Chapitre 1 (Pt.2)

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 Leur conversation est interrompue par des chuchotements, leur faisant tourner les yeux en direction de ces appels discrets. Dans l’obscurité, un jeune homme se penche de derrière un mur, montrant son visage à la faible lumière des néons. Il a un visage pâle, en contradiction avec ses lèvres teintées de noir, ainsi que le contour de ses yeux charbonneux. Ses cheveux blonds recouvrent quelques mèches brunes, presque noires, relevées en queue de cheval par des baguettes à la manufacture asiatique. L’homme porte un kimono sombre, orné de quelques branches de cerisiers ondulant sur le tissu de soie. Il est plus prudent pour les évadés de se vêtir avec le moins de couleurs possible afin d’avoir plus de chance d’échapper aux patrouilles. Il a ce regard fort qui le caractérise et dégage une aura pleine de courage.

 — Arashi ? Qu’est-ce que tu fiches ici ?

 — Je venais vous chercher pour aller à la cathédrale. Kaminari à du nouveau à propos de la prophétie.

 Les deux amis retiennent leur souffle, puis échangent un regard inquiet.

 — Venez vite, vous le connaissez si on le fait attendre. D’autant plus qu’il n’est pas dans son meilleur jour…

 Le dénommé Arashi part le premier, se fondant à nouveau dans la pénombre, habitué à ce genre d’exercice. Les deux amis suivent alors leur guide jusqu’à la cathédrale. Lorsqu’ils y parviennent, Néo l’examine sous toute sa splendeur ténébreuse. Elle a un côté menaçant et les murs noircis par le temps et la suie laissent peu de place aux taches de mousse poussant ici et là. Le ciel sombre s’assemble avec cette caricature démoniaque, donnant un côté plus sinistre au bâtiment. Un vitrail circulaire est dessiné sur le mur frontal, seul élément apportant une touche de couleur. Quand Néo regarde à nouveau ses alliés, ces derniers sont déjà en train de monter les grandes marches menant à la porte d’entrée. Il suit leur pas puis pénètre à son tour dans la bâtisse.

 Il est immédiatement happé par l’atmosphère de calme et de sécurité qui y règne. Des cierges disposés un peu partout luisent et déchirent les ténèbres qui envahissent les lieux çà et là. Il n’y a pas le moindre son, si ce n’est l’écho de leur pas contre le carrelage marbré. Ils parviennent enfin au bout de la pièce où est installé Kaminari. Le sage trône en tailleur sur un oreiller épais au sommet d’une estrade de pierre, reliée au sol par des marches.

 L’homme est bien plus lugubre que la plupart des damnés. Il a un visage blanc comme la mort, cassé par des taches noires entourant ses yeux et glissant le long de ses tempes. Ses lèvres sont de la même teinte, s’harmonisant avec le reste de sa tenue. Il porte des gants et une chasuble, ainsi qu’un collier en perles pourpre. Un autre est disposé autour de son front, une croix y pend pour s’arrêter juste entre ses sourcils. Ses longs cheveux couleur corbeau sont reliés en queue de cheval au-dessus de sa tête, à l’exception d’une mèche, retombant en cascade en face de son visage. Ses yeux s’ouvrent à l’entente de leurs pas. Pour un enfant de foi, il paraît ténébreux, mais son style se marie parfaitement à l’allure cauchemardesque de la cathédrale.

 — Vous en avez mis du temps, leur reproche-t-il en fronçant les sourcils.

 — Pardonne-moi, ils étaient bien cachés.

 Arashi s’incline face à lui en guise d’excuse. Comment pourrait-il leur en vouloir ? Se cacher est la seule issue qu’ils ont pour survivre.

 — Je ne leur ai pas encore parlé de ce que tu m’as dit. Mais penses-tu vraiment que le moment soit bien choisi ?

 Néo se renfrogne à la suite de ses mots.

 — La menace est partout autour de nous, bien au contraire, il n’y a pas de temps à perdre, le hâte Kaminari.

 Arashi ne dit plus un mot et se tourne vers les deux amis. Il recule pour les laisser passer devant.

 — Les dieux veillent sur vous. Une chance que vous ne soyez pas à la Citadelle à l’heure qu’il est.

 — Je pense que c’est bien de les remercier alors, annonce Satoshi avec humour malgré les temps dramatiques.

 — Si Amaterasu veille vraiment sur nous, comment tu expliques que le soleil n’ait jamais brillé ici ? intervient Néo d’une voix emplie de reproches. Ce n’est pas les dieux qui nous sauveront, vous le savez ? Il vaut mieux compter sur nous-mêmes, plutôt que donner une confiance aveugle en une force divine qui ne s’est jamais manifestée.

