Quelque part dans la ville, une trappe s’ouvre et les quatre hommes en sortent pour rejoindre la cathédrale. Portant le blessé à bout de bras, Néo essaye d’ignorer sa crainte et ses propres douleurs. La pluie qui tombe sur la ville lui donne un air encore plus sombre que d’habitude. C’est à travers ce déluge que la chapelle se dessine, lui renvoyant une image familière. Une fois à l’intérieur, Arashi s’avance en premier en direction de Kaminari qui était posté au milieu des débris de verre. Néo remarque le soulagement sur les traits du sage lorsqu’il les aperçoit saints et saufs.

— Bénie soit Amaterasu, j’avais peur de ne plus jamais vous revoir…

L’inquiétude de Kaminari n’est pas une chose facile à déceler en temps normal, ce qui mène Néo à penser qu’il a tout de suite regretté leur altercation en apprenant qu’ils se sont fait emmener par la milice. À quelques pas de lui, Karma se laisse tomber dans les bras du religieux qui le recueille contre lui puis dévisage les trois autres.

— Que s’est-il passé ?

— Une infection au gaz toxique. On espère ne pas arriver trop tard. Si tu pouvais t’assurer de son état avant… Tu sais quoi, explique Arashi.

Néo tourne la tête vers lui en le questionnant du regard, mû par une colère naissante au fond de ses entrailles. Le prêtre acquiesce, sans dire un mot de plus. Il emmène Karma plus loin dans la cathédrale et tous deux disparaissent derrière une porte dérobée. Néo ne peut qu’espérer que Karma se rétablisse. Il ne supporterait pas de le perdre. Pas après tout ce qu’ils ont fait.

— Ah ! J’ai trop faim ! se plaint Satoshi en s’asseyant en tailleur en étirant ses bras vers le haut. On peut dire que notre mission de sauvetage a été une véritable réussite !

— Presque une réussite… On a encore laissé Ruddy derrière nous, lui rappelle son ami en sortant l’ourson en peluche de sa veste.

— Bientôt, tout le monde sera sauvé, grâce à toi, le rassure Arashi appuyé contre le mur, les bras croisés sur son torse.

Néo l’espère, il veut y croire. Mais les battements douloureux de son cœur l’amènent à penser qu’il n’est peut-être pas en mesure d’une telle prouesse. Détaillant l’ourson déchiré entre ses doigts, il se souvient de cette promesse qu’il a faite au garçon. Il fera en sorte qu’il retrouve cet ours tôt ou tard.

Après quelques instants, Kaminari revient parmi eux. Néo se jette sur plus âgé.

— Comment va-t-il ?

— Il est hors de danger. Les corrosions n’ont pas eu le temps d’atteindre ses poumons.

— Je peux aller le voir ?

— Pas pour le moment. Il se repose. Il en a besoin, et vous aussi. Vous avez traversé une étape difficile, il faut que vous repreniez des forces.

Arashi s’approche de lui et murmure des paroles à son oreille que Néo ne parvient pas à entendre. Un tonnerre de colère gronde dans son cœur, mais il parvient à prendre sur lui pour ne pas éclater. Kaminari paraît agréablement surpris par les dires de son messager. Son regard se pose sur l’élu, avant qu’un sourire rassuré et paisible n’étire ses lèvres.

— Quelle bonne nouvelle.

Le plus jeune fronce les sourcils.

— Je suis heureux que tu acceptes cette mission que t’ont confiée les dieux. Bien entendu, tu ne partiras pas sans notre aide. Arashi vous fournira le matériel nécessaire pour votre voyage. Quant à moi, je vous donnerais toutes les informations pour la réussite de ce périple.

— Tu as bien dit “vous” ? Ce qui veut dire que j’ai la permission de partir avec mon meilleur ami ? demande l’homme au chapeau avec un grand sourire.

Kaminari fait un hochement de tête positif, provoquant un éclat de joie chez Satoshi, qui prend Néo dans ses bras.

