Chapitre III

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Le ciel est plombé ce matin. Pas de chance. Moi qui voulais découvrir la plage et ses environs, c’est raté. De gros nuages noirs planent au-dessus de la station. La pluie menace et la prudence me dit qu’il vaudra mieux ne pas être dessous lorsque ça va dégringoler.

Ça tombe mal. Mon programme de la journée est à l’eau. Camille sourit de façon insupportable et si elle n’était pas de marbre, la fessée s’imposerait comme un exutoire. Bon rassurons-nous, ce n’est pas dans ma nature et elle le sait très bien. Elle en joue à sa guise la coquine. Tout ce qu’elle voit c’est que je vais rester un peu plus longtemps en sa compagnie et ça, je sais qu’elle aime.

Je commence à tourner en rond et même si l’appartement est plutôt spacieux, je me heurte rapidement aux murs. Le balcon, certes généreux lui aussi, ne me suffit pas d’avantage. Instinctivement pour ne pas dire volontairement, je jette un coup d’œil sur celui de ma voisine. Personne !

La température a bien chuté. Il fait frais maintenant et je sens l’humidité transpirer des nuages. L’odeur de la terre remonte. C’est toujours surprenant, ce mélange de terre humide qui se conjugue à celui de la végétation environnante.

Je prends un grand bol d’air.

- Allez go, j’y vais, me dis-je en parlant tout seul.

Je sors sur le couloir feutré de l’immeuble et sur la porte palière de Joy, j’appuie sur la sonnette.

Il y a toujours un moment d’appréhension devant l’inconnu même si l’homme que je suis se veut plutôt confiant au demeurant, il y a la douce apparence convaincante et la réalité un peu moins glorieuse. Mince ! pas âme qui vive. Elle ne doit pas être chez elle. J’insiste une nouvelle fois sait-on jamais.

Une seconde, puis deux, puis trois, puis quatre...

OK ! ce n’est pas mon jour de chance mais ça je le savais déjà.

Dépité, je m’apprête à tourner les talons lorsque la porte s’ouvre juste suffisamment pour laisser passer son petit minois que je devine plutôt interrogateur.

- Bonjour, je suis votre nouveau voisin.

- Bonjour, oui ?

- Je voulais venir me présenter et vous inviter à prendre l’apéritif ce midi si vous êtes disponible !

De visage, elle n’est pas très jolie. C’est un fait certain. J’ai presque failli regretter de l’avoir conviée. Mais trop tard. Mes paroles ont été plus rapides que ma pensée. Et puis sans vraiment savoir comment, sa frimousse s’est transformée lorsque son sourire est arrivé sur ses yeux. De pas très migonne avec le regard interrogateur et sérieux d’une institutrice en mal d’autorité elle est devenue belle et désirable en quelques secondes. Ce rayonnement presque divin qui efface toute banalité pour produire l’exception, je l’ai pris en pleine figure, sans rien comprendre à ce qui se passait. J’étais là debout dans un couloir d’immeuble avec une femme adorable, béat en attendant sa réponse.

- Ce midi, c’est compliqué me dit-elle. Ce soir si vous voulez mais je vais rentrer tard de mon travail !

Je bois ses paroles. Je me laisse enivrer par le timbre de sa voix qui m’électrise les neurones. Sa porte s’est ouverte un peu plus et je la vois maintenant entièrement debout devant moi. La trentaine, elle est toute menue. Avec ses chaussons aux pieds d’un autre âge, elle ne fait pas plus d’un mètre soixante, des épaules dénudées, toute blanche à peine recouvertes d’un débardeur jaune, un short marron qui ne la met pas vraiment en valeur, des cheveux longs châtains un peu ébouriffés, des seins petits dont les tétons marquent légèrement le tissu de leur présence.

- OK, vingt et une heures, ça vous convient ?

- Oui très bien me dit-elle avec son sourire ensorceleur.

- Alors à ce soir ! Moi, c’est Olivier.

- Moi, c’est Alice.

J’ai un temps d’arrêt. Je me ressaisis sur le champ.

- Passez une bonne journée... Alice et à ce soir.

- Bonne journée Olivier. A tout à l’heure.

