Chapitre 18 : Mélange

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Trente minutes après le passage de Charlie

Élise parcourait nerveusement la foule de l’after. Cette concentration de personnes réduisait considérablement son champ de vision. Pour ne rien arranger, elle attirait énormément l'attention : celle des hommes, mais aussi des femmes. Même engoncée dans cette tenue, la commissaire gardait un pouvoir magnétique, presque envoûtant. Avec l’objectif de se fondre dans le décor, elle essayait de ne pas répondre aux nombreux sourires récoltés. Mais, malgré elle, son regard de braise consumait tout sur son passage. Décidée à trouver un meilleur point de vue, la commissaire se faufila vers la piscine.

Pressée par le temps, Élise posa son plateau sur l’un des bancs près d’une des balustrades surplombant le bassin. Elle recula discrètement sur l’une d’elles, les deux paumes sur la rambarde en prise d’appui, talon sur un des barreaux afin de se hisser et prendre de la hauteur. Son mètre soixante-dix ici, n’était pas suffisant. Son premier pas fut interrompu par le regard interrogateur d’une femme, plantée devant elle. Imperturbable, elle le soutint si bien que la jeune défiante poursuivit son chemin dans le vertige de la salle comble. Malgré le professionnalisme qui la caractérisait, Élise ne put s’empêcher de remarquer la tenue pour le moins extravagante de cette fille, lui rappelant, au combien la sienne lui manquait. Elle baissa la tête, soupira et pinça avec ses doigts le pli de son chemisier blanc, ordinaire.

Une fois la commissaire parfaitement installée sur son perchoir, elle eut immédiatement dans son collimateur la mère de Sasha. Christine, visiblement éméchée, avait réussi à monter sur le bord de la scène avec deux gros Monsieur muscles qui la badigeonnaient de peinture corporelle.

Telle mère, telle fille

Elise inclina légèrement la tête pour parler à ses collègues.

– Boissier au rapport, Boissier !

– Oui cheffe, répondit le policier, la bouche pleine.

– Vous m’avez oublié ? Parce que croyez-moi je ferais en sorte que ça ne soit jamais le cas.

– Non cheffe, excusez-moi je...

- Plus vite Boissier, faites-moi un topo, vous suivez toujours le suspect ? s’impatienta la commissaire

– Heu oui cheffe, je.. Mais ramasse-moi ça, toi !

Un bruit de sachet plastique envahit la communication. Élise soupira très fort pour signifier son agacement.

– Dites-le-moi si je vous dérange !

– Oui enfin non, le suspect oui ... Il s’est éloigné de notre actrice préférée depuis environ dix minutes. Il tourne actuellement en rond près des toilettes, il est vraiment chelou ce type là !

– Boissier gardez-le à l’œil. Félix, pouvez-vous me dire où est Sasha ? Elle n’est pas dans mon champ de vision.

Aucune réponse ne vint, à la surprise des deux autres interlocuteurs. La commissaire insista en mettant un doigt sur son oreillette pour inciter à une réponse, toujours avec la courtoisie qui l'a caractérisait.

– Félix, répondez ! Félix ? Je n’aime pas ça ! Boissier vous le voyez ?

– Félix répond, Félix, Félix ! Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Félix, répond merde ! s’égosilla Filip en ignorant la question de sa supérieure.

– Boissier, vous le voyez ?

– Négatif cheffe !

Avec intelligence, Élise garda son calme et essaya de contenir son subalterne. Même si elle le savait, la situation s’envenimait. Son instinct le lui criait.

– Boissier écoutez-moi, demandez à l’agent de sécurité à côté de vous de trouver la dernière image de Félix. Pendant ce temps, je file vers notre suspect, il est toujours devant les toilettes ?

– Non cheffe, il est entré dedans, je répète, il est entré.

La commissaire, sentant le danger, se précipita vers le lieu. Elle fendit la foule énergiquement en pivotant ses épaules de gauche à droite pour se frayer un chemin et glissa précautionneusement une main dans son chemisier. À la sortie de la marée humaine, elle s’extirpa si fort qu’elle fit voler le plateau d'un des serveurs. Pressée par le temps, Élise s’excusa à peine, outrepassant sa politesse habituelle, et accéléra la cadence.

– Cheffe, dernière position de Félix, à la sortie arrière du bâtiment, près des quais.

Tout en assimilant l’information, Élise tapa avec son pied dans la porte d’entrée des toilettes et sortit son arme de son holster d’épaule.

Personne. Il n’a pas pu se volatiliser.

