Chapitre 27

9 minutes de lecture

L’ambiance à Thorgard était lourde. Cela faisait bien des années que Guillaume n’était pas revenu dans cette ville, et il n’aurait jamais imaginé revenir dans de telles conditions. Les combats avaient gagné Thorgard qui était tombée elle aussi sous le joug de l’empire. Les drapeaux d’Eos flottaient sur les bâtiments fumants de la ville. Le soleil éternel brillait en vainqueur au milieu de la ville conquise. Guillaume grinça des dents en voyant ça. Son cauchemar devint réalité. Les habitants continuaient de vivre comme il pouvait malgré l’attaque. Pour peu, on aurait pu croire que la ville n’avait jamais changé. Si on enlevait les traces de combats, la vie semblait calme, et reprenait doucement son cours. Mais Guillaume savait que le calme ne durait jamais longtemps avec l’empire. Il avança dans les rues qu’il avait jadis arpentait. Tout lui revenait en mémoire. La petite boulangerie du coin. Le parc où il passait ses journées. Tout revenait doucement et égayait un peu son cœur. Mais une chose était différente. Outre les signes de combats et d’Eos, le plus gros changement, c’était l’absence de méchanicus. Plus aucune machine n’arpentait les rues hormis celles des vainqueurs.

TOUT PILOTE OU MÉCANICIEN DE MECHANICUS APERÇU SERA CONDAMNÉ

La voix monotone répétait en boucle cette phrase dans les haut-parleurs de la ville. C’était une véritable purge qui avait lieu dans les rues de Thorgard. La lumière éternelle d’Eos allait brûler tous les signes de technologie des cités libres. Guillaume pressa le pas, il avait l’impression que tous les regards étaient braqués sur lui, comme si tout le monde savait qui il était. C’était son imagination bien sûr, il n’y avait aucune raison que les gens sachent qui il était.

Il arriva enfin devant l’immeuble où se trouvait la mère de Louise. Revoir cet immeuble fit remonter des souvenirs douloureux au jeune homme. Il se souvenait de chaque moment qu’il avait conduit jusqu’à cette situation. Comme il aimerait remonter le temps pour changer le cours des événements. S’il avait l’occasion, il ne pousserait pas Conor, il l’ignorait tout simplement. Il serait resté ici, auraient continué ses études. Et Pierre n’aurait sans doute jamais rejoint l’Empire.

Il soupira. Il n’aurait pas été heureux pour autant. Sous l’emprise de son père, il aurait fait les études que lui décidait. Et il n’aurait jamais rencontré Victor et Elanor. Il secoua doucement sa tête. Cela ne servait à rien de ressasser le passé, il savait qu’il fallait mieux le laisser tranquille là où il était. Il poussa la porte de l’immeuble, et monta les escaliers. Les battements de son cœur s’emballaient à chaque pas qu’il faisait. L’angoisse commençait à prendre à ses tripes. Il avait peur de tomber sur Louise et sa mère. Qu’allait-il dire ou faire ?

Et si Pierre était déjà là, et s’il s’était déjà occupé de tout ?

Il frappa à la porte. Aucun bruit ni aucune réponse. Il essaya de nouveau, mais sans succès. La porte de l’appartement voisin s’ouvrit. Une femme en sortit, elle lança un regard suspect à Guillaume :

« Je peux vous aider ?

— Je cherche madame VanDyke.

— Elle n’habite plus ici. Elle a déménagé depuis un moment.

— Vraiment ? Est-ce que vous savez où elle a déménagé ? »

Pitié pas l’empire.

« Sa fille m’a dit qu’elle repartait à Val Éthéré. »

Louise. Elles sont parties à Val Éthéré.

Son cœur se soulagea un peu. Victor devait se trouver là-bas aussi. Cela faisait sens. Après tout, Val Éthéré était retirée, c’était le seul moyen de rester hors de portée de l’empire. Du moins pendant un moment. Il remercia la voisine et descendit dans la rue. Val Éthéré n’avait aucune gare, il devait se rendre là-bas en utilisant d’autres moyens. Mais sans méchanicus, le problème était immense. Se rendre là-bas en passant par la forêt était compliqué. D’un pas résigné, il se dirigea vers la sortie de la ville. Il allait marcher, et espérait trouver quelqu’un qui veuille bien l’aider. Il était surpris de ne pas trouver Pierre sur le chemin. Peut-être qu’il était déjà au courant que Louise se trouvait à Val. Il s’arrêta soudainement et fouilla ses poches. Il avait encore un peu d’argent. Juste assez pour appeler le Val et essayer d’avoir Violena ou Louise au téléphone. C’était peut-être le mieux. Il se dirigea vers une cabine téléphonique et glissa ses précieuses pièces dans la fente de la machine. La voix féminine qui venait des standards parvenait à son oreille :

« Bonjour ! Qui souhaitez-vous appeler ?

