La biche

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La mort dans l’âme, Yuja remonta avec son pot rempli. Bien sûr, elle aurait pu tenter de s’enfuir. Mais Endhuu l’avait vue. Il connaissait son odeur, et saurait d’où elle était partie. Il l’aurait rattrapée immédiatement.

— L’ard-ael vient de remonter, lui fit remarquer une femelle qu’elle croisa en bas du tuyal. On va te préparer.

— Me préparer ?

— Pour ton initiation.

Yuja sentit son cœur s’accélérer. Elle ne voulait pas être initiée par Endhuu. Pas lui.

Mais les ellith se réunirent autour d’elle, et l’emmenèrent dans un petit bassin naturel qu’elle n’avait pas vu de prime abord, caché dans un petit bosquet. Une source d’eau chaude volcanique. Ici, on la lava, puis une femelle tatouée de la tête aux pieds vint ornementer son corps de peintures rituelles. Des cercles, des tourbillons, des lianes chargées de fleurs et une lune sur le front : les symboles de fécondité du Peuple. On la tartina aussi d’un produit à l’odeur entêtante, à la fois épicé et sucré.

— C’est le luith d’Endhuu, lui apprit une matriarche avec un demi-sourire. Si tu es réceptive à cette odeur, c’est une très bonne chose pour toi. Tu passeras un bon moment.

Un bon moment... avec cet énorme mâle affreux, et son énorme sexe, tout veineux et violet ? Yuja frissonna. On l’avait tartinée des humeurs de son rut, comme si elle lui appartenait déjà. Soudain, l’odeur lui parut terriblement déplaisante, et elle eut envie de vomir.

Mais les femelles la conduisaient déjà sur une dalle de pierre polie et surélevée.

— Allonge-toi là.

— Pourquoi faire ?

Mais deux ellith l’avaient déjà saisie par les bras, et poussée sur la table.

Deux autres lui écartèrent les jambes, tandis que la plus âgée glissait ses doigts sous le long pan de tissu qui cachait son pubis.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? cria Yuja.

— On te prépare. Reste tranquille.

Yuja se mordit violemment la lèvre en sentant les doigts de la femelle enduire son entrejambe du luith d’Endhuu. Elle badigeonna également son anus, puis tendit la main pour recevoir un long caillou poli, de forme oblongue.

— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Yuja, de plus en plus inquiète.

— C’est pour t’ouvrir un peu. Tu vas voir. Ça ne fait pas mal.

Mais c’était faux. En dépit des chaleurs, Yuja était tellement tendue que le caillou ne rentrait pas. Les femelles se regardèrent.

— Je risque de la blesser... je la trouve vraiment fermée.

— Tant pis. Il l’ouvrira lui-même, lâcha la matriarche, mécontente.

Elle fit signe pour qu’on relève Yuja.

— Tu es vraiment bête, marmonna-t-elle en rangeant son horrible caillou.

Yuja, les oreilles basses et l’air piteux, tremblait de tous ses membres. Et pourtant, à cause du luith, elle était trempée. C’était si humiliant !

Les ellith soufflèrent sur elle une poudre dorée, issue de nacre concassée, puis elles fixèrent des fleurs odorantes dans des tresses lâches et faciles à défaire. L’une d’elles ceignit la taille de Yuja d’une fine ceinture de gemmes, si fines qu’on aurait dit de la poussière d’argent.

— Tu es magnifique, observa la matriarche de sa voix grave. Mon fils va apprécier.

Son fils. C’était donc son fils, à qui elle l’offrait en pâture...

Une jeune femelle portant comme seule tenue des bracelets de coquillages et une longue chevelure tressée entra dans le bosquet précipitamment.

— Il arrive ! Il revient de sa visite à Saratha.

Saratha. La femelle enceinte.

— Il a fait vite, murmura la matriarche.

Elle jeta à Yuja un regard oblique.

— Il a hâte de monter cette jeune biche...

Yuja frissonna. La jeune biche, c’était elle.