 Il se moquait de la magie et des légendes. Pour lui, tout a une explication rationnelle et le monde qui les entoure est la seule réalité en laquelle croire. C’est sans doute le prix à payer lorsqu’on a reçu pour seule éducation les arts de la guerre et les entraînements drastiques de l’armée.

 — Je t’interdis de blasphémer de la sorte en ces lieux sacrés, s’énerve Kaminari dont le visage arbore un masque de colère. C’est grâce à eux que notre cauchemar prendra fin.

 — Tu es sûr qu’il prendra fin un jour ? Non, parce que les soldats nous ont parlé d’éternelle servitude. L’éternité ce n’est pas sans fin ? demande Satoshi. Après, je me trompe peut-être, mais on pourrait poser la question à Amaterasu à l’occasion de la prochaine cérémonie du thé, qu’est-ce que tu en dis ?

 Le visage de Kaminari se durcit et lui fait comprendre qu’il aurait mieux fait de garder sa remarque pour lui. Il décide de rectifier :

 — Après lui avoir envoyé un carton d’invitation proprement rédigé, bien sûr…

 — Taisez-vous, laissez-le parler, interrompt Arashi sur un ton agacé.

 — Durant l’une de mes méditations, une voix m’a parlé, commence Kaminari, faisant lever les yeux au ciel à Néo. Il existe bien un moyen de tous nous sauver. L’union fait la force et ce n’est pas qu’un proverbe. C’est grâce à cela que nous trouverons une échappatoire. J’ai eu des visions de ce qui s’est passé. Le rituel auquel se sont adonnés nos parents nécessitait leur âme contre les nôtres. Ils ont ouvert ce qu’ils appellent : « la porte du jardin d’Éden » pour rejoindre un monde meilleur. Et il existe un moyen d’en ouvrir une ici, sans faire couler le sang ni sacrifier la moindre vie.

 Les dons que possède Kaminari ne lui ont pas été offerts par hasard. Masquée par le bijou argenté qu’il porte sur son front, une tache de naissance en forme de croix marque sa peau. Il dit qu’il s’agit d’un tatouage ancré au plus profond de sa chair par une magie puissante. Si Néo pense que ses songes ne sont que l’œuvre de son esprit, le prêtre, lui, est conscient que ses visions sont des aides. Des indices laissés jusqu’à la clé de la résolution d’une énigme.

 Arashi se racle la gorge en regardant de façon insistante le plus âgé, l’interrompant dans son discours. On sent l’empressement dans ses yeux, comme si chaque seconde était comptée. Kaminari lui lance un regard appuyé, lui réclamant le silence avant de poursuivre :

 — La voix m’a parlé d’une âme pure. Capable de réunir les enfants maudits pour que chacun puisse trouver la rédemption.

 Néo fronce les sourcils sous l’incompréhension. Lorsque la génération maudite a été envoyée dans ce monde, tous ont atterri à la Capitale. Néo n’a croisé que peu des siens sous l’étendard de la dictature, les seuls qu’il connaisse ne sont pas humains. Pour beaucoup, il est impossible de mettre un nom sur leur véritable nature.

 — Ton élu n’aura pas beaucoup à faire.

 — Certains pensent que les murs de la Capitale sont les remparts de ce monde. Mais en vérité, il ne s’agit que d’une frontière vers une immensité qui nous dépasse. J’ai vu ces paysages sauvages dans mes visions. Pourvus de campagne et de verdure luxuriante. Ce monde est bien plus grand que nous ne l’imaginons, d’autres se trouvent au-delà des murs de la ville.

 Un silence s’installe et les deux amis paraissent tomber des nues.

 — Lors du rituel, les enfants à l’extérieur de cette grotte ont été condamnés aussi. Le prophète qui nous a envoyés là ne savait pas que son pouvoir prendrait autant d’ampleur. Finalement, c’est une province entière qui a été touchée. Ces enfants se trouvent perdus dans la nature, mais ils vivent le même cauchemar que le nôtre, si ce n’est pire…

 — Il y a donc bien un ailleurs ? demande Satoshi qui se croit en plein délire. Pourquoi personne n’a essayé de franchir les murs de la Capitale alors ?

 — Ce n’est pas si simple.

 — Ça ne nous dit toujours pas pourquoi vous nous cherchiez… surenchérit Néo sur un ton glacial.

 Il commence à fulminer sous cet amas d’informations qu’il aurait préféré apprendre avant. Un silence s’ensuit durant lequel Kaminari reste pensif. Après ce court laps de temps, il reprend :

 — Parce que, justement… La prophétie indique que cet élu… C’est toi, Néo.

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