— Madame VanDyke, à Val Éthéré.

— Un instant, je cherche. »

Guillaume espérait fortement que son plan marche. Il n’avait plus rien d’autre. Plus de sous ni de moyen de transport.

« Je vous mets en contact. »

La standardiste avait trouvé le numéro de VanDyke. Guillaume poussa un soupir de soulagement. Il attendit un moment avant que la sonnerie ne s’arrête. Sa surprise fut totale lorsqu’il entendit une voix masculine au téléphone :

« Oui ? »

Est-ce que c’est Victor, ou bien… ?

« Hum, bonjour, je souhaite parler à Louise Vandyke.

— Ah, elle n’est pas disponible. C’est de la part de qui ?

— Et Victor ? »

Il eut un moment de silence de l’autre bout du fil. L’angoisse de Guillaume augmenta durant chaque seconde sans bruit.

« C’est Guillaume pas vrai ? »

Son cœur rate un battement, il savait que ce n’était pas la voix Victor, il l’aurait reconnu sans se poser une seule question. Non. Si ce n’était pas Victor, la seule personne qui pouvait savoir que c’était lui qui appelait était…

« Pierre…

— Il t’en a fallu du temps.

— Espèce de petit enfoiré…

— Le temps ne t’a pas changé, Guillaume, toujours aussi imbuvable.

— Après ce que tu as fait, tu aimerais que je reste calme ?

— Tu es seul responsable de la situation. Si tu n’avais pas fui comme un lâche dans Eos. Rien ne serait arrivé.

— Je suis désolé pour ce que j’ai fait. Et c’est pour ça que je suis de retour. Pour affronter la justice après ce que j’ai fait à Connor. Mais toi… Toi tu préfères faire copain avec l’empire. Vous avez tué Elanor !

— Si elle ne t’avait pas suivi, elle ne serait pas morte, répondit calmement Pierre. Tout comme Victor.

— Putain, si tu as touché à un seul cheveu de Victor, je vais te tuer ! »

Pierre lâcha un soupir de l’autre côté du téléphone :

« J’aurais aimé ne pas en arriver là, Guillaume. Mais ton ami est beaucoup trop envahissant, et se met en travers de notre route. J’espère que tu arriveras à vivre avec sa mort sur la conscience. Après tout, tu as bien réussi à vivre avec celle de Connor. »

Un petit clic se fit entendre puis ce fut le silence. Pierre avec raccroché. Guillaume remit violemment le combiné à sa place. Il frappa d’un coup de poing rageur le téléphone.

Fais chier ! Salopard ! J’aurai sa peau.

Il sortit de la cabine en trombe. Il n’avait plus le choix, il devait se rendre à Val Éthéré, et prier pour arrêter à temps Pierre. Enfin, c’était peut-être déjà trop tard. À attendre Pierre, il s’était déjà occupé de Victor.

Tout ça, c’est ma faute. Je n’aurai jamais de l’impliquer Victor là-dedans. C’est ma faute… Je dois aller à Val Éthéré. Je trouverais bien quelqu’un qui va me conduire là-bas, ou au moins me rapprocher.

Il se dirigea vers la sortie et commença à marcher vers l’est. Il savait que ce serait long, mais il pouvait espérer tomber sur une âme charitable. Il marcha de longues heures dans les contrées plus agricoles qui entouraient la ville de Thorgard. Il commençait déjà à fatiguer alors qu’il était à peine arrivé aux montagnes de l’est. Son regard fut attiré par un attroupement au bord de la route. Des ensembles de petites tentes en toile se dressaient dans une petite plaine en bordure de la route déserte. Aucun méchanicus aux alentours, mais des chevaux et des roulottes qui leur permettaient de se déplacer au gré des vents. Guillaume reconnut les nomades qui parcouraient les étendues sauvages entre les Cités Libres. Il ne les avait jamais approchés, en réalité, il ne les avait même jamais vus. De folles rumeurs parlaient d’eux, mais jamais il n’avait su s’ils étaient vrais. Les habitants des villes racontaient qu’ils étaient violents, voire même cannibales, et que personne ne pouvait les approcher sans risquer de mourir. Mais Guillaume se risqua tout de même à les approcher. Sans méchanicus, ils étaient sa chance de pouvoir rejoindre la ville de Val Éthéré. Il prit son courage à deux à main, et s’approcha des tentes. Des hommes, des femmes et des enfants vaquaient à leurs occupations dehors. Tous se stoppèrent à l’approche de Guillaume qui leva doucement ses mains.