— Tu entends ça mon vieux ? On part à l’aventure ensemble ! Les défenseurs de la lumière sont sur le coup !

Néo se met à rire et resserre son ami contre lui.

— J’espère ne pas avoir à sauver ta peau à chaque fois, plaisante-t-il.

Il y a un espoir pour eux d’aller dans un monde meilleur, en finir avec cette malédiction cauchemardesque. Du moins, c’est ce qui aide Néo à ne pas songer à un potentiel échec. Il s’éloigne de son ami tandis que son regard se pose sur le blond brun, perdant de son entrain.

— Je présume que tu ne seras pas du voyage.

Arashi fait un signe négatif de la tête.

— Je me dois de protéger ceux qui sont ici. Ils ont encore besoin de moi pour veiller sur eux. Sachez qu’où que vous soyez, on vous enverra toute l’aide nécessaire. On ne sera jamais bien loin.

Néo s’apprête à ouvrir la bouche pour le questionner, mais Arashi est plus rapide.

— Et arrête avec tes questions, tu me saoules ! dit-il en prenant le garçon dans les bras. Tu sauras reconnaître nos messages, c’est tout ce que tu as besoin de savoir. Soyez prudent, je ne sais pas si l’on se reverra avant votre départ. Je vais me charger de vous trouver le matériel adéquat pour votre aventure. Kaminari vous expliquera le reste, poursuit-il en lançant un regard vers le concerné. Vous n’avez pas intérêt à clamser, je vous préviens.

Il les pointe du doigt d’un air autoritaire, tout en reculant vers la sortie. Il finit par tourner les talons et quitter la chapelle, telle une ombre dans la nuit. Néo commence à sentir le poids que toute cette quête représente.

— Je vais être bref, mais concis, pour ne pas vous faire perdre vos heures de sommeil, reprend Kaminari qui s’installe sur l’oreiller au sommet des marches.

Il invite les deux amis à s’asseoir en face de lui.

— Je ne sais par où commencer tellement j’ai d’informations à vous donner.

— Commence par nous donner la démarche à suivre pour sauver tout le monde.

— Au fond de toi Néo, tu le sais déjà.

— Vaincre le comte ? Mais je n’y arriverai jamais… Tu le sais aussi bien que moi à quel point il est puissant.

Kaminari regarde Néo avec froideur.

— Quelqu’un me l’a dit. Cette créature pourrait tous nous broyer en même temps s’il le voulait, surenchérit Néo.

Des images reviennent dans la tête du plus âgé, fermant les yeux pour les chasser de son esprit. En sentant Kaminari replonger dans ses traumatismes passés, Néo pose sa main sur la sienne dans un geste de soutien.

— On mettra fin à son règne. Mais pour ça, il faut que tu me dises ce que je dois aller chercher en dehors de ces remparts.

Kaminari prend une profonde inspiration et plonge ses yeux dans ceux de l’élu.

— Les paysages en dehors de ces terres seront nombreux. Les dangers qui règnent dans chacun de ces lieux sont bien pires que tout ce dont vous avez imaginé.

Le prêtre s’engage dans un long récit que les deux amis écoutent avec la plus grande des attentions :

— Vous connaissez sans doute la force du chiffre sept dans la Bible chrétienne ? Les sept jours créés par Dieu, les sept vertus cardinales, les sept péchés capitaux et j’en passe. Il s’agit du nombre de la perfection, de la création de Dieu. Eh bien, il existe ici également sept terres différentes, abritant sept essences de la création. Chacune de ces essences est gardée par une divinité et conférerait à un homme au cœur pur, un élu des dieux, de recevoir ses pouvoirs. Les rumeurs sur les origines d’Adès ne sont pas infondées, il s’agit bien du démon maître à qui appartient ce monde. Pour le vaincre, il vous faudra réunir les sept essences disséminées dans le royaume :

L’essence vitale est la première d’entre elles. Celle-ci renferme ce qui maintient l’être humain en vie, l’oxygène, l’eau…

L’essence spirituelle est la seconde. Elle renferme tous les savoirs de l’Homme comme l’intelligence, les inventions légendaires, les prouesses que cela a engendrées.

