Même les fées tombent amoureuse

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De loin, Marsh ressemblait à une esquisse inachevée, à un coup de fusain grossier. On devinait un visage rayé, un nez approximatif, une bouche épaisse posée au travers d’un menton taillé au burin, deux yeux noirs comme de la poudre. Le tout, surmonté d’un crâne poreux à la coiffure inexistante, laissait l’impression d’un brut de décoffrage jeté à l’abandon. Seuls les pourtours de sa carrure semblaient définis, affinés, mais dans des proportions à l’échelle 2.

De près, les frissons parcourant l’échine, confirmaient l’appréciation.

L’atroce gravure de mode, affalé sur une chaise du bar du Lac, attendait d’intervenir. Il éclusait son quatrième bock de bière, tout en gardant l’œil gauche sur les reflets du lac de Neuchâtel et le droit sur la devanture du bureau de tabac trônant de l’autre côté de la rue.

Une foule bigarrée se pressait, depuis plusieurs jours, devant les portes closes de l’établissement, de même qu’une cohorte de photographe en mal de scoop. Ce serait au premier qui tirerait le portrait au gagnant ou à la gagnante des 142 millions d’Euros, qui avait validé son ticket à cet endroit.

La créature, de la mousse plein les lèvres, savait que la personne attendue ne viendrait pas, et pour cause, c’était elle qui l’avait embauché pour récupérer le chèque discrètement. Quoique ce mot ne seyait pas vraiment à Marsh, qui d’ordinaire, vidait les lieux, en trois coups de cuillère à pot, du fait de sa simple présence. Il usait de ce pouvoir, et en avait fait un job extrêmement lucratif, 15 % des sommes récupérées finissant dans sa poche. Son téléphone sonnait à tout moment de la journée, et son aura, internationale, rayonnant par-delà les frontières de son Sud-Ouest natal, l’avait aujourd’hui propulsée dans ce beau canton suisse de Neuchâtel.

Marsh avait pris l’appel alors que l’asphalte de la Côte d’Azur, se déroulait sous les roues de son Cayenne, seule voiture à accepter sa carcasse bestiale. Une sonnerie avait suffi.

– Marsh, récupérateur d’oseille en tout genre, que puis-je pour vous ? avait-il fait d’une voix aussi douce qu’un écho caverneux.

– Monsieur Marsh, j’ai vu votre annonce dans « Elle » et me suis permise de vous appeler. J’aurai une forte som…

– Madame, excusez-moi de vous interrompre, mais vous parlez trop lentement et je ne comprends pas ce que vous me dites.

– Ha, oui, c’est que je suis Suisse voyez-vous ! Ceci expliquant peut-être cela. Je vais tenter de parler normalement.

– Je vous en serais reconnaissant.

– Je vous disais donc que j’avais un forte somme d’argent à récupérer.

– Forte comment ? interroge l’hideux.

– Ben… tout juste 142 millions d’Euros !

Le Cayenne, entouré de fumée de gomme, stoppa au milieu de la route.

– Pffiiouuu ! avait-il lâché.

– Vous avez crevé ?

– Non ! Pourquoi ?

– Pour rien… J’ai une question Monsieur Marsh.

– Je vous écoute Madame… Madame…

– Laklandestine… Votre réputation est-elle justifiée ?

– Absolument. Comment dire… je fous la trouille, voilà, c’est le mot.

– Ha ! Pourtant… Mon affaire vous intéresse-t-elle Monsieur Marsh ?

– Faut voir. Pourquoi n’y allez-vous pas vous-même ?

– C’est que…

La conversation qui suivit mit au point la stratégie, le lieu de rendez-vous et aplanit les divergences levées. Notamment celle de la rémunération à hauteur de 15 % qui avait choqué Laklandestine, et lui avait fait traité Monsieur Marsh, de plus voleur que les banquiers qui pullulaient en Suisse. Sûre d’elle, elle avait proposé un autre marché au monstre, qui après un laps de temps assez long avait fini par approuver.

Donc, en ce matin ensoleillé, la créature attendait, tout sourire affiché sous la mousse de sa bière, l’ouverture du bureau de tabac. Le deal, âprement discuté avec celle qui se faisait appeler Laklandestine, l’avait convaincu d’accepter, même s’il doutait de la véracité des dires de sa cliente. Mais après tout se disait-il, si cela s’avérait juste, une nouvelle vie s’offrait à lui, alors, pas d’hésitation.

Un grincement abominable prouva l’ouverture de la grille de protection de l’établissement, ainsi que l’agitation de l’attroupement se densifiant de minute en minute.

Marsh déploya sa verticalité, s’essuya la bouche et entreprit de commencer son ultime job. L’ombre de sa stature se développant au triple, cacha le soleil, couvrit l’assemblée, provoqua la panique, fit le net devant les portes en verres du bureau de tabac. C’en était ainsi chaque fois qu’il apparaissait.

Le buraliste, en déglutissant, lui remit le chèque, et s’évanouit.

Une heure plus tard, Marsh sonnait au 15 du bâtiment faisant l’angle de la place Pury et du Quai Philippe-Godet. La porte s’ouvrit, il entra.

Une myriade d’étoiles se disputaient le doux parfum d’une luminescence verdâtre, les objets, suspendus au fil invisible du temps, flottaient dans la pièce, l’atmosphère ainsi développée, amenait sérénité et volupté. Laklandestine ne lui avait donc pas menti, c’était bel et bien une fée.

Elle apparut dans le « pouf » caractéristique que font les enchanteresses. Dans son tutu rose, elle ressemblait à un sucre d’orge de menthe à l’eau de vie, ses yeux, étrangement bleu, contrastait avec le blanc de ses dents. La créature tomba sous le charme dans la seconde.

–Merci Monsieur Marsh pour le chèque, dit-elle simplement en baissant ses yeux électriques. Vous savez, vous n’êtes pas comme sur la photo de votre annonce.

–Ho ! Merci Laklandestine, je ne vous imaginais pas comme vous êtes non plus.

– Arrêtez, vous allez me faire devenir violette… coquin. Vous avez un bon fond, Monsieur Marsh.

– Oui, moche mais sympa. Puis-je vous poser une question ?

– Je vous écoute.

– Qu’allez-vous faire de cet argent ?

– Mais quel argent ?

Laklandestine prit le chèque entre ses mains,

– Monsieur Marsh, je suis désolé pour ce subterfuge, reprit-elle,

et le déchira sans y jeter un coup d’œil.

– Je n’ai pas besoin d’argent pour être heureuse, je vous ai vous, si vous voulez de moi.

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