Philadelphie, 29 mai 1799

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 Il pleuvait sur President’s House. J’étais assis au bord de la cheminée, dans un des salons de la demeure. A côté de moi, mon épouse était à son ouvrage, comme tous les soirs. Sur la desserte adossée à mon fauteuil m’attendait le livre qui aurait dû occuper ma soirée. Mais je me sentais incapable de me concentrer. Les yeux dans le vagues, je regardait crépiter les flammes au milieu de l'âtre. Le carillon me tira de mes pensées. Il sonna vingt-deux heures. Diantre, déjà ? Il fallait croire que ce ne serait pas pour aujourd’hui.


—Vous semblez ailleurs, George. fit alors doucement mon épouse.

—Pardonnez moi, Martha… répondit-je alors en me redressant dans mon fauteuil.

—Je suis sûr que vous pensez encore à votre travail. Quel idée avez-vous eu d’accepter la demande du congrès de vous maintenir à la présidence. Vous seriez bien plus reposé et bien plus heureux à Mount Vernon.

—Quand la nouvelle capitale sera finie, vous pourrez vous y rendre aussi souvent que vous le voudrez… ajoutai-je sans grande conviction.

—Peu m'importe d'être à 150 ou a 15 miles de Mount Vernon, George. C’est votre état qui m’inquiète. A nos âges, nous devrions profiter des choses simples de la vie. Cette nation vous a beaucoup demandé, vous pouvez vous le permettre.

—Justement non, Martha… conclu-je en me levant péniblement.


 Silencieusement, mon épouse me regarda traverser difficilement la pièce jusqu'à la bibliothèque. J’avais atrocement mal, et cela se voyait.


—Votre blessure vous fait encore souffrir, ne vois. Etes-vous sûr de ne pas vouloir voir à nouveau un médecin ?

—Et que me dira-t-il ? Qu'à mon âge, avoir un plomb dans la jambe n’est pas raisonnable ? Qu’il me prescrive quelques breuvages encore plus fort contre la douleur, au point que je ne sois plus capable de diriger ce pays ? Ou pire, qu’il demande une amputation ? La douleur est là, mais ce n’est pas infecté. Je ne risque rien à souffrir. Il n’y a rien a faire de plus qu’accepter, Martha. Accepter, et punir…


 Au loin, le tonnerre se mit à rouler sur la ville. Hagard, je restai face à la bibliothèque, appuyé sur cette canne qui ne me quittait plus depuis cet attentat. Les médecins ne m'autorisaient même plus à monter à cheval. C’était hors de question qu’ils me réduisent encore davantage à un statut de grabataire.


—On dirait qu’un bel orage se prépare. J’espère qu’ils ont rangé le linge.

—Eh bien sinon, ils auront du bâton. Que voulez-vous que je vous dise… répondit-je, pensif, en me tournant vers la fenêtre.


 La pluie se jettait sur nos vitres. Il aurait sans doute été retardé, par une tempête pareille… C’est alors que j’entendit du bruit depuis l’entrée de la maison. Brusquement je me retournai vers mon siège, dos à la porte de la pièce. Voyant ma grimace de souffrance, mon épouse secoua négativement la tête, et repris son ouvrage. Quelqu’un toqua à la porte. Rapidement, je frictionnai ma jambe et posa mon bâton de marche contre la desserte, avant de dire :


—Entrez !


 J’entendit la porte s’ouvrir. Un homme entra d’un pas rapide dans la pièce. Au bruit de ses bottes, ce devait-être un coursier. Je cachais tant bien que mal mon impatience et me tournait doucement vers lui. Je vis alors les traces de boue qu’il venait de laisser sur le plancher et le tapis. Sans attendre une réaction quelconque de mon épouse, je demandai à l’homme face à moi :


—Vous êtes ?

—Lee, mon général. Lieutenant Charles Lee.

—Mh, drôle d’homonyme que vous avez là. Un lien de parenté avec le Charles Lee, peut-être ?

—Non mon général, pas à ma connaissance.

—Dans tous les cas j’espère que vos nouvelles sont meilleures que celles qu’ils m'apportaient.


 Sans rien dire, le coursier me tendit avec rigidité et déférence un plis que je m’empressa d’ouvrir. Un peu trop sans doute pour avoir l’air serein. Cela faisait deux jours que j’attendais cette nouvelle. Sans plus attendre, alors qu’un éclaire vint éclairer mon visage, j’en pris connaissance :


Le 27 mai 1799

À Son Excellence George Washington,
Président des États-Unis,
Commandant de la Révolution, Défenseur de l’Union

Monsieur,


Il est de mon devoir, en tant que Gouverneur de New York, d’informer Votre Excellence que la sentence de mort prononcée à l’encontre de Thomas Jefferson, autoproclamé élu président des États-Unis lors du scrutin invalidé de 1796, et reconnu coupable de trahison, sédition et atteinte à l’ordre national par le Tribunal d’Urgence de l’Etat de New York, a été dûment exécutée ce Lundi 27 mai à quinze heure précise.