La troisième, l’essence affective. Ce qui fait de l’être humain sa faiblesse ou sa force, les sentiments, les émotions, en passant de la haine par l’amour.

Pour la quatrième, il s’agit de l’essence néfaste. Celle qui de nombreuses fois a conduit les Hommes à leur perte. Ce désir de domination. Détruire pour survivre.

L’essence de souffrance est la cinquième. L’inévitable souffrance pour tous, la maladie, les peurs, la douleur et enfin la mort.

Pour la sixième, il s’agit de l’essence surnaturelle. Ceux en quoi reposent les espoirs de l’humanité, les croyances divines, la religion.

Puis la septième et dernière, l’essence naturelle. Celle qui confère à l’Homme ce qu’il est aujourd’hui. Son évolution dans le temps et à travers les âges.

Une fois ces sept essences réunies, il faudra les placer dans un oracle. Toi. Si les divinités te jugent assez pur et que tu es l’envoyé qu’ils attendent, alors ils te céderont leur essence.

Cependant, je me dois de te mettre en garde. Ces terres ne sont pas inhabitées. Comme je te l’ai dit, d’autres enfants et d’autres armées occupent ces contrées. Il te faudra apprendre à différencier tes ennemis de tes alliés. Adès étend son pouvoir bien au-delà de la Capitale. Voilà pourquoi je serais là pour vous guider de manière spirituelle, leur explique le prêtre. À présent, tu as toutes les cartes en main pour réussir. La suite de l’histoire ne dépend que de toi.

Néo prend une grande bouffée d’air une fois les explications emmagasinées dans son cerveau.

— Ça va aller ? interroge Kaminari.

— Je ferai mon possible.

— Vous pouvez compter sur nous ! On ne reviendra pas sans toutes ces essences ! annonce l’homme au chapeau avec enthousiasme.

C’est tout ce que Kaminari a besoin d’entendre pour animer un nouveau souffle d’espoir à cette cité, criblé par les balles et la miséricorde. Redonner confiance en chaque enfant d’un jour voir leur cauchemar devenir rêve après deux siècles de massacre. Kaminari se relève.

— Allez dormir maintenant. Vous en aurez besoin pour votre voyage.

— Attends, j’ai une dernière faveur à te demander.

Kaminari fait volte-face, fixant l’ourson de Ruddy que Néo lui tend dans une demande silencieuse.

— Il te l’a confié ?

— Je lui ai promis de le mettre en sécurité en attendant son retour.

— Alors c’est à toi de le garder.

Néo hausse les sourcils, surpris par cette demande. Malgré la peur d’une aussi grande responsabilité, l’élu le range dans la poche intérieure de sa veste. Ce n’est peut-être qu’une peluche, mais il s’agit là d’un symbole puissant à ses yeux. Un voile de chagrin passe sur le visage de Kaminari un bref instant. Juste assez pour que Néo remarque le mal que cela lui fait de savoir Ruddy encore à la Citadelle. Mais ce n’était que partie remise. La bataille n’est pas la guerre, comme un échec n’est pas la fin de tout espoir. Posant une main sur le haut de la tête de Néo, le religieux lui adresse un de ses rares sourires.

— Il a placé sa confiance en toi, tout comme moi, tout comme Arashi et les autres. Ce n’est pas pour rien…

En réponse à ces paroles, les deux hommes échangent un sourire chaleureux.

— Il est temps d’aller dormir. Laissez vos esprits s’évader le temps d’une nuit. Après tout, c’est à cela que servent les rêves.

Les deux amis récupèrent des coussins disséminés dans la pièce et s’installent dans un coin paisible à la douce lueur tamisée des bougies. Le sommeil les gagne rapidement et Kaminari s’accroupit entre eux avant de lever les yeux vers la voûte de marbre composant le toit de la cathédrale.

— Amaterasu protège-les, guide-les de ta lumière en perçant les ténèbres. L’enfant élu bientôt renaîtra.