Chapitre 14

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Victor regardait sa montre encore une énième fois durant ces dix dernières minutes. Louise se faisait attendre, encore. Il attendait patiemment au pied de l’hôtel qu’elle daigne enfin arriver pour leur rendez-vous. Il réajusta le col de son manteau pour ne pas avoir froid, et soupira une nouvelle fois. Le temps était affreusement long :


« Victor ! »


Il leva les yeux pour voir qui était cette voix qui l’appelait. Il ne reconnaissait pas la voix de Louise. Et son étonnement fut total lorsqu’il vit devant lui Elanor Colombus, l’ancienne capitaine du Condor. Il se souvenait de son visage. Il l’avait vu dans des flashs lui rappelant le naufrage. C’était elle qui lui avait appris à piloter les méchanicus, c’était l’une des rares choses dont il se souvenait la concernant. Bien que ses traits étaient fatigués, elle affichait un immense sourire :


« Je n’arrive pas à croire que c’est toi, lâcha-t-elle pleine d’enthousiasme. On te pensait mort !

— On ?

— Guillaume et moi. Il est en vie. »


Victor fronça les sourcils. Il avait du mal à comprendre ce qu’il se passait. Pourquoi était-elle là ? Et il avait beau se souvenir d’elle. il n’avait que des bribes de souvenirs, impossible de savoir à quoi il devait s’en tenir :


« Qui est Guillaume ?

— Tu n’es pas drôle Victor…

— Je suis sérieux. Qui est Guillaume ? »


Le sourire d’Elanor s’effaça doucement :


« J’ai perdu la mémoire, expliqua Victor, je me souviens vaguement de toi, mais… Je ne sais pas vraiment qui tu es.

— Comment as-tu pu oublier ? Guillaume et toi aviez embarqué clandestinement à bord de mon bateau. Vous fuyiez Eos. Je vous ai trouvé dans la cale ! J’ai décidé de vous garder en échange que vous travailliez pour moi et puis je vous ai appris à piloter les méchanicus !

— Ça explique certaines choses…

— Tu ne te souviens vraiment de rien ? »


Il réfuta doucement de la tête. Il avait l’impression qu’elle lui racontait l’histoire d’un autre homme, mais pas la sienne. Certes, il se souvenait avoir été un soldat. Mais Guillaume… même si ce nom lui était familier depuis quelque temps, il n’arrivait toujours pas à se remémorer son visage. Ce n’était rien de plus qu’un nom enfoui dans sa mémoire, et une silhouette qui hantait ses nuits. Pour l’instant, ce n’était pas son soi-disant ami :


« Je me souviens que de quelques bribes. Je sais que j’étais dans l’armée. Et je sais que notre bateau s’est échoué. Mais c’est tout.

— Coulé, rectifia Elanor. Notre bateau a été coulé par un méchanicus. »


Il fouilla dans sa mémoire à la recherche d’une preuve qui pourrait confirmer les dires d’Elanor. Un méchanicus nous aurait attaqués… Oui, il s’en souvenait vaguement. Il avait vu quelque chose sur les côtes des Cités Libres, et il avait été ensuite touché par un missile. Comme sur la plage avec Louise…


« Pourquoi quelqu’un aurait-il fait ça ?

— À toi de me dire, répondit Elanor. Je sais que ma cargaison n’était pas très légale, mais de là à me faire couler… C’est forcément en rapport avec vous deux. Et le fait qu’on se soit fait attaquer avec Guillaume renforce ma théorie.

— Vous aussi ?

— Tu t’es fait attaquer ? demanda surprise Elanor.

— Oui, il y a un petit moment. Et je sais que l’Empire me recherche. Mais je ne sais pas pourquoi.

— Quelque chose ne va pas. L’Empire ne s’embêterait pas à rechercher deux simples déserteurs. Ou bien vous avez fait quelque chose qui le justifie. Ou bien c’est quelqu’un d’autre qui est à l’origine de tout ça.

— Tu sembles avoir une idée…

— Guillaume m’a dit que bon nombre de personnes voulaient sa mort. Notamment une femme : Louise VanDyke. »


Il ne put s’empêcher de lâcher un rire nerveux. Louise, vraiment ? C’était purement et simplement absurde pour Victor. Il la connaissait depuis un petit moment et il ne pouvait concevoir l’idée qu’elle veuille tuer quelqu’un. C’est alors qu’il se rappela la discussion qu’il eut avec elle après sa défaite. Elle lui avait raconté ce qui s’était passé avec Connor.

