Chapitre 34 : Mettre le doigt dans l'engrenage.

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Les rues sont silencieuses, un exploit pour un village Kitsune ! On entend bien du bruit venant des maisons, petits théâtres domestiques permanents, mais pas de paysans braillards sur les porches, pas de tavernes dégorgeant leur trop-plein de soiffards dans la rue. Ce n'est pas que les gens ici soient puritains, c'est que l'armée veille.

J'ai entendu à une rue de distance quelque frapper une petite cloche portative en annonçant que le couvre-feu va bientôt entrer en vigueur. Le comptoir Tachibana est un ensemble de deux bâtiments : une boutique donnant sur la rue principale et un hangar donnant sur une rue transversale. Notre guide Nezu nommé Solonee nous fait entrer dans la boutique... et ferme à clé derrière nous !

-Nous avons l'intention de repartir...

-Pas de visiteur maintenant c'est fermé de toute façon la boss attend près de la caisse !

Sautillant, le Nezu se dirige vers une porte et s'éclipse vers l'arrière-boutique. Je regarde autour de moi.

Dommage que je joue le rôle d'un moine.

Cet endroit n'a rien à voir avec l'épicerie de Haute-côte qui ne fournissait que le minimum nécessaire à la vie de tous les jours. Il y a là des couverts fait en un métal poli, des assiettes de porcelaine fragiles mais si belles par rapport à celles en argile cuite, des rouleaux de toiles de couleurs variées pour se tailler de beaux habits de fête... J'ai l'impression d'être de nouveau un gamin et de me trouver dans l'antre du Bienfaiteur juste avant la fête de la clôture de l'hiver. La marchandise se trouve sur des étagères faisant tout le long de la pièce sur les murs latéraux et sur un ensemble de petites tables délicates disparaissant littéralement sous les objets multicolores.

Ici, rien à manger, juste du plaisir.

Un bruit me fait me retourner. Terros progresse d'un pas déterminé vers un ours en peluche version grande taille et la centaure freine des quatre fers, tentant de le retenir par la taille. De l'autre côté, Zanathi est scotchée à un présentoir de colifichets, masquant son visage avec la capuche. Rada, lui, est tombé en arrêt devant un assortiment de couteaux de cuisine.

Je suis le dernier membre de la troupe encore indemne, tout le monde étant tombé au champ d'honneur.

Avec un soupir, je me dirige vers la caisse.

La Neko se trouve derrière un comptoir si massif qu'on l'aurait dit sculpté dans une seule énorme pièce de bois. Habillée en ménagère avec son joli petit tablier blanc sur une robe de toile bleu foncée, elle a en plus une jolie petite coiffe en dentelle totalement inutile mais absolument indispensable pour augmenter son pouvoir de séduction de 400%. Avec ses longs cheveux noirs assortis au pelage de ses oreilles et de sa queue qui se balance doucement, elle fredonne une chanson tout en vérifiant des papiers. Se rendant enfin compte de notre présence, elle lève les yeux sur moi avec un grand sourire, pas effrayée pour un sou.

-Bonjour cher client ! Que puis-je faire pour vous servir ?

J'ai la couverture de moine qui fond si vite qu'on dirait qu'elle brûle.

-Ah, heu... he bien... heu... vous aviez demandé... à me voir. Non ?

Elle rit tout en souriant, fermant les yeux et penchant la tête sur le côté.

Impact critique au cœur.

-C'est vous les moines itinérants ? Je vais très bien merci !

Elle regarde alternativement les différents membres de la petite troupe avant de revenir à moi.

-En fait, vous pourriez me rendre un service. A cause de tooouuuus les monstres sur la route, je dois confier l'arrivée et le départ de marchandises aux soldats.

-Heu, les routes sont...

-Remplies de monstres, je sait, je sait !

-Je veux dire que...

-Ah la la ! On n'est que deux Nekos pour faire tourner la boutique ! Et encore, je suis arrivée juste avant le bouclage !

-Heu...

-J'ai un message pour quelqu'un de la ville !

Je préfère ça, j'avais la désagréable impression qu'elle allait me pousser à faire de la contrebande.

-Si je suis amené à rencontrer la dite personne, je me ferai une joie de transmettre le message. En quoi consiste t'il ?

-J'arrive.

-Pardon ?

-J'arrive.

-Vous arrivez ?

-Non, le message c'est « J'arrive ». Je vais vous le noter.

Et elle prend une belle plume de cygne à pointe en métal pour inscrire sur une feuille blanche le message laconique, le fermant soigneusement à la cire chaude avec le sceau de sa compagnie commerciale. Elle me tend le pli avec un grand sourire. Déboussolé, je le prends.

