Chapitre 5 (troisième partie)

8 minutes de lecture

Madame Graham,

C'est avec un grand intérêt que j'ai pris connaissance de votre courrier et je m'excuse de vous répondre un peu tardivement, mais je voulais pouvoir vous apporter des éléments complémentaires à vos recherches. Ce que vous avez découvert dans votre grenier est un trésor inestimable pour un historien comme moi et je serais très curieux de prendre connaissance de la traduction de ce journal quand vous l'aurez terminée. Je lis aisément le français, mais puisque vous vous êtes attelés à la traduction, je patienterai donc. Je vous remercie de m'avoir déjà envoyé les photos des tartans que vous avez découverts. Ils ne sont en effet pas du tout répertoriés et leur existence pourrait asseoir la preuve de celle du clan MacLeod d'Inverie, existence fondée et reconnue à travers quelques documents que nous possédons dans les archives, à commencer par l'acte de reddition dont vous avez eu vous-mêmes connaissance et dont mon ami Stanley MacKenzie vous a parlé. J'ai pu retrouver l'acte de cession des terres d'Inverie à Kyrian MacLeod et vous en envoie une copie.

Je comprends votre grand intérêt pour ce journal et toute l'histoire que vous découvrez. N'hésitez pas à revenir vers moi si vous aviez besoin de renseignements complémentaires ou si vous aviez la moindre question ou difficulté. Je serais également curieux des travaux que vous menez sur votre arbre généalogique et si vous l'acceptez, bien entendu, j'aimerais avoir connaissance des résultats de vos recherches.

Sachez que, déjà, je vais faire le nécessaire pour que le tartan des MacLeod d'Inverie soit porté à l'inventaire national.

Je vous remercie d'avance de tous les précieux renseignements que vous pourrez m'apporter et qui contribueront à une meilleure connaissance encore de l'Histoire de notre pays.

Bien cordialement,

Paul MacGuiness

Maureen avait lu le courriel du professeur à voix haute, pour en faire profiter toute la famille, rassemblée autour d'elle. Seul Mickaël était absent et elle lui en ferait part dans la nuit ou le lendemain, quand ils se verraient. Les enfants avaient écouté bien sagement, mais comme le silence se prolongeait, Mummy réfléchissant déjà aux renseignements contenus dans le courrier, Killian demanda :

- Maman, qu'est-ce que ça veut dire exactement que le tartan sera porté à l'inventaire national ?

- Il s'agit d'une manière de faire reconnaître les couleurs d'un clan, répondit Maureen. Depuis de nombreuses années, cet inventaire a été réalisé afin d'éviter des discussions autour des couleurs, mais aussi des "vols" si je peux employer ce mot : certains clans refusent que leurs couleurs soient portées par d'autres personnes que celles leur appartenant, d'autres au contraire sont plus ouverts. L'inventaire répertorie aussi ces données. Il y a également des familles ou des régions du monde qui n'ont pas de tartans ou qui souhaitent en créer un : ces personnes ou leurs représentants s'adressent alors aux gens qui régissent l'inventaire pour d'une part, éviter les doublons, et d'autre part, que le tartan créé soit représentatif de la famille qui le demande, de son histoire, du lieu où elle vit, etc...

- C'est ainsi que nos cousins bretons possèdent un tartan, fit remarquer Mummy. Il est juste blanc et noir, aux couleurs de cette région. Car même si les Bretons ne sont que de lointains cousins des Ecossais, ce sont aussi des Celtes et ils ont, à ce titre, droit à un tartan. Je crois aussi avoir entendu dire que des îles bretonnes avaient créé leur propre tartan, mais il faudrait vérifier...

- Alors, demanda Ewan, cela veut dire que si le tartan des MacLeod d'Inverie est reconnu, on aura le droit de le porter ?

- Si nous sommes bien les descendants de Kyrian et Héloïse, oui, dit Mummy en souriant.

- Ce serait génial ! s'écria le garçon.

Et son frère et sa sœur acquiescèrent.