Guillaume a poussé Connor sur la chaussée. C’est lui qui l’a tué... Mais ça voudrait dire que le Guillaume dont parlait Louise et le même qui a fait la traversée avec Victor ?

Est-ce que Louise… Non, même si elle le déteste, elle est incapable de faire du mal à quelqu’un. C’est impossible.


« Louise n’est pas ce genre de personne, répondit Victor.

— Tu la connais ?

— Elle m’a sauvé la vie après le naufrage. Donc, oui. Je la connais.

— Tout le monde semble la connaître… Sauf moi. Tu la connais seulement depuis quelque temps, comment peux-tu être aussi sur qu’elle ne ferait pas ça ?

— Parce que c’est juste impossible à concevoir !

— Guillaume a tué son fiancé. Je pense que ça suffit comme raison.

— Elle m’a tout raconté, je connais déjà toute l’histoire. Mais même en sachant cela, je ne peux concevoir qu’elle puisse vouloir la mort de quelqu’un. Je ne la vois déjà pas faire du mal à une mouche, alors faire du mal à un homme… Et puis, ce que tu dis n’a absolument aucun sens. Car j’ai très clairement entendu dire qu’Eos nous cherchait, moi mort, et Louise, vivante. Comment expliques-tu ça ?

— Guillaume pense qu’elle est le contact de l’Empire. Elle leur permettrait d’annexer les Cités Libres.

— Non, c’est idiot, rétorqua Victor. Complètement idiot. Elle n’a aucune raison de faire ça.

— Alors qui est-ce ? Tu as une idée ? Comment tu expliques qu’Eos la cherche ?

— Je ne sais pas ! Mais je suis sûr qu’il existe une vraie raison.

— Désolée, je suis un peu en retard. »


Victor tourna sa tête pour voir Louise qui venait tout juste d’arriver. Avec la venue d’Elanor, il avait presque oublié qu’il l’attendait. Il lui adressa un sourire, et quand il se rendit compte qu’Elanor était toujours là, il bafouilla sous l’effet du stress :


« Ah, Louise ! Tu n’es pas en retard, je viens juste d’arriver. »


Louise et Elanor s’échangèrent un regard d’incompréhension. Louise devait surement se demander qui était Elanor. Une gêne s’installa entre elles avant que Victor ne se décide à briser la glace :


« Louise, je te présente Elanor, une amie.

— Une amie. Je croyais que tu ne connaissais personne ici ? »

Elle regarda avec suspicion Victor qui bafouilla de plus belle :

« On a fait la traversée ensemble, expliqua Victor, et je me souviens un peu d’elle. Elle m’avait appris à utiliser des méchas.

— Oh, je vois, répondit Louise, et bien, heureuse de te rencontrer. »


Elle tendit une main vers Elanor. Cette dernière la serra doucement avec un sourire pincé avant de répondre :


« Moi de même.

— Louise, euh. Tu peux partir devant et je te rejoins au restaurant. Je dois finir de raconter quelque chose à Elanor.

— Bien sûr. »


Louise s’éloigna, non sans lancer un regard intrigué vers Elanor. Victor espérait juste qu’elle ne lui pose pas d’autres questions. Il ne voulait pas lui mentir, et en même temps lui dire la vérité était tout aussi compliqué. Il avait déjà du mal à comprendre tout ce qui lui arrivait... Il la regarda s’éloignait en espérant qu’une chose : que leur dîner ne soit pas un interrogatoire :


« Écoute, Elanor, Louise n’est pas celle que tu crois.

— Tu devrais quand même te méfier, soupira Elanor. Jusqu’à ce que l’on comprenne ce qui se passe.

— On ? Depuis quand je suis avec vous. J’ai rien demandé moi. Laissez-moi faire mon travail tranquillement.

— Bon sang Victor ! Comment tu peux être aussi insensible! Guillaume est à l’article de la mort, on est tous les trois recherchés, et ça te laisse de marbre ! Tu devrais me croire.