Mais déjà, les ellith la poussaient dehors.

— Va le rejoindre. Nyr t’a laissé son khangg.

La dénommée Nyr, l’as ellyn du moment, se tenait de l’autre côté du bosquet, les bras croisés. Elle semblait furieuse, mais n’avait pas le droit de l’exprimer.

— Je... je veux pas y aller, protesta Yuja.

— Si. Tu le dois.

— Non...

— Hâte-toi. Il t’attend.

Yuja secoua la tête.

— Je ne veux pas.

— Petite ingrate ! Te rends-tu compte de l’honneur qui t’est fait ?

Le regard apeuré de Yuja alla de la matriarche à l’as ellyn qui la fixait avec haine, derrière l’assemblée des ellith. Elle n’avait aucune amie ici. Personne ne comprenait.

— J’en aime un autre...

— Ce Naryl ? Il n’existe que dans ton imagination.

— Non ! Il va venir me chercher.

— Ça m’étonnerait. Allez. Montre-toi raisonnable.

Raisonnable... c’était bien la première fois que Yuja entendait une telle injonction ! Mais les ellith la traînaient dehors. On la conduisit devant le fameux khangg — on la porta presque — sous le regard lourd et brûlant de désir des jeunes guerriers en faction. Aucun moyen de s’échapper. Aucun.

Le khangg de l’as-ellyn, absolument monumental, exhalait une sourde menace. Il était déjà dedans. C’était sûr. Yuja pouvait sentir son désir, sa voracité. Elle revit la taille monumentale de son membre, les chairs écartelées et la grimace de la femelle qu’il montait au bord de la rivière. Et elle allait subir ça à son tour.

— Non... non...

Mais la matriarche soulevait respectueusement le panneau de saule tressé. Toute une myriade de cristaux décoratifs se mit à tintinnabuler, renvoyant dans les ombres des rayons de lumière scintillante.

— Entre, fit la voix grave, profonde, du mâle.

On la poussa à l’intérieur. Derrière, la porte se referma.

Elle était seule avec son bourreau.

Assise à quatre pattes, Yuja releva un regard timide vers son environnement. Le khangg était plongé dans une fraîche pénombre, éclairé çà et là de boules de cristaux lumineux suspendus dans des filets de lianes tressés. Des petits coussins recouverts de soie s’entassaient sur de confortables banquettes. Et c’était sur la plus grande, au fond de cette construction complexe, que se trouvait Endhuu.

Son shynawil ouvert sur son torse épais, il fumait des champignons séchés dans une longue pipe en os.

— Bon ! La petite femelle.

Yuja darda sur lui un regard peu amène.

— Je ne suis pas une « petite femelle »...

— Tu es quoi, alors ?

— Une elleth qu’on a capturé et ramenée ici contre son gré.

— Navikhi dit que tu l’as suivi de ton plein gré. Tu errais dans la forêt quand il t’a ramassée.

— Peut-être. Mais ça ne lui donnait pas le droit de m’arracher ma liberté, et de me livrer à vous.

— Tu es en chaleur. Et vierge.

— Et alors ?

— Les femelles en chaleur ont besoin d’être saillies. Et les femelles inexpérimentées doivent être initiées.

Yuja releva le menton.

— Pourquoi ?

— C’est ainsi.

— Vous ne vous êtes jamais posé la question ?

Le gros corps d’Endhuu fut secoué par un rire caverneux.

— Ça, ta langue est agile... mais ne me fais pas croire que tu ne cherchais pas un mâle dans cette forêt. Un mâle pour te saillir.

— Oui, j’en cherchais un, répliqua Yuja. Mais ce n’était pas vous.

— Qui, alors ? Ce hënnel de Navikhi ? Il n’aurait pas su te déflorer dans les règles de l’art : il l’a reconnu lui-même en t’amenant ici.

— Pas Navikhi. Ni vous.

— Qui, alors ? Le premier qui passe ?

Yuja garda le silence. Que répondre ?

— Moi, répondit Naryl en ouvrant grand la trappe.

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