-Quel est le magasin où je dois déposer ce message ?

-Pas la moindre idée ! Vous devrez sûrement lui courir après !

-Hein ?

-Elle bouge beaucoup et n'aime pas rester sur place. Essayez de lui donner ça discrètement. Non, je crois que je me suis mal exprimée...

La Neko se penche en avant un doigt sur les lèvres.

-Personne ne doit savoir que vous lui avez donné un message. Elle est surveillée, mais je pense que vous y arriverez.

-De qui diable parlez-vous donc ?

-De la fille la plus jeune du Fermier Général, mademoiselle Isabella Rezzi.

-Je ne suis qu'un humble moine, j'ignore si on me laissera approcher d'une personne aussi haut placée...

-Hi hi hi ! Ne soyez pas si modeste ! Vous avez réussi à faire entrer un ours et une adepte de la magie noire dans un village sous blocus au nez et à la barbe des militaires ! Sortez de la boutique, prenez à droite et dans deux cent mètres à gauche. Il y a là une chapelle et dans quinze minutes il y aura une cérémonie. Les soldats vous laisseront passer si vous leur dites que vous allez à Saint Pepe. Au revoir !

Surpris, j'active Analyse.

Nom : Tachibana

Prénom : Mégumi

Niveau : 23

Exp : 1704 / 2300

Clan : Neko

Âge : 22 ans

Taille : 1m51

Métier : Marchande Niv.7

Titre : Mascotte

Points de vie : 126/127

Points de magie : 23/23

Etat : Joie

Une marchande avec un tel niveau général ? Et elle doit avoir une compétence du même genre que Analyse pour avoir percé à jour Terros et Zanathi.

Ça pue cette histoire.

-Dépêchez-vous !

-Heu... soit... Mais vous pensez que nous voudrons faire ça ?

Si elle veut me faire chanter c'est le moment. Il faudra interrompre la mission et retourner au fortin mais je ne veut pas risquer la vie de tout le monde si on est tombé dans un guet-apens.

-Oh que oui vous le ferez ! Parce que cette histoire impliquera tous les habitants de la Ferme à un moment ou à un autre et avoir la gratitude du Fermier Général vaudra de l'or.

On murmure entre nous tout en marchant vers la chapelle.

-Piège !

-Muh !

-Ce n'est pas à quelqu'un qui a volé une peluche de me faire la morale.

-Muuuuh...

-Quoi ? Mais, Maître, je suis pourtant parvenue à l'empêcher de faire main basse sur cet énorme bibelot.

-Et tu ne l'as pas vu empocher l'une des petites peluches posées à côté. Je parie que c'était son objectif dès le départ ! Ne fait pas cette tête, je suis un Kitsune et donc la toute dernière personne à pouvoir te reprocher de te faire plaisir ! Blague à part, ce n'était pas une Neko ordinaire. Elle a un niveau 23.

-†Et comment a t elle a sut que je suis une pratiquante de la magie des ténèbres ?†

-Épaule...

-Depuis que tu maîtrise l'invocation, on peut sentir la présence de Miro quand on se concentre un peu.

-Peste ! Sommes-nous découverts et devons-nous nous replier vers le fortin ?

-On continue.

-Pourquoi ? Danger !

-On n'a encore rien appris ! Ce blocus n'a aucun sens à part pour nous pourrir la vie et c'est beaucoup d'efforts pour agacer une poignée de trappeurs. On va déposer la lettre. Au moins, même si on n'a pas les remerciement de la fille du Fermier, on aura ceux de la Neko. Et avoir une amie marchande serait très utile aux Briseurs !

-†Et si cette sublime demoiselle ne fait rien d'autre que de nous jeter dans un piège ?†

-Dans ce cas, Rada s'envole vers le fort et revient avec sa mère et une armée d'ours en colère.

Chacun pèse le pour et le contre. Reconnaissant qu'on n'avait encore rien trouvé et que le message n'a rien de compromettant, on décide de continuer à l'unanimité.

Moins une voix.

Je ne suis pas convaincu par mes propres arguments.

Je n'ai jamais entendu encore parler d'une histoire où une marchande Neko conspire de cette façon. Ils sont l'honnêteté et la droiture même en ce qui concerne les affaires commerciales. Ce n'est donc pas pour assurer de meilleurs prix ou pour avoir un monopole qu'elle se mouillerait.

Ce n'est pas pour l'argent, ni pour les affaires.

C'est donc important.

Et grave.