— Je sais que je suis dur. Mais tu pourrais tout aussi bien me mentir. Je n’ai aucune preuve. »


Il savait pertinemment que ses mots étaient durs. Mais il n’avait pas le choix. Et si Elanor mentait sur tout ? Si elle était au service d’Eos et cherchait juste à semer le doute dans l’esprit de Victor ? Il devait être prudent. Il voulait se protéger, mais aussi protéger Louise. Tant qu’il ne se souvenait pas, ou qu’il n’avait pas une preuve devant les yeux, il camperait sur ses positions. Elanor commençait doucement à comprendre que l’attitude de Victor ne changerait pas. Elle lâcha un soupir :


« Tu fais bien ce que tu veux. Si tu veux te mettre en danger, c’est ton problème. Mais s’il te plaît, aide-moi juste à trouver quelqu’un pour Guillaume.

— De quoi tu parles ?

— Il est mourant, et son père est médecin. C’est pour lui que je suis venue ici, pas pour Louise. Je te l’assure. Je veux simplement le trouver. Mais je ne connais pas cette ville. Je n’ai ni information ni argent. Donc Victor, s’il te plait. Aide-moi juste à le trouver. »


Elanor était suppliante, et ses paroles semblaient sincères aux oreilles de Victor. Après tout, que risquait-il à chercher un homme à Neokorr ? Peut-être trouverait-il d’autres informations concernant son passé, ou bien Guillaume ? Et peut-être que des souvenirs reviendraient. C’était un pari qui ne semblait pas si risqué que cela aux yeux de Victor.


« Qui cherches-tu ?

— Le docteur Hunter. Guillaume m’a dit que je pourrais sans doute le trouver à l’hôpital de la ville.

— Écoute, je ne veux pas que Louise se pose des questions. Va à l’hôpital, et voit si tu peux avoir des réponses. Je te rejoins plus tard.

— Merci, Victor. »


Il la salua d’un geste bref de la tête et partit rejoindre Louise en toute hâte au restaurant. Elle était déjà attablée lorsqu’il arriva au pas de course. Lorsqu’il s’approcha d’elle pour s’asseoir, elle lui fit un sourire, visiblement elle ne lui tenait pas rigueur de son retard :


« Désolé, commença Victor, c’était un peu long.

— Non, ça va. Est-ce que tout va bien ?

— Oui, ne t’inquiète pas. Tout va bien. »


Victor n’eut que peu de temps pour choisir ce qu’il voulait manger. Il avait regardé d’un œil distrait le menu avant de commander l’un des premiers plats qu’il avait vus. Il n’avait pas la tête à réellement choisir un plat. Toutes ses pensées étaient dirigées vers sa conversation avec Elanor. Elle avait réussi à lui gâcher son rendez-vous avec Louise. Il était perdu face à tout. Il était recherché par Eos, et maintenant, on avait accusé Louise de travailler avec eux. C’était trop pour lui, et il sentait doucement ses maux de tête ressurgir.


« J’ai eu une idée pour ton mécha, lança d’un ton enjoué Louise. Il est pas mal, on a réussi à gagner pas mal de combats ces derniers temps, mais on doit encore l’améliorer si tu veux franchir un palier.

— Ah bon ? »


Elle sortit soudainement des plans de méchanicus qui se trouvaient en réalité derrière ses partitions de musiques. Victor lâcha un petit rire en voyant la scène. Visiblement, elle trouvait le moyen de concilier ses deux passe-temps de façon très optimale. Elle tenta vainement de lui expliquer en quoi ces plans allaient l’aider à gagner. Victor ne comprenait jamais rien à ce qu’elle racontait lorsqu’elle parlait de méchanicus. Il avait l’impression de l’entendre parler une langue étrangère. Et pourtant, il pouvait rester des heures à l’écouter parler de ça. Il ne se lassait jamais de sa voix ou de son sourire étincelant qu’elle avait lorsqu’elle parlait de méchanicus.


« Tu ne comprends rien à ce que je dis, pas vrai ? demanda Louise en riant.

— J’ai absolument rien compris, mais je suis sûr que tu as raison.

— Pardon, tu dois me trouver ennuyeuse à parler sans m’arrêter de ça…

— Pas le moins du monde, répondit Victor. J’aimerais juste être un peu plus utile quand tu parles de ça. Mais j’avoue que je ne comprends rien au fonctionnement des méchanicus. Mais si tu estimes qu’on doit faire des tests ou améliorer des choses. Allons-y !

— Super, j’ai plein d’idées !

— Je vois ça.

