Chapitre 8 (troisième partie)

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Janvier 1756

Ce matin est un matin blanc de neige. Mais le ciel est très pur. Je devine le froid coupant à travers la fenêtre, mais fort heureusement, il fait bien chaud dans la chambre de Roy. Kayane vient de donner naissance au petit Alexandre. Sans doute l'appellerons-nous Alex...

Marie a remplacé Madame Lawry pour nous assister et, une fois de plus, j'ai pu apprécier sa façon de ressentir les choses. Elle a été d'une grande aide à Kayane qui, maintenant, se repose, son petit couché contre son sein. Je veille sur eux et sur Roy, assis auprès de sa femme.

Que les années passent vite... Je revois encore Roy si petit, avec sa houppette rousse et ses joues bien rondes, et l'émotion de Kyrian quand il était entré dans la chambre et que je lui avais annoncé qu'il avait un fils. Maintenant, c'est ce fils qui est père, pour la deuxième fois.

Mars 1756

Ce n'est pas sans un profond étonnement que nous avons vu arriver des hommes portant le tartan. Ils n'étaient qu'une petite dizaine, à cheval, menés par un ancien soldat de Bonnie Prince Charlie. Dix ans après la défaite, alors que des hommes croupissent encore dans les geôles anglaises, que les familles se résignent à l'exil, cela m'est apparu comme une vision, un rêve.

Mais il s'avéra que ces hommes n'étaient ni des visions, ni des spectres. Leur chef est Simon Fraser qui avait combattu aux côtés des nôtres, de Prestonpans à Culloden. Après la mort de son père, Lord Lovat, à Londres, il était rentré dans ses terres, meurtri et abattu. Mais ces temps derniers, il s'est activé à obtenir du roi la possibilité de lever une armée écossaise pour combattre aux côtés des troupes anglaises. Ainsi devrait naître le premier régiment de Highlanders. En échange de leur engagement, les hommes peuvent retrouver le droit de porter le tartan et des armes, et certains pourraient même obtenir la levée de sanctions pesant encore contre eux ou des membres de leur famille.

Kyrian avait eu l'occasion de le côtoyer maintes fois sur le champ de bataille et lors de l'aventure jacobite. Il avait beaucoup de respect pour lui et l'accueillit avec joie. Simon est venu lui faire part de son projet, et j'ai craint un instant, en les entendant parler, que Kyrian ne se lance dans cette aventure. Mais il balaya d'un trait la proposition de Simon, arguant qu'il avait charge de famille à défaut d'un clan et que les bras étaient tout juste suffisants pour nous permettre de survivre.

Mais Ervin et Galyn semblèrent, eux, très intéressés par cette proposition. Et ce fut ainsi que, quelques jours plus tard, nous les vîmes partir avec Simon Fraser, sans être certains de jamais les revoir. Clarisse fut inconsolable du départ de son garçon, quant à Kyle, je le vis pleurer pour la première fois de ma vie pour une autre raison qu'un décès.

- Il y eut un Simon Fraser qui s'illustra lors du Débarquement, dit Mummy. C'était un des chefs de l'armée britannique. Steven parlait parfois de lui, même s'il n'avait pas servi sous ses ordres directs. Il avait le titre de lord.

- C'était un descendant de ce Simon que mentionne Héloïse ? demanda Maureen.

- Je ne sais pas exactement... Ou un lointain neveu. Mais ils appartenaient à la même famille, c'est certain, puisque c'est lui qui a hérité du titre de Lord Lovat.

Maureen hocha la tête. Elle nota ces données, mais en se disant que cela les éloignait un peu d'Héloïse et de Kyrian. Elles reprirent leur travail et furent émues, quelques pages plus loin, par une nouvelle qui affecta toute la famille. Ce qui était certain, c'était que le Simon Fraser dont Héloïse faisait mention était bien celui qui allait permettre la création du premier régiment de Highlanders, le 78ème régiment, appelé aussi le Régiment Fraser.

Mai 1757

Nous avons reçu ce jour des nouvelles de nos garçons. Ervin et Galyn ont traversé l’océan et se trouvent désormais dans les colonies, à combattre l’armée française, au Canada. En lisant ces mots, Kyle a porté ses deux poings à son front et a juré ses grands dieux. Que son fils combatte ceux qu’il a toujours considérés comme des alliés, ceux auprès desquels lui-même s’est battu, est pour le moins stupéfiant et blessant. "Ce ne sont pas contre les Français qu’il faut se battre ! Mais contre les Anglais !" Et j’ai pu mesurer, une fois de plus, à ses mots, combien mon beau-frère n’a pas accepté la défaite jacobite et combien il lui est encore difficile d’admettre que nous nous trouvons désormais sous la coupe anglaise et qu’il n’y a plus guère d’avenir en-dehors de ce royaume que l’on dit "uni".

- Pour un soldat comme Kyle, du moins, tel que nous pouvons le percevoir, tous ces changements étaient bien difficiles, dit Mummy. Imagine si nos soldats avaient dû se battre aux côtés de la Wehrmacht contre l'Armée Rouge ! Cela aurait représenté la même incongruité…

Maureen hocha la tête. Elle comprenait l'image, mais, dans ces quelques lignes, Héloïse avait aussi livré des éléments importants, une fois de plus, même en quelques mots. Elles apprenaient ainsi que des membres de la famille s'étaient retrouvés dans les colonies, qu'ils y étaient peut-être restés après ce que l'Histoire avait retenu sous le nom de "Guerre de sept ans", qu'ils s'y étaient peut-être mariés. Elle se dit que si, un jour, elle envisageait de retrouver la trace de toute la descendance de Kyrian et Héloïse, ce ne serait pas chose facile… Car même si Ervin était leur neveu et que Galyn était le fils de domestiques, qui pouvait dire que d'autres membres de la famille ne les avaient pas rejoints ?

- Je pense que c'est typiquement le genre de passages qui pourrait intéresser grandement un chercheur comme le professeur MacGuiness, dit-elle. Car elle décrit aussi ce qui se passe dans les esprits, combien certaines choses ont été difficiles à accepter.

- Kyle était un fervent jacobite, nous avons déjà pu le déduire, dit Mummy. Il avait combattu, aussi. C'était un soldat… C'est plus dur pour eux, d'accepter la défaite.

- Oui, sans doute. Kyrian semble avoir mieux pris les choses que son beau-frère. Peut-être qu'il a compensé le sentiment de colère et de regrets par le fait d'avoir à se battre désormais pour leur survie. Il était chef de clan, il a conservé cette responsabilité, même une fois le clan défait. Héloïse le fait remarquer de temps en temps.

- Tu as raison. Et je pense en effet que ce passage intéressera le professeur. J'aimerais bien parler avec lui.

- Peut-être qu'il acceptera de venir nous voir, à l'occasion, dit Maureen. Je pourrai toujours lui proposer une invitation.

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