Chapitre 5 : Huit ans plus tard
Je ne sais même plus où est ce que je vis. En fait, j’ai complètement perdu la tête. Cela fait pratiquement huit ans que je cohabite avec des rats et des bouteilles de bière. Ma caravane ressemble à une véritable ordure. Tous mes habits sont entassés, la télévision grésille, la cuisine déborde de canettes vides dans le lavabo. Je suis assis sur le fauteuil en train de boire une nouvelle bière et avale tout le litre. Je regarde un vulgaire match de foot. Je décide d’allumer une clope et sens la fumée me détendre. Je reste au fond de mon canapé, jusqu’à ce que je remarque que j’ai mon ami sdf, Laurent, qui rentre. Je m’approche de lui et nous saluons de la main.
— T’as fait quoi de beau aujourd’hui ? dit-il avec une bouteille d’alcool dans les mains.
Je lui tends une cigarette et nous allons dehors pour fumer tranquillement.
— J’ai rien fait, comme d’habitude.
— Tu savais qu'il y avait une entraide cantonale pas très loin qui embauche ?
Je fais mine que je n’ai rien entendu et regarde le paysage, mélancoliquement en fumant ma cigarette.
— Ça fait longtemps que tu t’es pas rasé… T’as une plus longue barbe que la mienne.
— Oh la ferme Laurent.
Il est un peu blessé par ma remarque et me donne un petit coup de coude.
— Devine qui j’ai croisé aujourd’hui.
— Didier ?
Il secoue la tête en rigolant de toutes ses dents argentées.
— Il vend toujours de la drogue sur le marché noir ?
Laurent boit sa bouteille et me dit « yep ».
— Cela fait dix ans qu’il en vend et qu’il ne s’est jamais fait chopé.
— La boîte de nuit va bientôt ouvrir ? Ça fait longtemps que je ne suis pas allé à une soirée.
— Vu ta gueule, ça m'étonnerait que t’arrives à draguer.
Il se fout totalement de moi et je le fais taire en lui montrant ma batte de baseball.
— Rooo, on peut pas rire avec toi et si, si, ça ouvre dès demain.
Parfait, comme ça, ça va me changer les idées.
— Dis ? T’aurais pas une petite pièce pour que je m’achète un paquet ?
Je lui balance ma monnaie et nous nous quittons ainsi. Je jette ma cigarette par terre et l’écrase au sol.
Stupide vie, je vous jure.
* * *
Je sors d’une soirée complètement bourré. Je vois flou autour de moi. Je sais qu’il fait nuit et que je suis très seul. Je chante comme un taré dans toutes les rues, ce qui est très désagréable pour les voisins. Je continue ma danse macabre, jusqu’à ce que je tombe contre un lampadaire. Soudainement, je me mets à pleurer lorsque je revois les scènes de l’accident et la façon dont j’ai appris mon adoption. Je revois toute ma vie qui défile sous mes yeux… Je repense à ma stupide carrière de chef d’orchestre que j’ai fini par lâcher… Je revois mes grands parents qui me sourient chaleureusement et ma petite nièce… Je me mets à chialer et me relève, en ayant un terrible mal de tête et trouve un endroit pour dormir. J'aperçois une église sur mon chemin qui est encore ouverte. J’entre maladroitement en demandant aux statuts de se taire sous l’effet de l’alcool et rigole lorsque je vois le Christ sur la croix.
— T’es content hein ? T’es content de la vie que tu m’as donné ? Hé ouais mon gars, fallait pas me chercher.
Je bois devant lui, jusqu’à ce que j’ai terriblement mal à l’estomac et fini par m’écrouler de fatigue sur les bancs.
* * *
Une lueur apparaît sur mon visage. Je vois une belle lumière qui m’éclaire et qui m’attends. Je lui demande s’il ne peut pas dégager et vois soudainement, une nouvelle fois, ce prêtre qui est de dos. Il est en train de consacrer des hosties et je vois à côté de lui un ange qui le sert et le même homme que j’ai vu sur la croix. Il porte une couronne d’épine et continue de saigner. Cette fois-ci, il a une aube blanche et se tourne vers le prêtre pour le servir. En voulant voir son visage lorsqu’il se retourne, j’entends des voix qui me réveillent.
— Gabriel ? Vous m’entendez ? Gabriel ?
Je me réveille avec un terrible mal de crâne, jusqu’à ce que je remarque que je me suis endormi comme un imbécile dans l’église. Le curé de campagne, qui a l’habitude de me voir, soupire et m’aide à me relever.
— C’est bon, lâchez-moi, je ne suis plus un bébé.
— Mais vous êtes pâle, vous êtes très pâle. Vous devez cesser ces chamailleries.
— MON NOM N’EST PLUS GABRIEL LE CURÉ !
Il se tait, comme à son habitude.
— ET ARRÊTEZ DE ME PROVOQUER ! VOUS ME SAOULEZ AVEC VOTRE DIEU !
Sous la colère et sous les effets, je brise une petite statuette à côté de moi et me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. Je tremble tellement, que le prêtre vient s’asseoir à côté de moi, pour me rassurer.
— Allons allons, calmez vous Gabriel… C'est le fait que vous soyez bourré qui vous fait parler ?
Mon cœur recommence à me faire mal. Je sens qui bat mal. J’essaye de garder mon calme, mais impossible : la crise ne passe pas. Le prêtre ne sait pas quoi faire alors, je lui demande de fouiller dans ma poche. Il le fait et trouve une boîte à médicament. Il m’aide à l’avaler et j’y arrive. Je tousse violemment et il y a un peu de sang qui surgit sur mes vêtements. Il m’aide à m’allonger sur le banc et me donne un peu d’eau et de pain. Cela fait un petit moment que je n’ai plus mangé, puisque je n’ai plus d'argent… Je les prends sous l’effet de la faim et dévore la tartine en deux secondes. Il me donne une petite frappe à l’épaule.
— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas vous confesser ?
Je grogne lorsqu’il me pose la question et soupire devant ma situation.
— Écoutez Gabriel, vous ne pouvez pas rester comme ça… Moi ce que je vous conseille, c’est d’aller à l’entraide cantonale et d’aider Sixtine. Elle aura besoin d’aide et puis vous verrez bien, mes paroissiens seront généreux de vous offrir un peu d’argent et de quoi vous nourrir.
Je le pousse gentiment en soupirant et passe une main dans mes cheveux.
— Ils vont me prendre pour un clown en voyant mon état…
Très gentiment, le prêtre m’offre des habits et un rasoir. De son autre main, il tient des ciseaux.
— Je vais aussi en profiter pour vous couper les cheveux. Alors ? Vous voulez vivre ou mourir ?
Je n’ai pas trop le choix et souffle en prenant des habits. J’accepte en allant le suivre et nous nous dirigeons vers la cure. J’ai rencontré le père Adrien lorsque j’étais complètement bourré et que je m’étais retrouvé devant son église en l’insultant de tous les noms. Il est venu voir qui parlait et il m’a viré de chez lui. Depuis, il ne m’a plus jamais lâché…
Décidément, vous n’en finirez jamais avec moi, Dieu…
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