- Quand Héloïse raconte que Kyrian l'a épousée en portant le kilt, je me demande quelles couleurs il avait. Etait-ce celui du clan de Skye ou celui d'Inverie ? s'interrogea encore Mummy.

Maureen prit soin de noter cette interrogation de la vieille dame dans le fichier qu'elle avait ouvert et dans lequel elle recensait toutes les questions qu'elles se posaient, au fur et à mesure qu'elles avançaient dans leur traduction, ainsi que les réponses quand elles les trouvaient. Puis elle ouvrit le document joint par Paul MacGuiness et qui était une copie de l'acte de propriété des terres d'Inverie. Ce document avait été signé par Sir Walter Fleming, le représentant de la Couronne, et par Kyrian MacLeod, en 1748. Il portait le sceau de la Couronne et celui des MacLeod, qu'elle put reconnaître aisément pour l'avoir vu aussi sur l'acte de reddition.

Le document n'était pas qu'un simple acte de cession, car y étaient décrites assez précisément les limites de la propriété accordée à Kyrian. Sur la carte étalée devant eux, les enfants soulignèrent les noms lus par leur mère, puis Maureen traça sommairement des lignes les rejoignant : ainsi, ils avaient une idée de ce que fut la propriété de la famille. Avec l'aide de Mickaël, quelques jours plus tôt, elle avait aussi tracé les limites du clan, du moins, telles qu'ils pouvaient les imaginer avec les données citées dans le journal d'Héloïse et avec les informations collectées dans les archives.

- C'est un périmètre très réduit, dit Mummy en regardant la carte une fois que Maureen eut terminé.

- Oui, dit celle-ci. La propriété qu'ils ont alors possédée n'avait vraiment plus rien à voir avec les terres du clan.

- La Couronne leur a tout juste accordé les terres autour du loch Nevis. Cela permettait un accès à l'eau, donc la possibilité de pêcher, du moins dans les eaux du loch. Les terres en bordure sont aussi meilleures que celles sur les flancs des montagnes. Car à part y faire pousser des moutons...

- Comment ont-ils pu survivre ? demanda encore Maureen. Ils étaient quand même nombreux, si on compte les habitants des petits villages et hameaux situés dans leur propriété.

- Sans compter ces réfugiés dont Héloïse fait mention et qui sont arrivés peu après la signature de l'acte...

Maureen hocha la tête et relut quelques paragraphes qu'elles venaient de traduire :

Hiver 1748

C'est par un matin glacé que nous les avons vus arriver, menés par John Delaery. Ce dernier n'était plus que l'ombre de lui-même. Amaigri, affaibli, je me suis longtemps demandé comment il avait pu franchir les montagnes nous séparant de Glendessary. Plusieurs familles étaient là, dont celle de Torquil menée par Fillan. Je fus émue de le revoir, mais heureuse aussi quand il me présenta sa femme, Shona, que je reconnus pour être la sœur de Torquil. Elle était encore une enfant, à peine adolescente, quand nous les avions secourus et que Kyrian leur avait permis de s'installer à Glendessary. Elle avait toujours les mêmes jolis yeux et je pus vite constater qu'elle et Fillan formaient un couple uni, faisant face avec courage aux difficultés qu'ils rencontraient. Nous parvînmes à faire héberger les familles au village et John s'installa au château, avec nous. Il mit un peu de temps à se refaire une santé, d'autant qu'il n'était plus tout jeune maintenant. Il avait sensiblement l'âge d'Alex. Quand il eut repris quelques forces, il nous raconta ce qui les avait motivés à partir : les terres de Glendessary étaient désormais la propriété de Logan Campbell et ce dernier les faisait trimer sang et eau. Un des métayers avait été tué pour s'être opposé à lui, ce qui ne fut pas sans nous rappeler quelques souvenirs. Même si nous vivions déjà chichement, il était impossible pour Kyrian de refuser de les accueillir : le laird en lui reprenait le dessus et nous nous arrangeâmes alors pour qu'ils puissent s'établir par ici.