L’exécution a été menée conformément aux Articles de Sûreté Nationale de l’Acte d’Urgence de 1797, ratifiés par votre excellence, sous la supervision des Minutemen. Aucun incident n’a été signalé. Le corps a été confié à la terre en un lieu tenu confidentiel, conformément aux procédures relatives aux criminels d’État.

Bien que les actes de l’intéressé aient causé de graves torts à la stabilité de notre Union, l’Administration reconnaît ses anciens services rendus à la Nation lors de la Révolution et regrette qu’il ait choisi la voie de la trahison plutôt que celle de l’Unité Patriotique.

Je tenais également à apporter à la connaissance de votre Excellence que le condamné a réussi à communiquer à une tierce personne un document vraisemblablement rédigé dans sa cellule. N’ayant pas été capable de retrouver la trace du complice, il nous est impossible de vous communiquer le contenu de ladite lettre. Vous pouvez cependant être assurée qu’aucun signe d’agitation n’a été observé parmi les partisans restants du défunt. De plus, conformément aux Articles sur les libertés de 1798, amendant l’Acte d’Urgence précédemment cité, aucune communication sur l’exécution du condamné n'a été faite dans la presse sans l’aval de mes bureaux.


Mes salutations les plus distingués ;
Honorable John Jay, Gouverneur de l’Etat de New York



—Les nouvelles sont bonnes ? osa timidement demander le coursier.

—Justice est faite… lui répondit-je, un léger sourire de satisfaction au visage.

—Vos ordres, mon général ?

—Vous devez avoir faim. Allez en cuisine, on vous servira quelque chose de chaud…

—A vos ordres.


 Aussitôt, le coursier fila, me laissant seule avec Martha. Je n’avais pas quitté la lettre des yeux. Au fond de moi je peinais à me rendre compte de ce que Jay venait de m’annoncer. Jefferson avait été un si grand ami de la liberté, un fervent partisan de la révolution. Trop, sans doute.


—Pauvre Jefferson. C’est regrettable qu’un homme aussi intelligent ait basculé dans des extrémités aussi dommageables. Sa pauvre épouse, paix à son âme, aurait sans doute eu du mal à le reconnaitre. N’est-il pas, mon ami ?


 Je ne répondit rien. Face à mon silence, Martha continua.

—Bien, je crois que j’ai assez veillé pour ce soir. A demain, George

—A demain, Martha… Que la nuit vous soit agréable. Je crois que je vais rester un peu.

—Je ne vous ferez pas l’ennuis de vous rappeler ce que pensent les médecins des veillés à votre âge. Bonne nuit, George.


 A ses mots, elle déposa son ouvrage sur son fauteuil et me laissa seul. Je repensait, en relisant cette lettre, a tout ce que j’avais fait pour en arriver la, tout ce que j’avais sacrifié pour cette jeune nation, cet enfant si jeune, si fragile. Martha me disait d’accepter de me retirer, mais qui pourrait me succéder ? Adams ? Cet imbécile était trop gentil, trop moue pour conduire notre pays, lui faire éviter les pièges dans lesquels une Liberté mal dosé pouvait entraîner les jeunes états, et dans lesquelles la France avait sombré. Non, il fallait que je prépare quelqu’un…


 Je crois que je me suis assoupi quelques instants. Martha regardait le feu à côté de moi. Martha ? Non, elle était partie dormir. Mais si ce n’était pas ma femme, qui était assis a coté de moi ? Doucement, je relevais la tête et me tournais vers l’autre fauteuil. Un éclair illumina alors le visage à côté de moi. un visage âgé, joufflu, affublé de petites lunettes rondes et cerclé de cheveux gris, mi long, marqué par une calvitie. Je sursauter en voyant cette personne, qui en simple réponse me répondit :

—Bonsoir, George.

—Benjamin ?!

—Belle soirée, tu ne trouve pas ? J’ai toujours aimé les orages. Ça me fait penser à ce que disait Jefferson sur moi…

—Qu’est ce que tu fais là ? le coupai-je paniqué, alors que je saisissais ma canne.

—Eh bien a dire vrai je ne sais plus si je suis venu rendre visite à mon vieil ami George, ou rendre hommage au Roi George lui-même. Par les temps qui courent, on en arrive a douter de tout.

—Tu es mort, Benjamin !

—Ce sont des choses qui arrivent. Par contre, toi, tu n’avais pas de canne, la dernière fois que je t’ai vu. Comme quoi, tout change, pas vrai. C’est comme ce pays…

—Qu’est ce que tu me veux ?!