De retour à mon appartement. Je m’assoie sur le canapé, ébahi. Bon, j’ai encore déconné. Elle ne s’appelle pas Joy mais Alice. L’ordre des boîtes aux lettres interpelle ma logique. Alice c’est mignon aussi. C’est court et tout compte fait je trouve que ça lui va bien.

Elle m’intrigue vraiment cette fille. Croisée dans la rue, je l’aurais trouvée ordinaire voire même insignifiante. Et là, sur le palier, elle s’est métamorphosée en petite princesse irrésistible. Elle n’a pas d’accent. Elle ne doit pas être de la région, car le ch'ti saute à l’oreille pour un non initié. Pas de maquillage, que du naturel. Des vêtements tout aussi ordinaires. Elle a dû hésiter avant d’ouvrir. Je le sens.

L’orage gronde et la pluie s’abat maintenant en rafales intermittentes. La pinède bouge avec force devant les éléments déchaînés et ce, malgré que les pins soient plantés assez proches les uns des autres. La rue s’est subitement vidée. Une vieille dame semble en difficulté avec son chien qui tire sur sa laisse. Son parapluie n’arrête pas de se retourner. Je la vois chuter sur le trottoir en plein désarroi.

Ni d’une ni de deux, je m’élance dans l’escalier pour lui venir en aide malgré le vent et les trombes d’eau. Passé la porte d’entrée de l’immeuble, je me retrouve douché sans transition. L’eau coule sur mon tee short et s’engouffre dans mon bermuda. Pas le temps de tergiverser. Je repère la vieille dame toujours assise sur le trottoir d’en face, battue par la pluie. Je traverse. Je la relève. Elle tient toujours son chien en laisse mais son parapluie s’est envolé.

Qu’importe, je regagne l’entrée de l’immeuble et j’invite la dame et son chien à se mettre à l’abri.

- Vous n’avez rien ?

- Non, merci ça va aller monsieur. J’ai juste eu un peu de difficulté pour me relever avec mon chien qui tirait et le parapluie qui n’arrêtait pas de se retourner, je n’ai pas réussi à tout gérer. Mais ça va, ne vous inquiétez pas.

La porte de l’ascenseur s’ouvre et Alice apparaît.

- Tout va bien madame Dupont ? Je vous ai vue tomber.

- Oui, ça va mademoiselle Alice. Ne vous inquiétez pas. J’ai juste perdu l’équilibre. Il n’y a pas de bobo.

- Vous auriez pu vous faire mal. Montrez-moi votre jambe ?

- Vous avez pris un petit coup juste là. Ça va se transformer en ecchymose mais ce n’est pas grave. Vous prendrez un peu d’Arnica en rentrant chez vous et ça va passer rapidement. Vous voulez venir vous séchez chez moi ?

- Non ça va aller mademoiselle Alice. Je vous assure. Je vais attendre un petit peu ici que ça se calme et je vais rentrer à ma maison. Je ne suis pas très loin. Je vous remercie beaucoup.

- Faites attention à vous et si vous avez un souci, n’hésitez pas dit-elle chaudement.

Médusé, j'ai assisté en retrait à toute la scène et lorsqu'elle s'est relevée pour se diriger vers l'ascenseur, je me suis empressé de lui ouvrir la porte galamment.

Dans l’espace confiné du monte-charge je sens son parfum. Un parfum que je connais, agréable et doux. J’apprécie son odeur. Alice s’est changée. Elle porte maintenant un petit chemisier blanc et un jean près du corps qui lui va à ravir mettant en exergue des petites fesses si mignonnes qu’elles en sont presque indécentes. J’adore.

Pendant que l’ascenseur gravit rapidement les étages, Alice se tourne vers moi et me regarde, ruisselant.

- Bienvenu chez les ch’tis, me lance-t-elle avec des yeux rieurs et un énorme sourire à peine moqueur.

- °° -

L’après-midi a passé très rapidement. Trop rapidement à mon goût. J’ai enfin pu mettre un pied sur la plage puisque le soleil a réussi à chasser les nuages récalcitrants. Le sable encore mouillé colle aux baskets. Il fait bon avec une petite brise légèrement iodée.

