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 La lumière grise détruit les ombres du canapé-lit où on est assis. Il est dix-sept heures trente-cinq. Kill se lève et ferme la fenêtre. Ses mains n’arrêtent pas de s’agiter.

— Pourquoi t’es aussi nerveux ? je dis, ma main droite dans ma bouche, mes ongles sont trop longs.

Il se rassoit.

— Vas y, Kill. Raconte. Ça fait des semaines que tu m’as promis que tu me dirais ce qu’il se passe.

— Bryan peut revenir d’un jour ou l’autre.

— Et ?

— Je n’ai toujours pas ce qu’il veut.

— Putain Kill, tu vas quand-même pas te faire boloss par ton frère.

Une grimace, ses yeux dévient vers la saleté de la fenêtre. Ils reviennent vers moi.

— Tu ne comprends pas. C’est pas de lui que j’ai peur. Tu sais pas, t’sais des types peuvent débarquer et me réclamer un truc que j’ai jamais eu.

— Bryan a dit ça pour te foutre la trouille, pour que tu fasses le sale boulot qu’il n’a pas les couilles de faire.

— T’en sais rien Avril. Tu ne peux pas affirmer ça comme ça.

Je jette mes pelures d’ongles dans la poubelle.

— Kill, dis-moi ce qu’il s’est passé.

Un long soupir.

— C’est toujours là. T’sais j’étais dehors toute la nuit dernière. Bryan doit revenir vraiment très bientôt.

Il se lève. Il se rassoit.

— Putain, t’as envie de pisser ou quoi.

Je prends sa main dans la mienne. Ce n’est pas un geste d’affection, il ne peut plus fuir la conversation, mon ongle écorché contre son poignet.

— Ok.

Il souffle, par le nez.

— Depuis que Bryan est revenu, je suis avec lui sur des chantiers le week-end. Puis un soir il est revenu de chepa où avec du sang partout. Je crois qu’il était bourré ou totalement défoncé. Je l’ai aidé et il m’a dit qu’il avait besoin de moi, si j’étais chaud pour me faire un peu plus d’argent. J’ai accepté. Je crois que, volontairement, il me laissait dans le noir pour que je ne pose pas trop de questions et que je fasse quand-même des trucs sales. Hum, mais après un chantier il m’a demandé si j’étais d’accord pour faire passer une leçon à un mec qui lui avait cassé la gueule et lui avait volé quelque chose, ne me demande pas quoi, à chaque fois que je posais des questions Bryan disait que les billets qu’il me filait servaient à ce que je ferme ma gueule. Je ne suis pas con, je savais qu’il voulait qu’on lui foute une raclée. Mais je ne me sentais pas de faire ça de sang-froid, je l’ai dit à Bryan. Mais il m’a dit que c’était trop tard, que le mec allait arriver d’une minute à l’autre et que si je ne le faisais pas, c’était nous qui allons y passer. J’ai eu peur, je l’ai cru. Mais Avril…

Ses yeux ne m’ont pas regardé un seul instant.

— Ce mec, il n’avait pas l’air si terrible, putain t’aurai dû le voir quand je me suis approché il avait l’air terrifié, Bryan m’a dit de le taper en premier sinon on allait se prendre une dérouillée. Au bout de deux minutes, j’étais seul à le cogner hein, je crois même qu’il s’est un peu pissé dessus. J’ai arrêté de le frapper, Bryan est revenu de je ne sais où et il l’a fouillé, pour récupérer ce qui était à lui, un truc tout pourri. Là le mec qui était par terre s’est relevé, il avait un canif dans sa main, j’ai vu son regard il avait la haine mais cette haine c’est Bryan qui venait de l’allumer. J’ai vu la lame, c’était hyper court puis je me souviens de rien, j’ai des flashs dans ma tête. Bryan m’a dit que je me suis jeté sur le mec, que je l’ai cogné, cogné, cogné. Moi j’ai cligné des yeux et y avait le mec par terre, moi j’étais au-dessus, j’avais super mal à la main et sa tête oh putain sa tête. Y avait plus rien Avril, comme si il était rempli de confiture à la fraise, ça débordait, partout. Bryan m’a chopé trente secondes après et m’a traîné jusqu’à sa caisse. Il ne m’a rien dit, à part que j’avais pas eu le choix. Putain, je ne sais même pas si il est vivant. Y en avait partout Avril.

Il déglutit.

— Ce n’est pas arrivé qu’une fois, enfin si, les autres fois, c’était plus expéditif et c’était pour passer une leçon, pas, hum, ce n’était pas final. Je suis son pitbull, sa putain de chienne, j’en ai rien à foutre de son fric, y en a même pas assez pour que ça vaille le coup, à chaque fois il me raconte des mensonges de merde et je tombe dedans parce que je me dis que c’est trop gros pour que ça soit faux. C’est de pire en pire. Là, je vois qu’il a des nouveaux potes, des nouveaux associés, je gêne mais je suis là quand-même alors il a inventé une histoire à la con pour me faire peur et me culpabiliser au max. Je ne sais même pas ce que je dois chercher, il gémit.

— Kill, ça va aller.

Je ne peux pas faire plus bateau et merdique que ça.

— Kill, regarde-moi.

Ses yeux sont tremblants, fuyants.

— Si il était mort, tu le saurais, y aurait un truc, je ne sais pas, mais ça ne serait pas passé aussi facilement. C’est fini, ok ? Tu ne vas pas aller je ne sais où chercher n’importe quoi, Bryan est un tocard, c’est bon, c’est fini de l’écouter.

— Avril…

— Non, tu ne vas jamais t’en sortir sinon. Laisse-le tomber.

Je sais à quel point c’est ridicule de dire ça. Il ne peut pas “laisser tomber” son propre frère d’un claquement de doigts. Mais si il n’essaie même pas, il réalisera trop tard, quand il sera dans la merde au point où personne ne pourra l’en sortir, qu’il aurait dû éviter Bryan dès qu’il en a eu l’occasion.

— Peut-être qu’il ne reviendra pas.

Non. Il reviendra forcément.

— Peut-être, oui.

Killie se rapproche, il passe sa main de ma main à mon bras à mon épaule à mon cou. Une étreinte où je le sens se détendre. Le col de mon t-shirt se retrouve imbibé de larmes et de morve. Je ne dis rien. Je ne ferme pas les yeux, sinon je sens les secrets entre nous se rapprocher, me fixer, m’accuser de tout ce que je devrais lui dire.

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