Et on y va avec pas un seul d'entre nous qui a plus de 17 ans.

Oh misère...

Le village suivant fut une réédition du premier. Nous avons évité une petite embuscade de Giacomo et de ses hommes grâce à la Détection de Zanathi et de l'appui aérien de Miro, contournant la zone pour rejoindre une autre route menant vers Jardin Bleu. La voie est beaucoup plus large et mieux entretenue, étant même dallée par endroit.

Jardin Bleu est bien en vue et, comme il fallait s'en douter, il y a quelqu'un à l'extérieur de la porte pour vérifier nos Livres. On ne montre que la couverture extérieure, conformément à la loi. Rada retient juste à temps la centaure qui allait faire apparaître le sien !

Sans la moindre difficulté, nous pénétrons dans l'enceinte extérieure de la ville.

-Ces hommes étaient bien plus polis que ceux des villages.

-†Vous avez remarqué ? Il y avait quelqu'un avec un autre uniforme qui surveillait. Sale et mal ajusté.†

-Zanathi ? Niveau soldats... dans ville ?

-†Zéro.†

-Plaisanterie ? Aime pas...

-Je ne crois pas qu'elle plaisante. Elle veut dire qu'il n'y a pas de soldats à l'intérieur, juste les membres de la Milice !

-J'ai cru comprendre que certains de ces damoiseaux sont des connaissances de sires Hank, Sham et des trappeurs. Si nous les cherchions pour obtenir de manière aisée le savoir qui nous fait défaut ?

-Muh !

-Terros a raison, il ne faut pas faire ça. Ils ne nous connaissent pas.

La ville extérieure est en fait une espèce de gros village. Elle rassemble tous les corps de fermes ainsi qu'une bonne quantité de champs. Je suis un peu surpris par ça, les autres villages ne protégeant que les maisons, mais il faut reconnaître que ça procure l'avantage de récoltes garanties sans saccage par des monstres ou des animaux. Ce serait agréable à regarder si il n'y avait pas autant de personnes louches à nous reluquer depuis les ruelles.

-†Cet endroit a été souillé...†

-Beaucoup... personnes bizarres... danger ?

-Ne ralentissez pas. On dirait bien que tous les pauvres de la ville vivent à l'extérieur des remparts internes.

Si les corps de ferme sont en bon état on ne peut pas en dire autant des quartiers d'habitation. La plupart ont des fenêtres bouchées par du tissu, voir des planches. Les parois ont l'air mûres pour s'écrouler et les toits sont rapiécés de bric et de broc. On dirait qu'on a cessé de les entretenir depuis des années.

-Quel manque de savoir-vivre ! Peuh !

-†Kuhuhu... Quelle cruauté de la part d'un être sauvage dormant à même le sol†.

-Möngke !

-Ce n'est pas après les habitants que j'en ai sire Rada ! Ces pauvres hères sont les employés des fermes, des paysans sans terre qui servent sous les Nobles. Leur demeure aussi leur est fournie par ceux qui les emploient et je trouve ce traitement méprisable !

Tout le monde ouvre l'oreille. Après tout, la centaure est celle qui a le plus vu du pays dans l'équipe.

-S'il est vrai que la tradition des petits villages est celle de propriétaires terriens, il n'en est pas de même en ville. Des paysans riches, à force de rachat de propriétés, se retrouvent à la tête de pâtures trop grandes pour que eux et leur famille puissent faire front. Ils louent alors les services d'autres métayers à qui est confiée une portion de la terre à cultiver et une place dans un logement lui est attribué. Le paiement peut être en espèce, à savoir une fraction de la récolte. Mais la plupart des métayers préfèrent le paiement en Ke, le côté aléatoire du fermage pouvant entrainer disette, voir famine. Mais jamais encore je n'ai vu un aussi mauvais traitement de ses employés...

Pourquoi Hank et les autres n'ont pas réagi ? Pourquoi ils n'ont pas trouvé ça suspect ? Oh, c'est vrai qu'ils ne s'approchent pas de la ville et Nektaria est du genre à se concentrer sur les déplacements de troupe.

La situation pourrit donc depuis longtemps et l’abcès est sur le point de rompre. Je ne vois pas d'autre raison à ce soudain cloisonnement des habitants. Encercler la ville avec une armée peut en effet calmer les ardeurs d'une révolte paysanne.

Minute, c'est valable pour la ville mais pourquoi bloquer aussi les villages ?

-Bizarre...

-Quoi, Rada ?

-Pas de greniers...silos...

-Ils doivent être à l'intérieur des remparts. C'est là qu'on va de toute façon.

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