Chapitre 7: L’esprit missionnaire
Je suis dans ma caravane en train de regarder la croix au bout du chapelet. Décidément, cet objet m’hypnotise… J’entends brutalement la porte s’ouvrir et vois mon ancien ami Laurent, complètement bourré qui tient une jolie femme à côté de lui.
— Ba alors tête de rat ? Tu ne viens pas avec nous fouiller dans les poubelles ?
— Non pas maintenant Laurent, j’ai un rendez vous ce matin.
— Hein ? Depuis quand as-tu des rendez vous ?
Je pars sans dire un mot et me dirige vers les bidonvilles. Pourvu que Sixtine soit là…
* * *
J'ouvre l'ancienne porte de la maison pour aider les deux personnes âgées. Malheureusement, je n’arrive plus à voir celle qui était à côté de madame Rose. Je la regarde, qui ne dit pas un mot.
— Où est votre amie ?
— Qui ça ? Alice ?
— Dites moi où est-elle !
Je commence à m’énerver lorsqu’elle ne me le dit pas. Je suis à deux doigts de lui donner un coup de poing, mais Sixtine arrive à temps avec des affaires de secours et m’éloigne de Dominique.
— Gabriel ! Ça ne sert à rien de te mettre dans ces états là !
— Alors dis moi où est Alice ?!
Elle met du temps à répondre avant de coudre ses lèvres.
— Je…
— Elle est morte, répond un petit garçon.
Je le regarde, stupéfait de sa réponse.
— Non mais je rêve ? Dites moi que c’est une blague ?
Je tourne sur moi même en ne sachant pas quoi faire. Je commence à péter les plombs et à donner des coups de pieds dans des déchets.
— Pourquoi ne l'avez-vous pas emmené à l’hôpital ?
— Parce qu’elle ne voulait pas mourir dans cette « pourriture », disait- elle… Elle n’avait aucune envie que les médecines l’euthanasie.. Elle est morte pour la plus grande gloire de Dieu…
Je suis stupéfait. J’ai envie d’étrangler Sixtine, mais je ne le fais pas. Au lieu de ça, je tombe sur une pile de briques et me mets à pleurer. Sixtine, qui me voit pleurer pour la première fois, s’assoit à côté de moi et s’excuse de ne pas m’avoir prévenu qu’elle était mourante.
— Non non ça ne fait rien… De toute façon, on passe tous un jour par là…
Nous laissons un moment de silence avant que je me relève et que je fasse demi-tour, mais Sixtine m’en donne l’interdiction.
— Qu’est ce que tu fais Gab ? Tu veux abandonner maintenant ? Alors que tu n’as encore rien vu ?
— Fiche moi la paix Sixtine.
— Assez Gabriel de tes caprices !
Nous nous arrêtons de parler. Le vent souffle dans les cheveux roux de Sixtine. Elle commence à en avoir marre de mon comportement.
— Maintenant tu prends tes affaires et tu viens m’aider !
— Non je ne veux plus t’aider…
— Pourquoi ? Pourquoi tu ne veux plus m’aider ?
— J'EN AI MARRE DE VIVRE DANS UN MENSONGE !
Je reprends mon souffle pour continuer le récit.
— Pendant toute notre vie on nous a menti, d’accord ? On nous dit que tout va bien, que ce n’est rien de grave ce qu’on a et qu’on va s’en sortir mais non Sixtine ! Non ! Un jour, notre vie s’effondre comme un tas de merde et on doit se démerder pour aller mieux ! Oh mais regarde moi ! Comme je respire la joie de vivre comme ces gens qui crèvent dans la rue ! Mais les gens n'ont rien à foutre de nous ! Ils nous mentent en nous disant « mais ce n’est pas grave, ça va aller » et résultat, notre état s’empire !
Elle ne dit plus un mot devant mon discours avant de poursuivre mon récit.
— Et toi ? Comment est-ce que tu réagirais si tu apprenais que tu étais adoptée ? Hein ?
Elle ne sait plus quoi dire, à part s’excuser, mais je m’en moque royalement.
— Et arrête de m’appeler Gabriel.
— Tu veux que je t’appelle comment ?
Je hausse les épaules en riant nerveusement.
