Chapitre 82 : Arrivée douce-amère. D'accord, très amère.

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J'ai envie d'embrasser le sol.

Je me retiens, pas par dignité, mais parce que l'on a visiblement déchargé des cageots de poisson à cet endroit avant notre arrivée.

Et que je n'ai pas envie de retrouver mes lèvres gercées collées au sol glacial.

Je me suis assez humilié pour le mois.

La grue est rentrée en action, aidant celle du quai pour déposer deux fois plus rapidement le maigre chargement.

Maigre par rapport à la taille du bateau, j'entends !

-D'jà fini ! Dommage !

-Marcello, tait-toi !

-Roh, t'plaint pas la Vero ! P'dant tout c'temps t'a pas eu à faire la popotte !

-Tu me fais honte...

-Mais attends ! Roh, la vache, c'est lourd !

Voila des voix qu'il est agréable d'entendre. Même après que je me sois porté mieux, je ne me suis pas amusé à explorer le bateau, craignant qu'il se décide à recommencer à tanguer si je ne le surveille pas depuis le pont. Isabella Ricci est déjà partie en direction de la sortie du quai, escortée par des gardes Hatos dans une armure resplendissante. Nous, on aide le vieux couple à réunir les affaires dont ils ont la charge et on pousse la carriole fournie par le port pour amener tout ça au hangar dédié.

Nos propres affaires sont déjà sur notre dos. Vu que l'on a utilisé en tout cinq repas de mon Inventaire, j'ai mis les affaires les plus encombrantes à l'abri à l'intérieur de mon Livre.

On est censé pousser à bout de bras le chargement. Möngke rechigne à jouer les chevaux de trait et je la comprends. A l'aide d'une corde tirée à l'épaule, elle nous aide quand même.

Alors qu'on avance le long du quai de pierre et que le Dedalus s'écarte déjà, en route vers les quais Templier tout proche, je remarque quelque chose d'étrange.

Il y a une femme assise sur le quai qui me regarde intensément.

Je sait, c'est ce que se disent tous les hommes quand une belle femme regarde dans leur direction.

Sauf que je l'ai vu de loin et elle regardait droit devant elle, vers l'eau, et ce n'est que quand on était à une centaine de mètre qu'elle s'est brusquement tournée en notre direction.

Elle porte un habit bleuâtre fait de grandes toiles qui dissimulent une bonne partie de son visage. On sait que c'est une femme car les toiles sont serrées à la taille par une large ceinture qui met en valeur ses atours féminins.

Pourquoi je sais qu'elle me regarde moi et pas une des autres personnes qui poussent la carriole ?

Parce que je suis la seule personne à la voir pardi !

Je pense que c'est le bon moment pour préciser que je déteste les histoires de fantômes, de revenants et autres spectres.

Ce n'est pas pour rien qu'une Kahlee poids plume est parvenu à me faire claquer des dents pendant la majeur partie de mon adolescence.

-Je vous dis qu'elle est là ! Jolie silhouette mais le visage dissimulé ! Je ne vois même pas les cheveux !

-Maître, je ne vois rien. Vous souffrez peut-être des suites de la traversée.

-Malgré ma sensibilité à la magie je ne perçois rien non plus...¬ Étrange...¬

-Étrange comment ?

-†Elle veut dire que comme moi on ne sent pas de mana du tout à cet endroit. Par nos sens affûtés par la magie, on sent comme un « trou » de mana à cet emplacement.†

-Si vous vouliez me rassurer, c'est gagné !

Trois personnes par contre m'inquiètent davantage. Parce qu'ils ont senti la personne et ont décidé de ne pas s'en inquiéter. Terros qui a juste jeté un coup d’œil, reniflé puis continuer de pousser ainsi que Croc et Griffe qui, galopant en avance, sont allés remuer de la truffe près de l'inconnue avant de reprendre leur marche et de nous attendre au bout du quai.

Je ne risque rien.

Pas vrai ?

Hein ?

Maintenant on est assez près pour que je puisse voir ses yeux. Ils sont blancs. D'un blanc laiteux vaguement inquiétant.

Elle est aveugle.

-Il avait raison...

Là, tout le monde entend sa voix ! Une voix glacée capable de filer la pétoche même à Zanathi.

-Tu es comme eux. Débordant de vie...

-Heu... pardon ? Qui ça ?

-Mais tu es avec les Templiers à bord du Dedalus. Qui est-tu ?

-Frère Mattéo.

Ne m'en voulez pas mais je ne supporte pas le contact de ces yeux morts sur moi. Chacun ses terreurs, hein ?

-Frère ? Tu n'es pas moine. Tu n'es pas guerrier. Tu n'es pas artisan... Tu es... fermier ?

J'y crois pas... Ne me dites pas que...

-C'est étrangement... familier. Ce n'est pas un Livre. Pas un Livre normal...

Analyse. Elle a un niveau monstrueux en Analyse qui lui a permit de lire toutes mes Compétences et même de comprendre la nature d'Anomalie de mon Livre ! J'ai l'impression que ses yeux fouillent mon âme, vérifiant tout de moi et classant à part ce qu'ils n'aiment pas pour s'y consacrer plus tard.

-Je le sent... Il t'a bénit... le Maudit...

Ce ne sont plus des paroles. C'est de la glace vocale. Des icebergs narratifs.

-Hein. Elle ? Elle aussi ?

Bienvenue sur les plages de sable blanc et les eaux turquoises.

Le ton froid a totalement disparu sous le choc de sa surprise. Les yeux aveugles me regardent toujours mais le côté malsain en moins.

Elle pousse un rire sans joie.

-J'ai hâte de voir ce que tu feras... être à la fois bénit et maudit.

Et elle se laisse tomber à l'eau ! Tout le monde voit et entends le choc de l'être pénétrant l'eau glacée et on court vers le bord du quai, abandonnant le chargement à Terros qui gémit de rage.

Rien.

Même pas des bulles d'air.

-Elle n'a quand même pas pris la peine d'user de tant d'artifices pour pouvoir vous parler avant de mettre fin à ses jours, Maître !

-†Son niveau de dissimulation est terrifiant... Kahlee ? C'est possible avec Évanescence de nager sans qu'on te voit ?†

-Non.¬ Avec Fantôme on peut passer à travers des portes ou des meubles mais si on fait ça dans l'eau, on coule.¬

-Sans fantôme ? Donne quoi ?

-On verrait les éclaboussures.¬ La trainée.¬ Quelque chose...¬

Si ils n'avaient pas entendu la voix et l'éclaboussure ils auraient cru que j'ai rêvé.

Bénit et maudit.

En voilà un séjour qui démarre bien !

On est arrivé un peu avant midi. On a reçu un repas léger, bienvenu pour moi dont l'estomac tient du tonneau de viande pas fraîche abandonné des semaines au soleil.

Ce n'était pas une délicate attention.

On passe devant le Conseil.

Immédiatement.

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