Chapitre 21 :

8 minutes de lecture

19 juillet 2021

Silas :

Le souffle coupé, Kasper ne réagit plus. Son corps tremblant contre moi, il semble s'être égaré, perdu dans un endroit où je ne peux pas l'atteindre. Ses iris bleus ont viré à l'orage et ses ongles sont douloureusement plantés dans mes épaules.
Le cri de stupeur de Milla résonne encore les arbres et mon regard tente de capturer le sien. Elle a les yeux dans le vague, les cheveux emmêlés et le teint bien trop pâle sur son visage habituellement espiègle.

— Vous n'avez pas le droit, bredouille la fillette en secouant légèrement la tête.

Kas semble enfin sortir de son état léthargique et sursaute vivement pour ensuite se tourner vers sa sœur.

— Mil... Milla, souffle-t-il en grimaçant, on va t'expliquer mais tu dois...

— Vous n'avez pas le droit, répète-t-elle en criant.

Ses yeux sont embués. La petite est paumée et visiblement sous le choc. Mon attention jongle entre Kas et elle. Sans prévenir, Milla se tourne et se met à courir, s'enfonçant dans la forêt sans plus se retourner.

— Milla ! hurle Kasper. Reviens !

Il commence à s'agiter, tente de poursuivre sa sœur mais je le retiens par le bras avant qu'il ne s'éloigne. Dans un geste empressé, je le rabats contre moi et emprisonne son visage entre mes paumes.

— Silas, on doit... suffoque-t-il, Milla...

— Je m'en occupe, ok ? murmuré-je pour le calmer. Toi, tu restes là.

— Mais, je...

Son corps frissonne, ses jambes tremblent et ses yeux écarquillés me fixent avec désespoir. Mon cœur se contracte, j'ai horreur de le voir dans un état pareil.

— Kas ! dis-je un peu plus fort. Je vais retrouver Milla, ne t'inquiète pas. Prends ton livre, et attends-moi. Ça va bien se passer, d'accord ?

— Je... elle va... mes parents...

— Kasper, bougonné-je, je t'en prie, calme-toi. Je vais régler ça, mais respire ! Je dois me dépêcher, mais il faut que tu te calmes avant. Milla est partie dans le mauvais sens, je dois la rejoindre avant qu'elle ne se perde. Tu me fais confiance ?

— Oui, chuchote-t-il.

Des larmes dévalent ses joues et mon cœur me fait souffrir. Il n'est pas prêt à assumer une telle chose, si Milla parle, il ne le supportera pas.

— Ok. Je reviens vite, promis, mais ne bouge pas.

J'embrasse brièvement ses lèvres et me détourne pour prendre la même direction que Milla. Très rapidement, j'évolue dans la forêt, observant les alentours avec intérêt pour ne pas la louper. J'ignore où elle est, j'espère qu'elle ne s'est pas déjà trop enfoncée entre les arbres. J'ai perdu du temps, mais c'était impensable de laisser Kasper sans tenter de le rassurer. Il semblait bien trop perturbé et je ne suis pas certain de l'avoir apaisé. Je dois mettre la main sur sa sœur. Si elle se perd par notre faute, Kas risque de ne pas s'en remettre. La forêt est sécurisée, elle ne peut pas sortir du camping mais l'espace est vaste et une chute peut arriver très facilement. Par chance, elle n'a pas pris le chemin vers le lac. Plus j'avance, plus l'obscurité m'englobe. Le feuillage des arbres cache le ciel et empêche les rayons du soleil d'éclairer le chemin. J'appelle Milla plusieurs fois, son prénom résonnant partout autour de moi. Mon palpitant ne s'est pas calmé, s'acharnant comme un fou dans ma poitrine. L'air est humide et le sol est boueux. Mes pieds s'enfoncent et ralentissent ma progression. Je m'immobilise, frottant la semelle de mes chaussures sur un rocher recouvert de mousse verdâtre. J'inspire profondément, passe une main lasse sur mon visage et ramène mes cheveux en arrière.
Dans le silence apaisant de la nature, quelques sanglots me parviennent. Je soupire de soulagement, la petite n'est pas très loin.