« Je ne veux pas de mal, commença le jeune homme. Je viens demander de l’aide. »

Les nomades se lancèrent un regard d’incompréhension, mais l’un s’approcha de Guillaume. Ses vêtements contrastaient grandement avec les habits citadins du jeune homme. Pas de chemise ni de pantalon fin, seulement des vêtements issus des bêtes qu’ils élevaient. Une veste en peau de mouton, un pantalon fait dans la laine de ce dernier. C’était tout un monde qui séparait les deux hommes.

« Bonjour, étranger, répondit l’homme. Que viens-tu faire ici ? Les vôtres ne sont pas admis ici.

— Je sais, je m’en excuse. Mais j’aimerais savoir si vous pouviez m’aider.

— les étrangers ne sont pas les bienvenus. Encore moins quand ils viennent nous chasser de nos terres.

— L’empire, murmura Guillaume. Eos cherche à chasser tous ceux qui sont ici, vous, comme nous.

— Vos guerres de machines ne m’intéressent pas.

— Et je comprends, répondit calmement Guillaume. Je ne cherche pas la guerre, je veux retrouver un ami qui m’est très cher. Il se trouve à Val Éthéré, et je veux le retrouver. »

J’espère qu’il est toujours là-bas…

Il avait encore en mémoire la discussion avec Pierre. Peut-être qu’il était déjà trop tard pour Victor. Mais il ne pouvait pas rester ici à ne rien faire. Il devait le retrouver. Il s’attendait cependant à ce que les Nomades l’attaquent, mais rien. L’homme qui discutait avec lui était toujours calme :

« Val Éthéré est sacré, répondit-il. Ikarus veille sur cet endroit. »

Guillaume haussa un sourcil. C’est vrai, il oubliait les croyances des nomades. Ikarus. Le nom qu’ils ont donné au fameux nuage qui jamais ne s’efface. Guillaume avait toujours trouvé ça ridicule. Imaginer une seconde qu’un nuage flotte au-dessus d’eux emportant quasiment une ville sur des nuages était ridicule. Il n’avait jamais compris comment de telles croyances pouvaient exister. Mais il se garda ses réflexions pour lui, inutile de froisser son hôte. Il haussa alors doucement les épaules et soupira :

« Écoute, je sais qu’on n’est pas vraiment censé s’entendre. Les gens de la ville ont tendance à vous mépriser. Vous pouvez croire en ce que vous voulez, je m’en fous. Vous ne faites de mal à personne. Mais Eos n’est pas comme ça. Eux, ils vont tout brûler, nos maisons, nos technologies. Et moi, tout ce que je veux c’est retrouvé mon ami. C’est comme un frère pour moi, je veux savoir s’il va bien. »

Le nomade ne répondit pas. Il fixait toujours aussi étrangement Guillaume ce qui l’irrita quelque peu :

« Vous allez en direction du val, continua-t-il, c’est la direction ! Et vous avez dit que c’était sacré pour vous. Vous ne pouvez pas laisser l’Empire aller là-bas !

— Nous allons jusqu’au bois. Le Val est trop précieux pour qu’on aille le souiller. Contrairement à votre peuple. »

Guillaume s’agenouilla sur le sol boueux et joignit ses mains. Il était vraiment prêt à ramper à terre si cela pouvait les convaincre. Il devait se rendre là-bas, peu importe comment. Le nomade haussa les sourcils de surprise :

« Je vous en supplie, même jusqu’aux bois, ça serait déjà incroyable. Je peux me débrouiller après. Je veux juste retrouver mon ami. »

Le nomade soupira longuement et gratta sa longue barbe noire. Sa petite voix sonna comme une délivrance aux oreilles de Guillaume :

« Nous n’avons pas l’habitude de prendre des étrangers avec nous. Mais nous pouvons bien faire une exception. Mais ne croyez pas que le voyage sera tranquille. Tout le monde travaille dans la caravane. »

Guillaume se releva aussitôt, avec un large sourire sur son visage :

« Tout ce que vous voulez ! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Justine "Klariana" Pouyez ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0