Le cerveau en ébullition, elle poussa hargneusement les portes adjacentes en espérant coincer le fuyard. À la dernière, elle s’arrêta net, stoppant la cacophonie de sa fouille. Élise plissa les yeux et s’approcha d’un pas pour ramasser un objet au sol, une photo. La rouquine reconnut immédiatement l’acteur, Léonardo Di Lorenzo. En bonne flic, instinctivement, elle retourna délicatement le cliché et entrevit une inscription : « Le plus grand fan de Sasha la retrouvera ». En dessous, le dessin d’une aération et en haut à gauche, le nombre 12.

La commissaire leva immédiatement la tête pour trouver une plaque d’aération dans la pièce.

BINGO

Boissier, il est probablement passé par le conduit de l'aération. Où mène t-il ?

– Heu...

– Allez Boissier, vite !

– Sur les quais, ça donne sur les quais !

Rangeant soigneusement son arme pour éviter de semer la panique parmi les convives, Élise glissa ensuite le cliché dans la poche de son pantalon et se précipita vers la sortie arrière du lieu.

– J’y vais directement, foncez me rejoindre mais avant, localisez-moi Sasha Sanders !

Quelques secondes s'écoulèrent entre la question et la réponse qui permirent à la commissaire d’atteindre sa destination.

– Je la vois, elle est dehors en train de fumer, vous allez la croiser en sortant.

Tout de suite en arrivant, la policière jeta un regard fugace de gauche à droite. Aucune trace du suspect mais l’actrice était bien là. Cependant, Élise s'intriga immédiatement d'un détail, une gourmette à l’un des poignets de la brunette.

Sasha ne portait aucun bracelet tout à l’heure.

Pour en avoir le cœur net, elle s’approcha de la cible et attrapa son bras, à lui en couper le sang.

– Hey mais qu’est-ce qui vous prend, vous êtes malade ? Vous me faites mal !

La policière tint encore plus fort le membre, éluda complètement la complainte et continua son investigation en lui ôtant ses lunettes de vue teintées.

– Habillée pareil, même attitude, même corpulence mais vous n’êtes pas Sasha ! affirma Élise en jetant méchamment le bras de l’imposteur.

À cet instant, Filip Boissier arriva dans le dos de sa supérieure.

– Qu’est-ce qu’il se passe, cheffe ?

Élise tourna légèrement la tête afin de voir son subalterne débarquer, un sandwich à la main. Filip était un bon flic mais avec une réputation d’estomac sur pattes. Et la scène de ce soir le confirmait. Un simple regard noir de la commissaire avait réussi à lui faire lâcher le casse-croûte.

– Boissier ce n’est pas Sasha, je vous présente sa doublure Jane Mordani. Je savais que ce n’était pas qu’un mythe. Cette Sanders, elle a tous les vices.

Le sens affuté de l’observation d’Élise avait encore frappé. Jane répondit à son introduction avec un clin d’œil au policier, qui souriait niaisement.

– Hum, je parierai que c’est un canular de notre chère actrice ! Je parierai !

– Pas de pari ici Boissier, grogna la commissaire en balançant ses bras devant elle. Nous devons retrouver tout ce petit monde. Appelez immédiatement les renforts aux alentours. Quant à nous, nous devons retrouver rapidement le suspect.

– Bien cheffe.

Élise n’avait pas besoin de forcer son autorité qui apparaissait naturellement lorsque l’heure devenait grave, sa timidité engloutie par l’action. Filip s’écarta d’un pas afin de laisser le champ libre à sa supérieure et s'exécuta. La jeune femme se retourna pour s’adresser au vigile près de la porte.

– Hey, vous là, venez ici ! ordonna-t-elle en agitant la main et en sortant sa carte de police. Vous me la surveillez jusqu'à ce que mes collègues arrivent.

– Bien commandant.

– C’est commissaire, précisa Élise pointilleuse.

– Bien commissaire.

– Cheffe, c’est fait, les unités sont en route. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

– Le Léonardo, ça vous évoque quelque chose?

– Ici, c’est sûrement le nom d’un bateau.

– C’est exactement ce que j’ai pensé. On y va ! commanda la rouquine en amorçant sa course, arme à la main.

Parfaitement consciente qu’elle n’avait pas de gilet pare-balle, Élise affectionnait cette adrénaline du danger. Vivante, elle se sentait vivante.

– Mais où  ?

– Emplacement 12, suivez-moi !

– Et les renforts ?

– C’est nous les renforts ce soir.

Filip ralentit légèrement sa course pour sortir son arme.