— Embryon peut-être ?
Sixtine commence à hurler. J’ai eu peur sur le coup.
— Bon Gabriel.
— Embryon s’il te plaît.
Elle soupire devant mon nom ridicule.
— Tu penses sincèrement que la vie est facile ? Que pour Dieu s’est facile aussi de te voir comme ça ?
Je peste en voulant l’ignorer, mais elle veut que je l’écoute.
— Gabriel, je sais que c’est dur pour toi et je suis profondèment désolée pour ton adoption... Certes, pour toi la vie n’est que mensonge, et qu’elle est pourrie, mais regarde Gabriel. Regarde les autres. Tu penses que pour eux c’est facile aussi de se lever chaque jour sans voir leur famille ? De se dire qu’ils ont été bannis de ce monde ? Pour certains, ils n’arrivent même plus à se lever de leur lit et pour d'autre, leur état de santé s'empire... Tu n’es pas le seul Gabriel à avoir une vie difficile. Toi tu as de la chance, tu peux marcher et encore travailler, mais regarde eux… Ils n’ont même plus de quoi se nourrir et de profiter pleinement de leur vie. Franchement, moi je n’ai qu’une seule chose à te dire : tu perds ton temps.
Elle part sans que je ne dise quoi que ce soit. Elle m’a bien cloué le bec. Je soupire en remarquant qu’elle avait oublié la trousse de secours. J’hésite à rentrer chez moi et à fumer des clopes, mais je repense à ce qu’elle m’a dit. Elle n’a pas tort.. Il y a des gens qui crèvent de faim et qui ont une vie bien plus misérable que la mienne… Quel débile je suis…
* * *
Lorsque Sixtine aide un petit à soigner sa blessure, j’apporte la trousse et je l’aide à s’asseoir sur un mur pour le guérir. Elle est heureuse de me retrouver et nous nous donnons le même rendez-vous pour la journée de demain.
* * *
Depuis, c’est devenu un rituel. J’aide les pauvres, et en échange, j’ai le droit à quelques sous que la paroisse nous offre. Je suis un peu plus heureux, même si je vois que la misère est grande dans notre monde… Cela m’occupe un peu l’esprit et je peux voir de nouvelles personnes. Je m’entends assez bien avec les enfants, mais depuis quelques jours, je reste distant lorsque Sixtine se rend à sa paroisse pour aller à la messe. Je reste dehors lorsqu’elle termine, mais une fois que tout le monde sort, je rentre dans l’église, mais à peine dix minutes et repars…
Cela fait plusieurs jours que je vois le même prêtre, sans trop pouvoir découvrir son visage… Et je revois le même gars… Jésus-Christ qui porte une croix et il ne m’adresse même pas un seul mot… Je ne sais toujours pas ce qu’il me veut, mais une chose est sûre, c’est que j’aime beaucoup aider les autres, maintenant que je parle avec eux et que je m’entends assez bien. Nous rigolons bien avec le père Adrien qui apporte de la nourriture et de quoi nous faire des leçons de catéchismes.
Un soir, lorsque nous nous quittons pour regagner nos logements, je revois l’église, là où je me suis endormi brutalement. Je soupire en levant les yeux au ciel et rentre. C’est la première fois que j’ai des frissons lorsque je remarque qu’il me regarde tout en haut de sa croix. Je me mets sur un banc et me masse le visage. Puis, je décide de me mettre à genoux sans que personne ne voit et je ne sais pour qu'elle raison, je commence à me confier.
— Je ne sais absolument pas pourquoi je te parle, mais j’ai l’impression que tu me cherches un peu, je ne me trompe pas ?
Je fixe la grande croix où le regard du Christ est souffrant. Je soupire en remarquant qu’il a des gouttes de sang sur son visage. Il me fait de la peine, jusqu’à ce que j'entende le prêtre, refermant les portes de l’église.
— Gabriel ? Tu ne voudrais pas te reposer après la longue journée que tu viens de passer ?
Je me retourne pour lui parler.
— Non non ça va… J’ai… besoin de me confier…
Il ferme la porte à clé et se dirige vers moi.
— Je vous écoute mon fils.
