Chapitre 1

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Il se releva doucement. Rien que de se mettre debout était une épreuve pour lui. Outre la douleur, il avait l’impression d’être encore sur le bateau en pleine tempête. Un pas après l’autre. Il se dirigea vers Louise. Elle le vit arriver de loin, et s’arrêta dans sa tâche pour le gratifier d’un nouveau sourire :


« Pour qui sont ces herbes ? demanda Victor.

— Pour ma mère, répondit d’une petite voix Louise, elle est malade, ces herbes la soulagent un peu.

— Oh pardon, je ne voulais pas —

— Je t’en prie, intervint Louise, tu ne pouvais pas savoir. »


Louise marqua un instant, regardant d’un regard vague et perdu le sol à ses pieds. Elle était soudainement perdue dans des pensées qui l’attiraient loin de la crique, des souvenirs sans doute douloureux puisque son sourire avait disparu. Puis, elle se ressaisit au bout de quelques secondes, secouant doucement sa tête. Et elle se releva, prenant bien soin de ranger les précieuses herbes dans son sac en bandoulière. Elle fit ensuite signe à Victor :


« Viens, suis-moi. On va aller à Thorgard.

— Thorgard ?

— Une des cités libres, la plus proche. »

Victor avait un vague souvenir des cités libres, mais il ne pouvait dire s’il avait déjà été ici, ou non. Il se contenta de suivre Louise en silence. Peut-être que ce voyage vers la ville allait se révéler utile. Il fit quelques pas en direction du passage creusé par les vents et le temps au milieu des falaises. Le seul accès vers la crique. Puis soudain, il se stoppa. Il eut comme une étrange impression en entendant un bruit curieux, inhabituel dans une région aussi sauvage. Celle d’une machine, il en était persuadé. Il se retourna et balaya du regard la crique dans l’espoir de trouver la source du bruit. Au loin, tapis dans les forêts denses situées sur les falaises, il vit le reflet d’un rayon de soleil produire un flash. Le pare-brise d’un mécha venait refléter le rayon de lumière vers lui. Puis une immense détonation brisa le silence de la crique. Les pins de la forêt craquèrent sous le bruit et la force de la déflagration alors que les oiseaux nichés dans leurs branches prenaient leur envol en toute hâte.

Victor réagit en une fraction de seconde et agrippa le bras de Louise pour la tirer vers lui. L’instant d’après, la roche des falaises devant eux s’effondra, condamnant ainsi le passage et libérant un énorme nuage de poussière qui fit tousser le duo d’infortune.

Victor regarda immédiatement en direction de la forêt désormais balayée par la déflagration du missile. Il eut tout juste le temps de voir un mécha, aux couleurs bleues électriques partir de la falaise pour s’enfoncer dans ce qui restait de la forêt de pin. Il regarda de nouveau Louise qui s’était couvert la bouche avec sa main en attendant patiemment que la poussière retombe autour d’eux. Il leur fallut attendre quelques secondes pour pouvoir respirer et parler correctement. Et malgré l’attaque, Louise semblait calme. Elle regarda les débris qui maintenant leur bloquaient la route, et elle se contenta de pousser un long soupir.


« Tu as vu quelque chose ? demanda-t-elle à l’attention de Victor.

— J’ai vu un mécha tiré depuis la falaise. Un mécha bleu.

— Génial. Il ne manquait plus que ça.

— ça n’a pas l’air de t’inquiéter plus que ça… »


Elle croisa les bras et jugea du regard Victor :


« Tu ne connais vraiment rien des cités libres ?

— Vaguement… J’ignore si je savais quelque chose un jour ou non.

— Les cités libres sont simplement des cités états. Elles font valoir leurs lois à l’intérieur de leur enceinte, en dehors… Disons que c’est plus compliqué, ce n’est jamais très prudent de s’aventurer en dehors.

— ça n’a pas l’air de te freiner pourtant.

— Je ne suis pas une faible femme, siffla Louise entre ses dents, et de toute façon ma mère a besoin de ses plantes. »

Elle regarda de nouveau les débris.

« Peut-être que le bruit de déflagration a attiré quelqu’un, ou bien il faut attendre. Quelqu’un finira sans doute par venir nous chercher. »


Elle semblait sûre d’elle, et son calme et sa confiance apaisaient quelque peu les angoisses et questions de Victor. Heureusement qu’il n’était pas seul ici. Sans quoi il aurait vite cédé à la panique.


« Donc, on attend, c’est le plan ?

— Oui, ou bien… »

L’idée d’attendre ne plaisait pas à Louise, Victor pouvait le deviner à la mine contrariée qu’elle affichait. Peut-être qu’elle devait donner au plus vite les plantes à sa mère et qu’elle n’avait aucun temps à perdre. Elle regarda par-dessus l’épaule de Victor, au loin. Puis, après quelques minutes de réflexion dans un silence pesant, elle proposa :


« J’ai une idée. »


Elle se dirigea doucement vers le mécha échoué sur la plage. L’immense machine était allongée sur le dos, son pare-brise brisé fixant le soleil au zénith. Victor la suivit d’un pas plus mesuré et hésitant. Qu’avait-elle en tête exactement ? Voulait-elle remettre en état de marche cette épave ? Elle posa sa veste sur le sable pour avoir les mains un peu plus libres puis elle ouvrit le compartiment avant de la machine dans un grincement strident. Victor regarda par-dessus l’épaule de Louise pour voir l’intérieur de la machine : un ensemble de tuyaux et de rouages qui semblaient bien trop complexe pour le jeune homme.


« Tu sais réparer ça ?