— Vos plats. »


La venue du serveur obligea Louise à ranger ses plans afin de faire de la place pour des assiettes. Le repas se passa relativement dans le calme. Louise expliquait comme elle le pouvait les améliorations qu’elle voulait faire au méchanicus tandis que Victor regrettait amèrement le choix de son plat. Il aurait dû faire plus attention en commandant. Il laissa tomber l’idée de finir son plat et préféra se concentrer sur les explications de Louise. Mais alors qu’il la regardait pendant qu’elle expliquait, le regard de Victor se posa sur quelqu’un qui se trouvait derrière Louise.

L’homme qui était au concert.

C’était l’homme qu’il avait trouvé étrange la dernière fois. Celui dont il ne pouvait se souvenir malgré ce sentiment de déjà-vu.


« Tu m’écoutes ? »


Victor fut tiré par sa rêverie et se rendit alors compte qu’il avait fixé depuis de très longues minutes l’homme sans prêter attention à ce qu’avait pu dire Louise.


« Excuse-moi.

— Tu es sûr que ça va ? demanda Louise. Tu es bizarre. Tu sembles vraiment ailleurs ce soir. »


Il se sentait comme pris au piège. Est-ce qu’il devait lui faire part de ce qu’il savait ? De ce qu’il supposait savoir ? Ou bien se murer encore dans un silence ? Non, il ne pouvait toujours tout lui cacher. Elle n’était pas idiote, et quand il voyait comment elle le regardait, il savait qu’elle se doutait déjà de quelque chose. Il devait dire quelque chose. Pour ne rien arranger, il sentait le regard de l’homme qui se posait désormais sur lui.


« C’est juste que, bafouilla Victor. Il y a un homme derrière toi que je suis sûr de connaître. »


Louise commença à se retourner :


« Non ! intervint Victor, ne te retourne pas ! Je ne veux pas qu’il sache que je parle de lui. »


Elle se ravisa et elle regarda de nouveau Victor :


« Tu ne sais pas qui c’est?

— Non, j’essaye de me souvenir, mais… J’ai juste un mauvais pressentiment le concernant.

— Mademoiselle VanDyke ? »


Le serveur était revenu à leur table.


« Oui, c’est moi.

— Quelqu’un vous demande au téléphone. »


Louise soupira et adressa un sourire gêné à Victor :


« Excuse-moi, j’en ai pas pour longtemps. »


Victor hocha doucement sa tête en geste de compréhension, puis il regarda Louise qui se dirigeait vers le téléphone à la réception. Désormais, il n’y avait plus aucun obstacle dans sa ligne de vue pour voir l’inconnu. Il n’avait pas cessé de le regarder. Et au bout de quelques secondes, ce dernier se leva, et s’avança vers la table de Victor.

Mais qu’est-ce qu’il fout ?

Il s’assied à la place de Louise sous le regard incompréhensif de Victor. Il affichait un petit sourire en coin avant de lâcher d’une voix détendue :


« Salut Speckman. »


Lorsqu’il entendit sa voix, Victor eut un déclic. Son propre nom résonnait dans sa tête, et il se souvenait… Il se souvenait de ce ton, de cette voix qui répétait en boucle son nom de famille. À chaque fois pour le descendre, pour l’humilier, pour lui donner des ordres.


« Commandant Chamberlain, murmura Victor. »


Le sourire de l’homme s’élargit :


« Pendant un instant, j’ai cru que tu m’avais oublié. »

Comment avait-il pu oublier cet homme. Son commandant dans l’armée d’Eos. Un homme affreux, mais qui se disait pieux. Toujours à vouloir appliquer la volonté de l’Église et de l’Empereur, coûte que coûte. Un homme dur avec ses soldats toujours à leur demander l’impossible. Et il ne fallait rien dire. Oh non. Sinon c’était la punition directe. La chair de Victor s’en souvenait encore. Il sentait son cœur s’emballer et ses mains devenir moites au fur et à mesure que ses souvenirs passés dans l’armée à ses côtés lui revenaient. Il était tétanisé de peur. Incapable de bouger de sa chaise, ni même de dire un mot, un bruit. Il n’était plus qu’un homme prisonnier de ses douloureux souvenirs.


« Je n’aurai jamais cru de revoir ici, commença le commandant. Tu sais que l’Empire te cherche ? »


Victor hocha faiblement de la tête. Il n’était pas prêt de l’oublier.


« Tu t’es mis dans de beaux draps Speckman. Tu n’aurais jamais dû suivre cet idiot de Hunter. Meutre d’un officier, désertion, vol d’informations…

— Je ne sais rien, finit-il par articuler Victor. Je n’ai aucune information sur Eos.