C’est la première fois que je vois un regard si tendre dans les yeux du prêtre et fixe la croix après qu’il m’ait parlé. Il se retourne pour la regarder et rit doucement.
— Il me fait penser à quelqu’un.
Je suis surpris de sa phrase.
— Une personne qui souffre et qui a besoin d’aide, je ne me trompe pas ?
Je lève les yeux au ciel en disant que je n’avais nullement besoin de secours.
— Et pourtant, lui il en avait besoin lorsqu’on la crucifier et vous savez ce que Dieu, son père lui a répondu ?
Je secoue la tête.
— Rien.
Je suis assez surpris.
— Tu vois, Gabriel, lorsque Jésus-Christ s’est retrouvé face à sa croix, il la portait. Or nous, ce que nous faisons, les hommes, au lieu de la porter, nous la balançons ou nous l’écrasons sous l’effet du diable. Nous sommes pas comme le Christ qui a porté nos péchés… Bien au contraire, nous ne faisons que de le clouer tous les jours sur sa croix en lui faisant du mal, puisque nous sommes nés dans le péché…
Pour la première fois, je suis attentif à ce qu’il raconte.
— Et toi Gabriel ? Que ferais-tu si tu avais une croix devant toi ?
Je ne sais pas à vrai dire… Je la laisserais par terre et je partirais… Il me laisse réfléchir, jusqu’à ce que je ferme les yeux et je pense à cette croix. J’imagine que cette croix est la mienne et plus je m’en approche, plus je vois des bouteilles d’alcool par terre et des paquets de cigarettes. Il y a de la fumée partout et soudainement, mes habits changent et je vois que je porte une tunique blanche, trouée.
Il y a des enfants qui courent autour de moi et je leurs demande de ne pas marcher sur les bouts de verre. Je cours pour aller les sauver et me vois soudainement couler dans un bain d’alcool. Je ne comprends pas trop ce qu’il m’arrive alors, je nage dans l’alcool jusqu’à arriver à la surface. Les enfants ont disparu et je me retrouve tout seul, dans un décor noir. J’appelle de l’aide, mais il n’y a personne qui me répond. Puis, je revois la croix alors, je marche, mais plus je marche, plus le sol devient dur, comme une terre séchée. Il fait chaud et je commence à avoir soif… Et soudainement, il y a de l’encre noir qui sort de ma peau… Je ne comprends vraiment pas ce qu’il m’arrive, avant que je ne vois trois petits diablotins qui essayent d’enlever l’homme sur la croix et qui commence à lui faire du mal.
— Non arrêtez… ARRÊTEZ !
C’est la première fois que je réagis devant une situation pareille. Je fais fuir les trois diablotins, aide l’homme à descendre de sa croix et l’allonge sur le sol. Je le vois enfin respirer et c’est la première fois qu’il me regarde. Mon cœur rate des bonds et je veux appeler un médecin pour l’aider à le soigner, mais il m’en empêche en sortant de ses mains une baguette.
— C-comment vous savez…
Je n’arrive pas à croire… Mon ancienne baguette de chef d’orchestre. Il me demande de m’approcher de lui et soudainement, il m’attrape par les bras en me faisant un câlin. C’est la première fois que je me sens consolé. Je commence à pleurer toutes les larmes de mon corps en lui demandant pardon pour tout ce que j'ai commis. Je revois ma famille, mon métier, mes moments de joie…
— Rien n’est encore perdu, mon fils.
Je suis surpris de voir qu’il me parle enfin. Je prends ses mains, les larmes aux yeux et lui demande comment est-ce que je peux réparer tout ça. Il me montre mon cœur en me disant :
— Change ton cœur et convertis toi, Gabriel. Je t’ai façonné dès le sein de ta mère et je t’ai créé non pas pour que tu détruises ta vie, mais pour que tu puisses la poursuivre.
Je suis sous le choc.
— Qui ? Qui est ma mère ? Je veux le savoir..
Il me sourit, le sang au visage à cause des épines qu’il porte sur la tête.
— Tu le seras tôt ou tard, mais j’ai besoin de toi, mon fils… J’ai besoin de toi..
Le décor disparaît soudainement et je regagne peu à peu mon esprit qui s’était endormi.
Annotations
Versions