Chapitre 2 (Pt.2)

8 minutes de lecture

 Ils sont conduits dans la tour centrale de la Capitale, là où tous les fugitifs sont enfermés. Un endroit sans possibilités d’évasion. Menaçante et surplombant la ville, la Citadelle crève le ciel. Une tour qui avoisine facilement les 700 mètres de hauteur. Chaque fenêtre comporte des barreaux épais, laissant couler l’illusion d’une liberté à ses prisonniers qui peuvent la contempler sans pouvoir l’atteindre. Aussi cruelle et glaciale que ses gardiens, la bâtisse arbore des teintes grisâtres où l’on devine le béton armé qui compose ses structures. Les suicides par défenestration ne sont pas rares, c’est pourquoi des grilles viennent solidifier les interstices laissés entre les barreaux.

Les deux garçons connaissent le chemin par cœur. En parvenant aux abords d’une passerelle métallique servant de piste d’atterrissage, les souvenirs douloureux jaillissent à nouveau. Installés dans le vaisseau, ils contemplent les ruines de la ville depuis le ciel. Une cité dévastée, encore plus triste que lorsqu’on arpente ses rues. Le cœur de Néo s’alourdit en songeant à leurs amis restés dans la cathédrale. Ce n’est qu’une fois parvenu à l’intérieur de l’édifice et après avoir traversé d’innombrables couloirs, qu’ils sont jetés dans leur cellule sans la moindre douceur. Les barreaux se referment sur eux dans un claquement assourdissant de métal. Néo se tourne vers l’homme au chapeau dans la cellule voisine.

 — Satoshi ! Tu vas bien ?

 Ce dernier se tient le dos dans une position douloureuse, donnant l’image d’un petit vieux que les articulations font souffrir. Ses os craquent lorsqu’il cambre son corps avant de lever un pouce en l’air.

 — Je pense juste avoir deux ou trois vertèbres en moins, mais sinon je suis entier !

 Avec soulagement, Néo sourit lorsque son meilleur ami se redresse. Il a gardé son sens de l’humour, signe qu’il n’y a pas de quoi s’alarmer. Néo observe le numéro qui est gravé dans le métal, au-dessus de sa porte de prison. Aux yeux des soldats et de la suprématie, les enfants maudits n’ont pas de nom, ils ont un numéro. Il fixe le « 2507 », identité qui est la sienne depuis son arrivée. Chacun d’eux est doté d’un code-barres tatoué quelque part sur le corps. Une fois scanné, il donne la fiche complète de l’individu. Allant de son lieu de provenance, l’endroit où ils se sont fait tatouer, jusqu’à son statut dans l’armée et le numéro de génération.

 Néo observe tristement la cellule en face de la sienne, constatant que son voisin est encore là. Devant lui, un garçon au style étrange est recroquevillé dans un coin de sa cellule, un vieil ours en peluche déchiré entre les mains. Il le regarde, chagriné, avant de le resserrer contre lui et de fermer les yeux.

 Le garçon est rasé de chaque côté de la tête et les cheveux au centre de son crâne forment des dreadlocks d’un vert acidulé, rattachées les unes aux autres par un élastique. Il a la peau pâle et ses yeux sont entièrement noirs. Certainement des lentilles fantaisistes recouvrant l’intégralité de ses globes oculaires. Même si cet homme paraît d’un âge mature, il a gardé une âme d’enfant meurtri par les événements. Il n’a jamais réussi à sortir d’ici, ne serait-ce qu’une seule fois. Néo s’avance vers les barreaux de sa cage et y entoure ses mains, dévisageant l’autre captif.

 — Psst, Ruddy.

 Le dénommé Ruddy relève les yeux et son visage s’illumine lorsqu’il reconnaît son ancien camarade de corvée. Il lui fait un signe de la main pour le saluer, sans bouger de l’endroit où il se trouve.

 — Est-ce que ça va ? Ils ne t’ont pas fait souffrir ces enfoirés ?

 Il reçoit une secousse négative de la tête de la part de son ami.

 — Il ne parle toujours pas on dirait…

 — Je ne pense pas qu’il parlera un jour si tu veux mon avis, intervient Satoshi en adressant un signe de main à Ruddy en réponse à sa salutation silencieuse.

 Ce dernier n’a jamais ouvert la bouche pour dire quoi que ce soit. Certains pensent qu’il est muet, d’autres qu’il n’a jamais appris à parler ou qu’on lui a coupé la langue durant une session de torture. Plusieurs idées, toutes aussi sombres les unes que les autres, mais aucune n’est avérée.

 — T’inquiète pas mon pote, on va te faire sortir de là…

 Néo se sent impuissant, attristé de ne pas avoir pu le sauver les fois précédentes. Peut-être devrait-il arrêter de se cacher et prendre ce rôle d’élu à bras-le-corps pour tous les libérés. Il ne supporte plus de voir toute cette souffrance autour de lui. Mais cela veut dire qu’il devrait se convertir à des croyances stupides ? Si c’est pour prétendre entendre des voix lui aussi, il préfère garder le côté kamikaze plutôt qu’élu. Les images de cet après-midi tournent encore dans sa tête. Ayant trouvé un petit coin pas trop poussiéreux dans le fond de sa cellule, Néo s’y assoit en tailleur, le regard vide. Comment est-il censé arriver à tirer tout le monde de ce cauchemar ?