—Te mettre en garde. répondit plus froidement Franklin, en regardant le feu de la cheminée, alors qu’un éclair illumina la pièce.

—Si tu voulais me mettre en garde, tu serais venu avant qu’ils ne tentent de m’assassiner !

—Ce n’est pas contre les autres que je veux te mettre en garde, George. ajouta-t-il en se tournant vers moi. C’est contre toi.

—Contre moi ? demandai-je, circonspect. 

—Contre ce que tu es en train de devenir, George. Pourtant nous nous sommes battus ensemble contre le despotisme, avons lutté ensemble pour cette révolution, cette république, cette Liberté. Nous avons combattu pour tout ca, tous les trois.


Je ne répondis rien, je devais rêver, sans doute. C’était la première fois qu’un rêve me parlait si distinctement. Benjamin repris :


—J’aimais beaucoup Jefferson. Je le respectait énormément. Sais-tu qui le respectait aussi ?

—Non.

—Toi, George. Je me trompe ? Tu admirait sa capacité à raisonner, son intelligence et son sens du devoir Patriotique. Pourtant tu l’as laissé mourir, en Martyr de cette Liberté que vous vous êtes juré de défendre tout les deux.


Je me levai alors d’un bon, et, malgré la douleur, m'éloignai de ce Fantôme en tonnant sur le même rythme que le tonnerre :


—Ne cherche pas à me faire regretter cette décision, Benjamin ! Thomas s’est fourvoyé !

—Etait-ce la peine de le condamner à mort ? Tu fut plus tendre avec… Comment s’appelait-il déjà… Tiens, comme le coursier qui mange dans ta cuisine : Charles Lee.

—Ça n'avait rien à voir. Thomas a comploté contre la sûreté de l’Etat. Il a cherché à me faire assassiner !

—En es-tu vraiment sûr ? Pense-tu vraiment Jefferson assez fou pour participer a ce genre de folie ?

—Le tireur à crié Sic Semper Tyrannis. Je l’ai entendu !

—Il a crié une vérité qui t’as plus blessé que la balle qu’il a logé dans ta jambe, pas le nom d’un complice. répondit aussitôt Franklin en se levant à son tour. Rappel toi, ici même, à Philadelphie, il y a vingt ans, nous criions tous Sic Semper Tyrannis. Jefferson, Madison, Hamilton, Jay, Baldwin, Gorham, toi, moi, et que me pardonnent les autres. Nous voulons tous voir mourir les tyrans et naître la Liberté. Alors dit moi, George, pourquoi Jefferson ?


 Je ne savais pas quoi répondre à cette question. Ou du moins, je n'osais y répondre. A quoi bon, j’allais sans doute me réveiller d’ici peu, de toute manière. N’est-ce pas ?


—Ta quête de paix sociale et d'ordre nécessitait-elle le sacrifice de tes pairs ?

—Ne me parle pas de sacrifice ! c'est moi qui me suis sacrifier pour cette nation, Benjamin ! Voilà des années que j’aurai pu prendre ma retraite et je ne l’ai pas fait, pour ce pays, par sa faute !

—Crois-tu sincèrement que Thomas représentait une menace pour l’Etat ? Tu lui a volé son élection, tu a fait voter des lois pour lutter contre ceux qui osaient contester cette décision, et pourtant il a su se tenir à l'écart, éviter la confrontation, lui qui était pourtant si prompt à s'engager pour défendre ses idéaux.

—Ils m’ont apporté les preuves…

—Ces torchons de mensonges ? Celles-là même qui furent présentées au tribunal, je suppose ? Avais-tu perdu tes lunettes pour te laisser avoir par des faux si grossiers ?

—Crois-tu réellement qu’il serait resté éternellement les bras croisés ? Ses partisans n’acceptaient pas que leur révolution s’achève. Ils en voulaient toujours plus, et il n'a rien fait pour les arrêter !

—Thomas était devenu un agneau inoffensif, que tu as sacrifié sur l’autel de ton absolutisme.

—Assez ! Disparaît ! Retournes à l’Empire des Morts et ne viens plus me tourmenter ! Hurlait-je en agitant ma canne vers lui.


 La porte du salon s’ouvrit brusquement. Deux Minutemen et le coursiers entrèrent dans la pièce précipitamment.


—Tout va bien, mon général ? On vous a entendu crier. demanda le coursier.


 Je les regarda de longues secondes, surpris, puis me tourna vers Franklin. Mais a ma grande surprise, sans compter les trois soldats, j'étais seul dans la pièce.


—Oui, oui… Ce doit être la fatigue. Je ferai mieux d’aller me reposer…

 A ces mots, j’entama péniblement le chemin vers l’escalier avant de congédier les trois soldats et de rejoindre ma chambre. Cette journée avait été épuisante, je méritait du repos…

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