— Il fut un temps oui. Je n’ai pas regardé ces engins depuis fort longtemps. »


Elle sortit de sa poche un petit canif qu’elle déplia. Puis elle commença à regarder plus en détail les entrailles de la machine. Une vis à resserrer par là, un tuyau à dévisser pour purger l’eau, déloger les algues. Elle s’activa sous les yeux de Victor qui restait là à admirer son savoir-faire, tout en se sentant affreusement inutile. Et puis, après plusieurs dizaines de minutes, elle referma le coffre de devant. Et regarda le cockpit de la machine pendant de très longues minutes.


« Installe-toi.

— Quoi ? Moi ? demanda Victor, mais pourquoi ?

— Je déteste conduire ces engins… Je ne peux vraiment pas, c’est au-dessus de mes forces. »


Victor se retient de demander la raison. Il se doutait qu’elle ne répondrait pas, ils se connaissaient trop peu, et ce n’était pas une question à demander à quelqu’un qu’on vient de rencontrer. Il se contenta d’obéir. Il se contorsionna pour rentrer dans l’habitacle de la machine, ce qui n’était pas facile vu sa position. Une fois installé et assis perpendiculairement au sol, il posa ses mains sur les commandes. En sentant le cuir sur les manettes, il se remémora des souvenirs. Des flashs épars qui lui revinrent en mémoire. Il avait déjà conduit ce genre d’engin. Il s’en souvenait. Où ? Quand ? Pourquoi ? Ça, il était bien incapable de le dire. Mais son corps lui n’avait pas oublié le maniement du mécha. Il était spectateur de son propre corps. Il voyait sa main droite activer le contact. Le moteur se mit en marche en crachant de la fumée noire épaisse dans un brouhaha assourdissant. Puis, ses deux mains poussèrent de concert les deux manettes vers l’avant. Les jambes du mécha répondaient et bougeaient d’avant en arrière en soulevant d’épais nuages de sable qui obligèrent Louise à reculer. Avant d’avancer, Victor devait redresser l’imposante machine de plus d’une tonne. Les bras du méchas prirent appui sur le sol meuble et les articulations de la machine hurlèrent lorsque le mastodonte se releva sur ses deux pattes. Bien ancré dans le sol sur ses deux pattes arquées, il dominait la crique du haut de ses trois mètres. Victor avait réussi, et cet exploit lui procurait une joie indescriptible.


« J’ai réussi ! clama-t-il haut et fort. »


Louise lui adressa un large sourire alors que Victor abaissa le buste du mécha en lui repliant ses jambes. L’habitacle n’était plus qu’à quelques centimètres du sol et le mécha demeura dans une position agenouillée. Suffisamment bas pour permettre à Louise de monter dedans à son tour. Malgré le bruit du moteur, elle parvint à se faire entendre de Victor :


« Je ne savais pas que tu savais piloter ça !

— Moi non plus, hurla Victor en guise de réponse.

— Dépêche-toi de déblayer le passage avant que le mécha ne manque d’éther ! »


Le mécha se remit en marche, d’un pas relativement soutenu malgré la carrure imposante. Une fois devant les débris, les immenses bras du mécha prirent une à une les pierres bloquantes et Victor se fit un malin plaisir à les lancer au loin. Cela lui semblait si facile, comme s’il l’avait déjà fait depuis longtemps. Si bien qu’en moins d’une demi-heure, le passage était de nouveau libre d’accès. Victor engagea le mécha dans cette voie.


« Tu m’impressionnes, concéda Louise, tu te débrouilles bien.

— Merci, mais c’est toi qui l’as remis en état.

— Oui… J’ignore combien de temps on va pouvoir tenir avec lui, on devrait se diriger vers la ville au plus vite et —.

— Louise ! »


Devant eux, un autre mécha se tenait. La peinture de ce dernier était dans un bien meilleur état que celui de Victor. La peinture verte était encore récente, ou du moins bien conservée. A son bord, deux jeunes hommes. Celui de gauche semblait plus jeune. Il avait une casquette un peu trop grande vissée sur sa tête qui ne laissait dépasser que quelques mèches noires de-ci de-là. Son visage fin était à moitié caché par de grandes lunettes de vue qui en recouvraient une partie, mais qui laissait parfaitement voir ses deux grands yeux verts. À droite, un autre jeune homme, il était bien moins fin que son ami, mais ses vêtements étaient parfaitement choisis. Sa tenue, de son veston jusqu’à sa chemise était d’un goût irréprochable. Ses cheveux bruns étaient tout aussi bien entretenus et bien coupés. Et ses deux yeux noisette en amandes laissaient entrevoir un homme fort sérieux et soigné.


« Max, Basile ! Je suis bien contente de vous voir. »


Louise avait ouvert une des vitres du mécha, et devait crier pour se faire entendre par dessus les bruits de moteur.


« On a entendu un grand boum, on est venu voir.

— On a été attaqué, Maxime. »

Maxime, c’était donc le nom de l’homme soigné qui se trouvait aux commandes du mécha. Un ami de Louise sans doute, mais elle n’avait pas encore réalisé que Victor était toujours à ses côtés, et qu’il était perdu par la situation. Il se décida à faire un raclement de gorge discret pour signaler qu’il était là.


« Oh. »


Louise se rendit soudain compte de son erreur :


« J’ai trouvé Victor inconscient à la plage, et c’est là qu’on a été attaqué, reprit Louise.

— Hum, on devrait l’emmener en ville, ensuite on avisera. »


Louise se contenta d’un hochement de tête pour approuver. Puis, elle donna les indications à Victor pour le guider vers la cité libre la plus proche : Thorgard.

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