- Oui, dit Maureen. Comme Héloïse le raconte, au cours des années qui suivirent, la vie ne fut pas facile pour eux. Ils ont frôlé plus d'une fois la famine et certaines familles ont même décidé de quitter les terres et de s'exiler.

- C'était une bien rude époque que les années qui suivirent la défaite de Culloden : même si cela commence à faire loin dans le temps et que bien des événements sont survenus depuis, les gens n'ont pas oublié et le témoignage d'Héloïse nous le rappelle, fit Mummy.

Les enfants s'étaient tus et les écoutaient avec attention et gravité. Ils avaient du mal à imaginer ce que signifiait la faim, pour eux qui mangeaient chaque jour de bonnes choses, ils avaient du mal à imaginer ce qu'était le froid mordant, alors qu'ils trouvaient toujours un bon feu allumé dans la cheminée quand ils rentraient de l'école, à la mauvaise saison. L'arrivée de la neige était pour eux une réjouissance, marquant aussi l'anniversaire d'Erin, pas une calamité contre laquelle il allait falloir lutter.

- Comment ont-ils fait ? demanda encore Killian.

- Ils ont cultivé toutes les terres possibles, dit Maureen. Héloïse raconte d'ailleurs comment, dès le printemps 1749, ils ont commencé à défricher bien au-delà de ce qu'ils avaient déjà dégagé, à flanc de montagne. Ils ont poursuivi la culture des pommes de terre, ce qui leur a certainement évité de mourir de faim certains hivers, car il n'y avait que peu de possibilité de cultiver des céréales, et pas en quantité suffisante pour nourrir les habitants vivant sur leurs terres.

- Et ils ont commencé à élever aussi des moutons et quelques vaches, mais plus tardivement pour ces dernières.

- Peut-être qu'ils n'en avaient pas eu l'autorisation, fit Maureen. J'ai lu quelque part que cela était aussi réglementé par les autorités royales. Mais, pour l'heure, nous n'avons pas d'éléments nous permettant d'émettre une hypothèse à ce sujet pour le bétail. Et toutes les familles des villages aux alentours ont fait de même. Elle mentionne aussi la pêche, pour laquelle Kyle, ses fils et Roy se sont visiblement passionnés.

- Avaient-ils encore le droit de chasser ? demanda Ewan. Ils auraient pu chasser le cerf, les lapins... Cela fait de la nourriture.

- Je ne suis pas certaine qu'il y ait eu beaucoup de cervidés autour du loch, fit Maureen. Quant aux lapins... c'est possible, mais j'imagine que, comme en Irlande peu après, les habitants ont connu beaucoup de restrictions.

- Comment cela, maman ? interrogea Erin.

- Et bien, durant Les Grandes Famines, les historiens l'ont montré, les Irlandais auraient très bien pu survivre. Je ne dis pas vivre décemment et manger à leur faim, mais enfin, ils auraient pu ne pas mourir par milliers, ni être contraints de s'exiler. Ils n'avaient pas le droit de pêcher, ni en mer, ni en rivière. Or les eaux côtières sont riches, et les rivières regorgent de saumons, comme ici. Même si les pommes de terre pourrissaient, ils auraient pu compenser avec les céréales et de la viande. Mais l'interdiction de pêcher les a conduits à la famine... et à la mort, ajouta-t-elle avec gravité.

Les enfants gardèrent le silence : s'ils n'étaient pas sans ignorer les origines irlandaises de leur maman, ils lui posaient rarement des questions à ce sujet. Et elle leur livrait là une réalité bien triste de l'Histoire de son pays.

***

Je m'excuse de poster la suite si tardivement... J'ai eu une quinzaine très chargée et très peu de temps. Je vous mets cette suite, sans avoir le temps de répondre à vos derniers messages, mais j'espère pouvoir le faire la semaine prochaine et poster aussi plus régulièrement.

Merci de votre patience :-) ! Bonne lecture à toutes et tous !

Pomme

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