– Yes, je vous suis alors, autant prendre des risques, autant mourir à vos côtés, ça aura plus de gueule !

Les deux policiers s’enfoncèrent dans la pénombre à vive allure, avec en point de mire, les quais. Ils ralentirent tous deux à l’approche du premier yacht, chacun se penchant légèrement pour entrevoir les numéros des emplacements. Filip aperçut sur le côté un agent de sécurité à terre, il se rua vers lui et lui prit le pouls. Mort. Ne pouvant plus rien faire pour lui, il rattrappa sa supérieure. Élise trottina en pas-chassés, les genoux à peine fléchis, son arme d’un côté et de l’autre une main complètement dépliée vers le sol, en signe de protection. Puis, elle s’arrêta net. L’emplacement 12 venait d’émerger. Main en arrière pour indiquer à Filip de stopper sa course, elle se retourna pour demander à son lieutenant de rester silencieux et lui montra avec son index où se placer aux abords du bateau. Les deux collègues baissèrent instinctivement la tête qui frôlait désormais leur arme et prirent chacun leur place. Ils entendirent tous deux des bruits sourds venant de l’intérieur du yacht. La commissaire glissa discrètement sa tête pour apercevoir la proue. Personne. Boissier l'imita de son côté. Personne.

L’un et l’autre remarquèrent les traces de sang qui jalonnaient la poupe. Galvanisée par le danger, Élise regarda son partenaire, hocha la tête et commença un décompte avec ses doigts. Filip se tenait prêt, dans l’expectative. 3, 2, 1. La commissaire prit les devants et surgit sur le pont du navire, suivi de son subordonné. Ils vérifièrent les côtés. Personne. Il ne restait plus que la cabine. Les bruits sourds avaient cessé.

Cette fois-ci, Filip bondit en premier dans le petit escalier, sans en avertir Élise . Le policier avait aussi une réputation de casse-cou et sa supérieure venait d’en avoir la démonstration. Agacée sur le moment, la commissaire emboita immédiatement le pas à son partenaire pour le couvrir, les deux mains crispées sur son arme. À peine arrivé en bas du petit escalier, Filip reçut un coup massif en plein visage qui le fit tomber lourdement en arrière. L’auteur du méfait enjamba le policier meurtri pour essayer de s’échapper, un couteau à la main.

– Police, lâche ton arme ! somma Élise, d'un ton agressif.

L’individu s’arrêta, fit mine de baisser son arme un instant puis réenclencha sa course folle vers la policière. Élise tira. Une fois, dans l’épaule pour le neutraliser. L’assaillant eut un lourd mouvement de recul, lâcha son arme et poussa un puissant cri de douleur. Puis, sonné, il frôla avec ses doigts la zone d'impact. La commissaire avala les quelques mètres qui la séparait du suspect, le projeta au sol et grimpa sur lui pour l’immobiliser.

- Boissier, debout, réveillez-vous ! Boissier !

Reprenant à peine ses esprits, Filip se releva rapidement et découvrit l’urgence de la situation.

- Il me faudrait quelque chose pour l’attacher si ça ne vous dérange pas ! se crispa Elise en essayant de contenir l’individu au sol.

Sans réaction de Filip, elle insista.

- Comme des menottes, par exemple !

- Ah oui, pardon cheffe !

- La prochaine fois, je passerai en premier, vous aurez peut-être moins mal ! ironisa Élise en menottant le suspect.

Les deux policiers se sourirent mutuellement.

Une fois le suspect maîtrisé, Filip le releva énergiquement pendant que sa supérieure frottait ses habits. Même dans l’adversité, Élise désirait toujours être impeccable.

- Alors mon petit Pierrot, on se retrouve ! Commissaire je vous présente Pierrot le dingue !

- Appelez une ambulance, je vais mourir ! Vite !

- Vous écoutez ça cheffe, le pauvre bébé va mourir !

La commissaire n’était pas du tout encline à suivre la conversation, happée par le cadavre gisant dans la cabine.

En s'approchant du corps, son visage d'ordinaire si radieux, se décomposa. Et ce n'était pas à cause de la monstruosité de l'acte, devenue la chair imputrécible de son métier.

- Cheffe, ça ne va pas ? Oh merde..

Ne regardant qu’à peine son collègue, comme elle le faisait si bien lorsqu’elle était gênée, la commissaire lui répondit, de façon furtive.

- Je la connais, c’est Stana, Stana Nickolic, l’ex-femme de Sasha Sanders. Et visiblement, votre Pierrot est dans le coup.

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