La mer se dessine à l’horizon. Elle est loin, probablement la marée basse. On distingue nettement la délimitation faite par la marée haute où le sable tassé et lissé par les vagues est jonché de résidus de coquillages de celui de la plage où on s’y enfonce légèrement à chaque pas.

Il y a un peu de monde, des enfants, des familles, des couples, des amoureux qui se promènent main dans la main. Je prends le temps de m’arrêter pour apprécier ce cliché estival où il est facile de repérer les premiers vacanciers fraîchement arrivés.

Certains ont envahi les cabines de plage multicolores concentrées sous l’esplanade, d’autres se débrouillent avec les moyens du bord.

Une jeune femme enveloppée dans une serviette de bain tente de retirer son maillot. Situation toujours un peu cocasse où les mouvements se font gauches, étriqués par l’étau de la serviette qui ne demande qu’à se dérober. Un sein apparaît furtivement très vite recouvert par le tissu coloré. Le stress transpire dans ce mouvement salutaire où la nudité découverte se retrouve exposée l’espace d’un instant.

Je regarde ma montre. Dix-huit heures. Encore trois heures. Je repense à Alice, cette femme banale mais oh combien surprenante, cette femme aux allures de gamine réservée, ni aguicheuse, ni sexy, au regard franc et attentif, une femme fragile d’apparence.

Je suis surpris par l’ascendant qu’elle a suscité sur moi-même. Ce n’est pas mon type de femme et pourtant elle est omniprésente dans mon esprit. Je suis même excité à l’idée de la recevoir ce soir en tête à tête.

Je ne la laisse pas indifférente, j’en suis certain. Elle n’aurait pas accepté l’invitation et la première nuit, sur la terrasse, elle ne serait pas revenue à la charge. Cette nuit-là, dans nos regards respectifs, il y a eu comme un déclic silencieux lorsque nos pupilles se sont croisées. Une envie irrésistible. Mais une envie de quoi ? Rien de sexuel, rien de sexy non plus. Tout comme avec Camille, juste peut-être le fait de savoir qu’elle est là, à côté, qu’elle existe, qu’elle est présente dans mon univers. C’est aberrant, c’est même fou.

- °° -

Vingt heures cinquante-sept.

L’apéritif dînatoire sur la table basse de la terrasse est prêt. Chips, toasts, panini, petites verrines achetées l’après-midi même en rentrant de la plage avec des saveurs salées et sucrées, gâteaux apéritifs divers, frites de carottes crues, dés de chou-fleur et un peu d'encornés en persillade le tout accompagné de guacamole et de houmous. J'hésite sur le fond musical, le classique ? Mais je ne suis pas fan, la musique tendance ? Je me demande si c'est son truc, le jazz ? Bof. Au final, j'opte pour quelque-chose de neutre juste pour accommoder la soirée d'une présence musicale.

Côté boissons, j’ai un peu de tout ; alcoolisées ou non alcoolisées. Tout devrait bien se passer de ce côté.

Sur le plan vestimentaire, je porte un bermuda bleu nuit avec une chemisette blanche, des socquettes blanches également et une paire de baskets.

Vingt et une heures...

Vingt et une heures dix...

J'entends le bruit métallique d’une serrure. Une porte s'ouvre et se referme.

Vingt et une heures quinze...

Les mêmes bruits venant des communs et la sonnette retentit.

- Bonsoir Alice

- Bonsoir Olivier. Désolée j'ai été retardée par des travaux sur la route. Ils profitent de la période estivale pour renouveler le revêtement routier. Ça crée des bouchons inimaginables et en plus avec les touristes, ça n’arrange rien.

- Pas de soucis Alice. Entrez, je vous en prie.

- Je peux ? dit-elle en me montrant le flacon de gel hydro-alcoolique posé sur le guéridon à l'entrée.

- Oui évidemment, il est là pour ça.

- Merci.

Je ferme la porte derrière elle. En s'aspergeant les mains, elle m'inonde de son sourire radieux que je commence à connaître et elle jette un regard rapide sur le séjour qui fait aussi office de salle à manger.

Chez moi, les murs sont nus, peints en blanc, un blanc chaud que j'apprécie. Ils mériteraient d'être rafraîchis mais je m'en contenterai. Je n'aime pas les cadres ou les photos accrochés aux murs et les bibelots se comptent sur les doigts d'une main. Comme je déménage somme toute assez souvent, je ne m'encombre pas. Il n'y a là que l'essentiel.