— Peut-être, mais Hunter lui les a. Et comme tu l’as aidé, tu es dans la même merde que lui désormais. Pour l’empereur en tout cas.

— Je n’ai rien fait.

— Je sais que t’es un bon gars Speckman. Tu t’es juste fait berner par Hunter, pas vrai ? »


Victor ne comprenait pas ce que lui racontait Chamberlain. Il ne comprenait aucune de ses allusions, il était complètement perdu. Sans tous ses souvenirs, il était comme incomplet. Il avait en même temps l’impression d’être Victor Speckman, et en même temps, il avait l’impression d’être un total étranger face à une vie qui n’était pas la sienne. Que devait-il répondre ou faire dans cette situation ? Devait-il faire semblant de comprendre, ou bien dire la vérité ?


« Écoute, continua le commandant. Je peux t’aider. Je peux obtenir ta grâce auprès de l’empereur.

— Comment ?

— Je veux Hunter. Mort ou vif, j’en ai rien à faire. Mais si tu me le livres, je ferais en sorte que l’Empereur soit compréhensif.

— Vous voulez que je tue quelqu’un ?

— Ou que tu nous le livres.

— Ce qui revient à le tuer, conclut Victor, vous n’allez pas le juger.

— Nous n’avons pas le temps pour les traîtres Speckman, on a des choses plus importantes à traiter ici.

— Vous préparez une invasion, pas vrai ? »


Le commandant lâcha un rire pincé :


« Tu vois que tu détiens des informations… Ne me dis pas que tu te prends de sympathies pour les mécréants qui vivent ici ?

— Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

— Eos apportera la lumière, même à ceux qui sont réfractaires. Tu n’as pas oublié les préceptes de l’Église ? Bénis soient ceux qui restent purs de toute technologie, car la lumière.

— Les guidera. »


Cette phrase était tout d’un coup sortie de la bouche de Victor. À son grand dam, il n’avait pas oublié les préceptes de l’Eglise de la préservation. Leurs règles étaient comme gravées au fer rouge dans son âme. Le commandant était des plus satisfaits de l’entendre :


« Tu vois, tu es l’un des nôtres. Ne te préoccupe pas des Cités et d’Eos. C’est trop pour un homme ordinaire comme toi. Tout ce dont tu as à te soucier, c’est Hunter. Amène-le-moi, et tu auras assez d’argent pour commencer une nouvelle vie.

— Et si je refuse ?

— Tu devras assumer les conséquences de tes actes. À commencer par ta petite amie et son groupe de saltimbanques.

— Ce sont des musiciens.

— Je m’en fous. Retiens juste que si tu fais le mauvais choix, ils le payeront. »


Chamberlain se leva et adressa un dernier sourire à Victor :


« Évidemment, tout ceci reste entre nous. Je compte sur toi, Speckman. »


Il prit congé de Victor et sortit du restaurant. Victor ne daigna pas lui lancer un regard. Il préférait regarder droit devant lui en essayant comme il le pouvait de digérer cette discussion. Comment les choses avaient-elles pu tourner aussi mal en si peu de temps ? Il y a quelques minutes, il discutait de méchanicus avec Louise et le voilà maintenant chargé de tuer quelqu’un. Ça n’avait aucun sens. Il ne sentait pas bien. Il voulait crier, hurler, taper des poings, voir même vomir. Il avait assez de tout ça. Il voulait retrouver ses souvenirs, une bonne fois pour toutes ! Sans ses souvenirs, il n’était qu’une coquille vide que les gens se passaient et jouaient avec lui. Qu’est-ce qui était vrai ou faux ? Est-ce qu’il peut au moins se fier à une personne sur cette foutue terre ? Où est ce que tout le monde a prévu de jouer avec lui ?

Bordel, j’en peux plus de tout ça. Réveillez-moi de ce cauchemar.


« Je suis désolé, j’espère que je n’ai pas été trop longue. »


Louise avait repris sa place comme si de rien n’était. Elle soupira une fois correctement en place et regarda son assiette qui avait eu le temps de refroidir.


« Tout va bien ? demanda Victor, c’était un peu long.

— Ma mère ne va pas bien. Emma me donnait de ses nouvelles.

