XVII — Un ours au sérail

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 Depuis trois mois, Sire Philarctos était un habitué du « Sérail », le groupe restreint que formaient le Duc de Terremerveille et ses ami·e·s.

 La Duchesse d’Oueca animait les conversations et en était l’arbitre à la demande du fondateur. Le Maréchal-Duc d’Olbatar, son « cher ami », se vantait aussi de ses exploits militaires et sentimentaux, qui étaient — à peu de chose près — la même chose à ses yeux.

 Le Baron Quin avait l’esprit le plus libertin ; il avait pris de l’âge, il n’avait pas gagné en sagesse. Le Maréchal de Bieda le supportait avec tant de bien que de mal. Passionné d’histoire, surtout celle qu’il avait vécu, le vieux militaire racontait d’une manière tout aussi passionnante un évènement du passé ayant piqué sa curiosité.

 Le Duc et la Duchesse de Veihong constituaient un couple d’âge moyen, s’étant rencontré sur les bancs de l’université, où iels avaient montré d’exceptionnelles capacités académiques. Issus de familles les plus fortunées du pays, ils profitaient d’un large réseau dans tout le pays.

 La Cour fut quelque peu surprise de voir Sire Philarctos intégrer le cercle du « Sérail ». On ne comprenait pas le Roi Patient :

 — Il ne voit pas que son fils naturel veut le pouvoir ! rit un courtisan.

 Le Comte de Naranje pestait :

 — Mon père m’a ordonné de ne pas me mêler des affaires du Bâtard : « j’ai une entière confiance en lui », ose-t-il !

 — L’automne change beaucoup l’esprit des hommes.

 De son côté, le Marquis d’Oueca était heureux de voir que son amoureux et sa mère passaient du temps ensemble :

 — Ma mère l’adore, elle me parle de lui avec les plus beaux termes du monde ! C’est une compagnie si charmante qu’elle serait très heureuse de l’avoir pour gendre.

 — Qui ne voudrait pas être proche du roi ? se moquait la Marquise, pince-sans-rire, sans que le Marquis ne s’en rendisse compte.

 Depuis le jour où elle avait eu sa dispute avec Sire Philarctos, la marquise était inquiète. Elle avait passé la porte du salon avec Sire Philarctos, se retrouvant en face d’une antichambre remplie de courtisan. La Marquise rejoignit le groupe des suivantes, qui allaient faire leur cour :

 — Le Roi est avec notre maîtresse depuis ce matin, chuchota Madame de Salvatore.

 — Ah, ça alors ! Ce n’est pas si souvent…

 Un couple sortit en faisant une humble révérence, puis on annonça ces dames du palais. Sire Philarctos fit la conversation avec un administrateur des postes, qui était bien aise de le trouver ici : un cheval s’était fait mal à une patte et il souffrait depuis la nuit dernière.

 — S’il vous plaît d’en toucher deux mots à la reine, ne sachant s’il faut euthanasier l’animal ou attendre.

 — Je vais lui en parler, soyez assurez. En attendant, suivez les conseils du vétérinaire.

 L’homme s’éclipsa et l’Écuyer de la Reine attendit cinq minutes avant que les dames ne sortent et qu’on l’appela. Il leur sourit et cligna de l’œil à la Marquise, qui le lui rendit bien.

 — Vos Majestés, mes hommages.

 — Sire Philarctos, répondit-elle en l’invitant à s’asseoir d’un revers de main.

 Comme il hésitait en présence du Roi, assis confortablement à côté de son épouse, cette dernière renouvela son invitation.

 — Quel plaisir de te voir, fils ! Comment s’est passée ta visite chez Terremerveille ?

 Sire Philarctos essaya de trouver ses mots.

 — Devons-nous en déduire que cela s’est mal passé ?

 — Oui et non…

 Il continua d’hésiter, de balbutier. Il réfléchit beaucoup, mais agacé de trop penser, il lâcha :

 — C’est un homme méchant ! Il frappe ses gens, qui ont peur de lui !

 Le couple royal se regarda. Le Roi soupira longuement, las.

 — Alors il a recommencé…

 — Si jamais il avait cessé, mon ami. Sire Philarctos, dites-nous ce que vous avez vu.

 Il leur raconta tout. Le Roi et la Reine paraissaient très attentifs au moindre détail. À la fin de son récit, ils semblèrent pensifs.

 — Philarctos, tu viens de confirmer nos derniers soupçons.

 — Quels soupçons, papa ?

 Depuis plusieurs années, le Duc avait fait profil bas, mais certains témoignages affirmaient qu’il était complice de l’invasion durant le mariage du Prince héritier et Dame Fleur-d’or. Faute de preuves, on n’avait pu l’inculper, mais sa fausseté était connue de tout le monde. Pour le surveiller et l’amadouer, il fut nommé à de hautes charges de l’État, jusqu’au secrétariat royal.

 — Ton frère te l’a dit, nous t’avons usé du même stratagème avec toi, pour la sûreté de l’État.

 — Nous demandons encore pardon d’avoir douté de vous, mais nous sommes heureux que vous êtes fidèle à la Couronne, Sire Philarctos.

 — Je serais votre éternel obligé, ma Reine… Et à vous aussi, père.

 Le couple royal se montra satisfait. Le Roi sortit une liste et la présenta à son fils :

 — Voici les noms de ceux que nous pensons être des conspirateurs, tous des favoris de Terremerveille.

 Sire Philarctos blêmit en voyant que celui de la Duchesse d’Oueca. Son amie d’Elchol avait raison.

 — Oui, Philarctos, elle avait raison. Elle avait raison et c’est pour cela que nous ne pensons pas approuver ton mariage avec le Marquis, s’il s’avère que les liens avec une quelconque conspiration sont avérés.

 — Mais enfin, protesta Sire Philarctos, il n’a rien fait !

 — Qu’en savez-vous ?

 La Reine avait froidement posé la question. Sire Philarctos la regarda quelques secondes ; il n’en savait rien, absolument rien. L’invitant profiter de l’amitié qu’on lui portait, le Roi lui demanda de fréquenter un peu plus le cercle ducal pour gagner leur confiance.

 — Vous pourriez être un pion facile : tout le monde vous connaît à la Cour, tout le monde vous apprécie pour être un « bon vivant ». Vous feriez un roi sympathique et, désintéressé par le pouvoir, le Duc vous chargerait de faire de la représentation, de traiter les affaires courantes. Ce serait lui, le maître du royaume.

 — Ma femme a raison, mais ne le dit pas à Naranje : il serait mécontent, ricana le Roi.

 Sire Philarctos réfléchit un instant, dépité.

 — Je suis au service de Vos majesté.

 Après avoir reçu quelques consignes, il quitta le couple souverain, sans trop de cérémonie ni joie, pour pleurer dans les bras de la Marquise, qui jura de garder le secret.

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