Chambre 1

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Elle s’était allongée. Elle avait déposé les armes, enlevé son armure. Il ne restait plus sur elle traces de rien. Les marques de sa séduction étaient parties les unes après les autres, au démaquillant et il ne restait plus qu’elle, dans la nuit. Tous les artifices s’étaient dissouts et détachés de sa peau, les uns après les autres, avaient coloré, les uns après les autres, des petits disques de coton à la texture serrée, qu’elle avait jetés les uns après les autres, jusqu’à ce que le dernier soit presque parfaitement blanc. Son visage partait en tâches rondes et colorées délavées sur des disques de coton qu’elle envoyait sans hésiter dans la poubelle de la salle de bains. Elle était revenue auprès de lui, dans la chambre. Elle, sans les parades sociales, sans les parades nuptiales, était revenue auprès de lui ; elle s’était dépouillée de toutes les parades et de toutes les parures, et au fond, elle s’était presque débarrassée de son apparence, et elle ne savait pas très bien ce qu’il restait d’elle ainsi. Elle ainsi, dépouillée, ne se sentait presque rien.

Aimer l’autre au-delà des apparences n’est pas donné à tout le monde.

Alors elle avait revêtu de ces vêtements chantournés contournés, aux structures complexes qui mettaient le corps en valeur, le corps est une valeur, non ?, qui soulignaient sa poitrine et dessinaient son corps, qui évoquaient irrésistiblement en son esprit, du moins qui l’auraient évoquée s’ils l’avaient connue, Sarah Bernhardt ou quelque immense tragédienne, ou quelque figure théâtrale, ou quelque silhouette du XIX ème siècle, avec cette ridicule expression, de celles qui faisaient tourner la tête des hommes. Si elle les avait connues, ces figures auraient défilé dans son esprit, et se seraient amusées de ses efforts réitérés constants risibles pour évoquer ce par quoi, pensait-elle, elle se rattachait à un "éternel féminin". Et tous ces cordons de satin, ces nœuds de dentelle, transparence à même la peau, supposés la rattacher la retenir à cet "éternel féminin" qui lui évitait d’être elle-même.

Il valait infiniment mieux qu’elle ne les connaisse pas. Elles seraient toutes entrées, les unes à la suite des autres, elles se seraient précipitées dans la chambre, elles auraient exercé leurs rires et leur esprit caustiques sur ces fanfreluches, qu’elles auraient mises en pièces. Il valait mille fois mieux qu’elle ne les connaisse pas, qu’elle ne leur ouvre pas sa porte, qu’elle reste dans l’espace clos de ses certitudes, et qu’elle se croit définissante. Sans quoi elle serait tombée de ce piédestal sur lequel elle tentait de se hausser, comme elle le pouvait, de se tenir, comme elle le pouvait, avant que les premières rides ne soient trop voyantes, que l’affaissement de sa poitrine lui pose des problèmes insolubles dans le face à face haineux qu’elle entretenait avec le miroir de cette salle de bains.

Elles seraient entrées, elles auraient ri, elles auraient recommencé la somptueuse parade de leurs charmes, de leurs appâts, de leurs atouts. Elle se serait sentie triste et seule, rendue à son inapparence ; elle se serait sentie transparente, effacée de ce monde, comme la buée l’avait effacée de la surface du miroir lorsqu’elle était sortie de sa douche brûlante. Elles auraient ri de ses efforts tenus tendus, de sa carte du club de fitness, et de ses brûle-calories qu’elle avalait consciencieusement après les excès des dîners en ville, de ses gélules amincissantes et de ses rêves de chirurgie récalcitrants. Elles auraient tourbillonné autour d’elle, sans pitié ; il valait mieux qu’elle n’en sache rien, qu’elle ne sache pas, et qu’elle s’allonge avec son magazine pour préparer la diète de l’été.

Elle allait s’effacer un peu plus de la surface du monde et contrôler un peu plus encore le jeu du corps. Il n’est pas donné à tout le monde de s’aimer au-delà des apparences.

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