— Milla ? l'appelé-je doucement. Où es-tu ?

Elle ne répond pas, renifle et sanglote encore. Je fais quelques pas, avisant les alentours pour mettre la main dessus.

— Milla, je sais que tu es là. Tu veux bien me rejoindre ?

— Non ! me répond-elle durement. Laisse-moi.

J'avance, guidé par sa voix qui s'élève à ma droite. Je tente de la faire parler, encore et encore, jusqu'à ce qu'enfin, je la retrouve contre le tronc d'un chêne. Ses genoux sont rabattus sur sa poitrine alors qu'elle pleure en cachant son visage. Rassuré, je m'accroupis près d'elle, dépose ma main sur son épaule pour l'inciter à relever la tête. Ses yeux rougis et légèrement enflés se posent sur moi. Un sentiment de compassion m'étreint et dans un geste doux, j'efface l'humidité qui se répand sur ses joues. Elle se laisse faire, muette et triste.

— Tu ne peux pas partir en courant comme ça dans la forêt, la réprimandé-je doucement. C'est trop dangereux, tu aurais pu te blesser.

— Je me suis fait mal, renifle-t-elle en baissant les yeux. Je suis tombée.

J'avise les écorchures qui recouvrent ses genoux et souffle dessus pour retirer la terre.

— Ce ne sont que des égratignures, rien de grave. Tu es une grande fille, n'est-ce pas ?

Elle hoche la tête puis frotte ses yeux du revers de la main.

— Je vais le dire à papa et maman. Vous n'avez pas le droit de vous faire des bisous ! me dispute-t-elle en pointant son index sous mon nez.

Malgré moi, un sourire se dessine sur mes lèvres. Cette petite est un phénomène. Elle ne perd rien de son mordant, même en larmes et bouleversée.
Je caresse ses cheveux, ramenant une mèche rousse derrière son oreille.

— Je sais que tu es secouée par ce que tu as vu, mais ton frère et moi ne faisons rien de mal.

— Si ! Les garçons ne peuvent pas s'embrasser.

— Ah oui ? Et pourquoi donc ?

— C'est interdit ! Il y a que les amoureux qui ont le droit.

Les sourcils froncés, elle me dévisage en grimaçant. J'attrape ses poignets, l'attirant vers moi pour l'étreindre doucement.

— Viens par-là, ma jolie, lui intimé-je en amenant sa tête sur mon épaule.

Elle se laisse docilement faire, enroulant ses petits bras autour de mon cou pour sangloter. Ma paume caresse sa tête pour l'apaiser.

— Je vais te faire une confidence, murmuré-je, tu me promets de le dire à personne ? Ce sera un secret entre toi et moi, oui ?

Je ne sais pas dans quoi je me lance, mais la seule chose qui compte pour le moment c'est de calmer Milla. Elle hoche la tête, puis s'immobilise en ancrant ses doigts dans mon dos.

— Tu as dit que seuls les amoureux pouvaient s'embrasser ? Et bien, pour être honnête avec toi, j'aime très fort ton frère.

Son petit corps se raidit et son visage se relève pour me regarder comme si j'étais fou.

— C'est pas possible ! se plaint-elle. Kasper est un garçon !

Je lui souris, puis incline légèrement la tête.

— Je sais bien, m'amusé-je, mais ce n'est rien. Tu sais, on ne peut pas vraiment choisir qui on aime et de qui on tombe amoureux. Les choses arrivent parfois, sans prévenir et peuvent nous surprendre mais ça ne veut pas dire que c'est mauvais. Certaines personnes diront que c'est mal mais ces gens sont idiots, et il ne faut pas les écouter.