— Oh… je suis désolé. »


Elle regarda Victor longuement. Il avait à chaque fois l’impression qu’elle lisait en lui comme dans un livre. Il devait suer à grosse goutte à cause de Chamberlain. Il espérait secrètement qu’elle ne prête pas attention à cela, et qu’elle continue de manger.


« Est-ce que tout va bien Victor ? Vraiment là... Tu sues à grosses gouttes. »


Perdu.


« Oui, je viens juste de me souvenir d’un truc.

— De quoi ?

— Je hais ce plat, lâcha-t-il en riant. Ça me donne la nausée.

— Je t’en prie, ne me vomis plus dessus.

— Promis. »


Ce fut sans doute l’idée la plus intelligente qu’il eut de la soirée. Louise avait cru tout du long que son comportement était dû à la nourriture qu’il ne parvenait pas à digérer. Ce n’était sans doute pas la meilleure des choses à dire à un rendez-vous avec une fille qu’on apprécie, mais Victor n’avait plus vraiment ça en tête. Il aurait préféré que le rendez-vous se passe mieux, sans Chamberlain. Peut-être qu’il aurait pu essayer de se rapprocher de Louise.

Quelle soirée pourrie !

Il avait raccompagné Louise jusqu’à son hôtel avant de rejoindre Elanor comme il l’avait prévu. Victor ignorait depuis combien de temps elle attendait devant l’hôpital, mais elle semblait s’assoupir sur le banc sur lequel elle s’était assise.


« Elanor. »


La voix de Victor la tira de sa somnolence. Elle se releva doucement pour lui parler :


« J’ai cru que tu ne viendrais plus.

— C’était compliqué. Tu as essayé d’avoir des informations. »

Elle secoua doucement sa tête pour réfuter.

« Non, je n’ai pas osé. »


Victor soupira et poussa les lourdes portes de l’hôpital en premier. Il s’avança d’un pas peu assuré vers la réception de l’établissement. Une jeune femme était présente remplissant une quantité importante de papier. Elle n’avait pas remarqué la présence de Victor ce qui l’obligea à légèrement toussoter pour attirer son attention. Elle leva les yeux de sa paperasse et demanda :


« C’est pour ?

— Est-ce que le docteur Hunter est ici ? »


Elle plissa les yeux :


« Qu’est-ce que vous lui voulez ?

— J’aimerais le consulter. Je souffre d’amnésie et on m’a dit qu’il pouvait m’aider, mentit Victor. »


Elle semblait avoir cru au mensonge de Victor, car elle fouilla dans les papiers présents sur son bureau.


« Je suis désolée, mais il n’est pas de garde ce soir. Il faut attendre demain matin. Et j’ignore s’il a de la place pour vous.

— Pourriez-vous lui en toucher deux mots ? demanda Victor, j’espérais le voir avant de devoir partir. J’ai des obligations.

— Je vais voir ce que je peux faire. Mais je ne promets rien. Il faudra voir demain s’il est d’accord.

— Victor, murmura Elanor, on n’a pas le temps d’attendre demain !

— à quelle heure arrive le docteur ?

— Sept heures du matin.

— Merci. »


Victor tira doucement Elanor vers la sortie alors qu’elle pesta contre lui :


« Guillaume n’a pas de temps à perdre ! On doit trouver son père !

— Tu as une meilleure idée ? J’ai aucune idée d’où il habite, et si on se montre trop entreprenant, il risque de se méfier. »


Victor jeta un coup d’œil à sa montre. Bien que la nuit était avancée, il lui restait de longues heures avant que le docteur Hunter n’arrive à l’hôpital. Il regarda alors les bancs qui étaient présents dans le hall d’accueil. Ils n’avaient pas l’air confortable, mais au moins ils étaient au chaud.


« On va attendre ici, et on avisera. »


Elanor pesta encore face au plan de Victor, mais elle savait que c’était la seule solution qui s’offrait à eux. Ils se posèrent sur les bancs en bois dans le hall, prêt à passer la nuit ici pour cueillir au petit matin le docteur Hunter. Victor passa un long moment de la nuit à se demander pourquoi il était là. Il avait parfois l’impression d’agir sans s’en rendre compte. Pourquoi il aidait Elanor ? Tout se mélangeait dans sa tête, ses sentiments et ses souvenirs n’étaient qu’un méli-mélo qu’il ne parvenait pas à comprendre.

Peut-être que Guillaume m’aidera... Peut-être que je me souviendrais... Dans le cas contraire, il reste la proposition de Chamberlain.

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