 Un soupir s’échappe de ses lèvres tandis qu’il risque un coup d’œil en direction des autres cellules. Une demoiselle est allongée, jouxtant sa prison à quelques rangées de la sienne. Elle lui montre son dos, sa chevelure ébène retombant sur le sol sale. Elle est vêtue d’une simple robe blanche au tissu fin. Il peut entendre les sanglots étouffés qu’elle essaie de faire taire avec difficulté. Un air d’harmonica s’élève une fois le calme revenu. Un garçon arborant des traits plus juvéniles en joue pour apaiser les âmes en peine. Quant à Satoshi, il tourne en rond, ne supportant pas d’être enfermé. Pour quelqu’un d’hyperactif, son angoisse est compréhensive. Néo constate la misère abattue sur eux depuis un bon nombre d’années déjà. La même qu’il défie depuis son arrivée, la même qui a terrassé une majeure partie d’entre eux, les emmenant dans les limbes d’un monde peut être pire que celui-ci.

 Un vacarme retentit alors depuis le couloir. Néo tente de percer la pénombre pour voir ce qu’il s’y passe. Deux soldats pénètrent dans la pièce, s’efforçant de retenir le nouveau fugitif qui se débat avec ténacité. Malheureusement, le pauvre homme est jeté à son tour dans une des cellules qu’il voit se refermer sur lui. Néo reconnaît immédiatement Arashi dans la prison à sa droite, pestant de rage. Le jeune homme en kimono est marqué de plusieurs hématomes au visage, ainsi que d’un filet de sang séché coulant depuis sa lèvre inférieure et un autre de son arcade sourcilière.

 — Arashi, qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? demande Néo inquiet en s’approchant.

 L’ex-militaire se redresse difficilement et s’adosse contre le mur derrière lui. Il grimace de douleur en passant son doigt sur la plaie de sa lèvre.

 — J’ai joué et j’ai perdu on dirait bien, répondit-il avant de sortir une cigarette de son kimono.

Il se saisit d’une allumette qu’il frotte contre la paroi de béton. La flamme qui en émane se reflète dans ses pupilles vairons, bleu et verte.

 — Mais la prochaine fois, je me les fais ces enfoirés, dit-il avec conviction en allumant son bâton de nicotine et aspirant une bouffée de fumée. Les coups ce n’est pas le plus grave, je vais devoir passer sur la table d’opération. Ils ont vu ma cicatrice.

 À la suite de ses paroles, il écarte les pans de son kimono, laissant entrevoir l’intérieur de sa cuisse ainsi que des points de suture tout le long de sa peau.

 En arrivant ici, la plupart se sont fait implanter une puce sous la peau qui sert à la milice pour les retrouver en cas de fuite. Un genre de GPS pour faciliter les recherches. La plupart ont réussi à filer avant que cette puce ne leur soit greffée, ce qui est le cas de Néo et Satoshi. Tandis que d’autres se la sont arrachée, entraînant hémorragie ou maladie pour les moins chanceux. Pour les autres, ils s’en sortent avec une cicatrice, comme c’est le cas pour Kaminari ou Arashi.

 — Apparemment, vous n’allez pas y couper, vous non plus.

 Néo se tourne vers Satoshi qui paraît aussi angoissé que lui.

 — Mais puisqu’on est destiné à une mort certaine, ce n’est pas le plus grave, non ? annonce Arashi en se laissant glisser le long du mur pour s’asseoir, les jambes repliées et les coudes sur les genoux.

 — Ah non, ne commence pas, je te préviens… rétorque Néo.

 Arashi lève les mains comme pour lui signifier qu’il n’a rien dit et qu’il n’en dira pas plus, continuant de savourer sa cigarette.

 — Tu veux m’entendre dire que j’accepte c’est ça ?

 Mais Néo ne reçoit aucune réponse à sa question. Arashi se contente de fixer le vide devant lui, silencieux. Cela ne manque pas d’agacer le plus jeune qui tire ses cheveux en arrière tout en essayant de se calmer.

 — Je ne peux pas, d’accord ? Je ne suis pas en mesure de sauver tout le monde et d’affronter le comte…

 À ce mot, Arashi et Satoshi tournent la tête vers lui. Ruddy resserre son ours en peluche, se recroquevillant un peu plus dans un coin de sa cellule. Cette simple appellation fait l’effet d’une bombe dans les cellules alentours, comme si Néo venait de prononcer le mot défendu, la fin du monde. Même l’air apaisant de l’harmonica a cessé sa mélodie. L’élu soupire.

 — Il est beaucoup trop puissant. Seul un fou oserait l’affronter.

 Le comte est le seul et unique maître qui dirige ce monde de ténèbres. Il trône à la Capitale et en plus de se faire passer pour l’ambassadeur et chef des armées, il se dit seul détenteur du droit de vie ou de mort sur tout être ici présent. Un dictateur sanguinaire et sans pitié. On dit que l’ombre qu’il projette ressemble à celle d’un géant à l’aspect filiforme. À l’image d’un monstre, les médisances sur la physionomie de cette créature soulèvent l’épouvante. Son sourire démoniaque suffirait à lui seul à glacer d’effroi le premier qui le verrait. Certains disent qu’il s’agit d’un vampire, mais la légende la plus connue reste celle du démon. Adès. Un nom qui ne sort d’aucune bouche.

 — Ce monstre tombera un jour, un seul homme ne suffira pas tu as raison, mais à plusieurs…

 Néo fait signe à Arashi de se taire en entendant des bruits de pas au fond du couloir. Après un court laps de temps, ces derniers finissent par s’éloigner.

 — Il pourrait nous entendre. Ne parle pas de mutinerie comme ça, sinon tu risques de perdre la vie pour moins que ça… l’avertit Néo dans un murmure à peine audible. Quoi qu’il en soit, ce serait du suicide. Personne qui a un jour croisé son chemin n’est revenu vivant ou en un morceau, tu ne te souviens pas ?

 — Si, il y a bien une personne… Kaminari. Il dit que c’est depuis ce moment qu’il a ses visions et ses pouvoirs.

Annotations

Vous aimez lire Psycho Lilith ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0