— Maman et papa doivent savoir, proteste-t-elle.

Mon pouce efface les dernières larmes emprisonnées aux coins de ses yeux. Elle ne pleure plus, et me paraît furieuse désormais.

— Tu as raison, tes parents ont le droit de le savoir. Mais ce n'est pas à toi de leur dire. C'est à Kasper de le faire, mais il faut lui laisser le temps d'être prêt pour en parler. Tu comprends, Milla ? Ce n'est pas à nous de décider pour lui.

— Mais, il...

— Est-ce que tu veux que ton frère soit en colère contre toi ? Ou qu'il soit triste ?

— Non, souffle-t-elle en baissant la tête.

— Dans ce cas, tu dois le laisser avancer à son rythme. Si tu forces les choses, il risque de mal le vivre et je ne veux pas qu'il soit perturbé. Kasper est un garçon qui avance lentement, mais le principal, c'est qu'il ne reste pas enfermé, tu vois ? Ce qu'il vit en ce moment, c'est nouveau pour lui et il doit d'abord l'accepter pour ensuite pouvoir assumer pleinement ce qu'il ressent.

— Alors... il t'aime aussi ? hésite-t-elle en fronçant les sourcils.

— Je ne peux rien affirmer à sa place, mais j'espère que c'est le cas.

Mon esprit dessine chaque trait du visage de Kasper. Ses lèvres rougies par nos baisers, ses yeux empreints d'un désir qui le fait vibrer mais qu'il ne comprend pas. Je le visualise : la pâleur de sa peau et les petites taches brunes qui harmonisent sa beauté. Sa voix, hésitante, douce, qui résonne en moi chaque fois qu'il me parle.
Oh oui, Milla. J'espère sincèrement que ton frère m'aime comme je l'aime.

— Je ne dirai rien, soupire-t-elle finalement. Je ne veux pas que Kasper me déteste mais tu es quand même un gros nul.

Un éclat de rire m'échappe, tandis que je dépose un baiser sur son front.

— C'est toi la meilleure, Salamèche.

— Eh ! Tu as dit que tu ne m'appellerais plus comme ça !

Son poing s'abat contre mon épaule alors qu'elle râle en serrant les dents. Mon amusement est visible alors que la fillette est mécontente.

— Oups, j'ai oublié ce détail, feins-je en ricanant.

Un deuxième coup m'atteint, cette fois sur mon torse et j'éclate de rire.

— Allez, je te ramène, dis-je finalement. On va soigner tes blessures, Xena !

Je me redresse, l'emportant avec moi pour traverser la forêt. Elle ne proteste pas, se contente d'enrouler ses bras autour de mon cou.

— C'est qui Xena ?

— Une grande guerrière, au caractère bien trempé et à l'assurance démesurée, tout toi !

Elle sourit, acceptant ce nouveau surnom d'un hochement de tête.

— Alors, tu promets de ne pas révéler mon secret ? Je peux te faire confiance ?

— Oui, mais si tu rends mon frère triste, je te frappe encore !

— Marché conclu, jolie Milla.

Lentement, je regagne l'entrée de la forêt, la fillette dans mes bras et l'esprit légèrement apaisé. Je pense pouvoir lui faire confiance, elle ne dira rien pour ne pas se mettre son frère à dos. Je la maintiens d'un bras alors que je récupère mon téléphone pour envoyer un sms à Kasper.

Silas :
Je suis avec Milla. Elle a chuté et s'est un peu abîmée les genoux. Je l'amène se soigner et je te rejoins juste après. Elle ne dira rien, on a passé un accord. :) J'arrive bientôt.

Kas :
Elle va bien ? Tu en es certain ?

Silas :
Elle n'a rien perdu de son animosité alors je pense qu'elle va très bien. Ne t'en fais pas, d'accord ?

Kas :
Oui... Je t'attends. Merci, Silas.

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