu es dangereux. Et trop immature pour qu’on te fasse confiance !

Naryl comprit qu’il comptait l’achever. Lorsque le grand mâle le coinça sous lui, il se débattit, en vain. Asvgal était plus fort... tellement plus fort que lui ! Ses dents claquèrent près de sa gorge, trop près...

— Non ! hurla Naïhryn.

La femelle déboula comme un éclair blanc, venant s’entreposer dans la mêlée de plumes coupantes, de crocs sanglants et de crinières noires. Naryl en profita pour se relever, et asséner à Asvgal un coup si puissant qui lui ouvrit la joue et le jeta à terre.

Mais, une fois de plus, sa mère s’interposa.

— Non ! rugit-elle à nouveau. Non !

— Laisse-moi, maman ! hurla Naryl, hors de lui. Il a tué mon père, a essayé de me tuer à mon tour et t’a violée pendant d’innombrables cycles !

Mais la femelle insista, féroce. Elle empêchait Naryl d’atteindre l’autre mâle, et, dans un mouvement désespéré, elle le poussa de toutes ses forces. Son fils fut projeté un peu plus loin, hors de portée d’Avsgal qui, étrangement, ne cherchait pas à venir l’achever. Naryl se releva et darda un regard dangereux sur Naïhryn.

— Il faut encore que tu prennes son parti ! Lui, celui qui a tué celui que tu aimais, et abuse de toi toutes les nuits ! Apprécies-tu autant d’être une proie ?

L’ard-ael avait fait un pas en avant, menaçant.

— N’insulte pas ta mère !

Cette intervention redirigea la colère de Naryl sur sa cible originelle. Comment ce tyran osait-il se montrer protecteur envers Naïhryn, à qui il avait tout pris ?

— Et toi ! Tu as tué mon père, qui s’est battu une nuit entière pour protéger sa harde de tes ignobles appétits ! Il paraît que tu lui as ouvert le ventre, que tu l’as éviscéré et que tu l’as laissé agoniser sur un arbre au petit matin ! Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait cela ?

Asvgal ne répondit pas. Il laissa Naryl s’époumoner, lui hurler dessus. Mais Naïhryn s’était rapprochée de son fils, et posa une main apaisante sur lui.

— Naryl… Naryl. C’est lui, ton père. Pas celui qu’il a tué.

Naryl se figea. Il fixa sa mère, n’osant poser le regard sur la haute silhouette qui étendait son ombre derrière elle.

Lui… de qui pouvait-elle parler ? Se pouvait-il que...

— Non… non, ce n’est pas vrai !

La vérité apparut alors, dans toute son horreur. Celui qu’il avait tant haï, c’était donc son père ?

Alors que Naryl reculait, horrifié, Naïhryn se rapprocha pour le prendre dans ses bras.

— Naryl. Regarde-toi ! Tu lui ressembles comme deux lunes jumelles. Vous avez la même taille, la même corpulence, la même voix, la même chevelure, les mêmes yeux, le même visage… et les mêmes ailes. En te voyant tout à l’heure, ta sœur t’a d’abord pris pour lui !

Dans un sursaut désespéré, Naryl tenta de se dégager.

— Non ! C’est faux ! Tu mens pour le protéger !

Mais Naïhryn ne le lâchait pas. Ses bras d’aspects si frêles l’emprisonnaient comme un étau.

— C’est vrai. Je le sais : je le connais mieux que quiconque, je suis sa compagne depuis qu’il a ton âge. Je ne sais pas pourquoi tu t’obstines à t’opposer à lui : c’est vrai qu’il n’aurait pas dû te chasser de la grotte, mais finalement, il avait raison. Tu étais mûr pour ta quête et cela t’a beaucoup appris. Tu as réussi à te débrouiller sans nous, et nous sommes fiers de toi, Naryl.

Coincé entre les bras de sa mère, Naryl n’osait toujours pas regarder Asvgal. Mais, lorsqu’elle desserra son étreinte, il se rapprocha d’un pas.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Je pensais que tu le savais. Tu étais son seul petit. Cela paraissait évident à tout le monde.

— Mais tu m’as dit que mon père était mort !

— Le père de tes sœurs, oui.

Naryl se saisit de cette information immédiatement.

— Alors, il l’a bien tué ! exulta-t-il.

— Pour nous libérer, moi et les autres femelles. Laisse-moi te raconter.

Naryl chassa cette idée d’un revers de main.

— Je ne veux rien écouter ! Il t’a chanté des mensonges. Et toi, tu le crois !

— Chut, chuinta Naïhryn, apaisante. Assieds-toi et écoute.

Naryl finit par s’asseoir, à contrecœur. Du coin de l’œil, il jeta un regard furtif à Asvgal derrière sa mère. Ce dernier était resté debout, le visage toujours aussi insondable. Il ne disait rien, mais il écoutait, lui aussi.

Assise en tailleur devant lui, sans cesser de caresser la chevelure de son fils, Naïhryn se mit à raconter.

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