- C'est exactement la même configuration que chez moi si ce n’est qu’il est inversé. Vous devez avoir la cuisine, la salle de bain et les toilettes à gauche et les chambres à droite.

- Oui c'est cela, je vais donc pouvoir vous épargner la visite alors ? lui dis-je sur un ton chaudement ironique.

- En effet, ça ira Olivier. Je devrais arriver à m'y retrouver dit-elle sur le même ton.

- Pour l'apéritif, ce sera par là. Venez !

Je l'emmène sur le balcon où elle choisit de s’asseoir sur l'une des deux banquettes type salon de jardin qui jouxtent la table basse. Je m'assois sur celle presque en face d’elle.

- On avait dit apéritif et vous avez préparé un véritable festin ! s'exclame t'elle admirative et en même temps pleine de reproches.

- Juste un apéritif dînatoire Alice. Je ne vais tout de même pas vous laisser repartir ce soir la faim au ventre !

Elle sourit. Elle a troqué son chemisier contre un débardeur bleu ciel qui masque difficilement les bretelles blanches de son soutien-gorge. Je note au passage qu'elle n'en portait pas en fin de matinée. Elle a le même jean que ce matin, celui qui épouse très bien ses atours et affine si merveilleusement sa silhouette. Ses cheveux sont remontés en un chignon décontracté, un peu sauvage dévoilant maintenant ses oreilles et accentuant davantage encore la forme de son visage. Ses pommettes et ses lèvres dessinées d'une main de maître se fondent avec harmonie dans cet ensemble qui reste juvénile. Ses yeux couleur noisette - je les voyais plus foncés - rient beaucoup plus que ses lèvres, illuminants son visage à chaque sourire. Possible qu'elle joue et abuse de cet outil de séduction puisque comme Camille, elle sourit très souvent. Mais peut-être est-ce aussi une posture défensive ? Je ne sais pas. Elle n'est pas maquillée, juste une petite touche de parfum ajoutée avant de venir, celui qui m'avait déjà enivré en fin de matinée dans l’ascenseur. Le bronzage est vraiment léger à croire que le soleil n’a pas trouvé prise sur son corps.

Sa personnalité dégage un altruisme incroyable, une générosité débordante, une bienveillance remarquable, une douceur naturelle. Elle semble fragile mais je devine en arrière-plan une force douce capable de surprendre. Je ne la perçois ni séductrice, ni aguicheuse, juste contente d'être ici et ça se sent, ça se voit. Elle me regarde de ses grands yeux innocents. Mes défenses fondent. Je sens poindre le danger et en même temps j’ai hâte de l’affronter. J'ai l'intime conviction qu'elle vient elle aussi de me passer au crible, cochant les cases de sa check-list à chaque bon point.

Je m’habitue à son visage de femme enfant. Il dégage une pureté naturelle, un côté puéril aussi qui se joue de tous les clichés habituels. Pour une femme ordinaire elle est loin, très loin d’être ordinaire.

Alice est à l'aise et j'aime bien. Elle me dit être dans la région depuis une petite dizaine d'années. Elle travaille en tant qu'infirmière dans un hôpital à une vingtaine de kilomètres d'ici. Ses horaires sont décalés et il arrive qu'elle soit sollicitée le week-end, parfois la nuit. Avec la covid-19, elle n'a pas eu beaucoup de répit. C'était presque du travail non-stop. Là elle commence enfin à récupérer.

Elle est grave et son sourire a disparu lorsqu’elle se confie :

- J'ai été confrontée à des situations dramatiques. Même si de par mon métier on est préparé, ce n'est pas toujours évident de voir partir des patients qui nous ont fait confiance avant de s'endormir et qui ne se sont jamais réveillés.

Je l'écoute silencieusement. Ses yeux si pétillants se sont voilés légèrement et lorsqu'ils sont embués, ils sont tout aussi magnifiques que lorsqu'ils rient. J’ai envie de la prendre dans mes bras, de la rassurer, de lui remettre en place la petite mèche rebelle qui s’est échappée de son chignon et qui s’agite désespérément sur son front, d’essuyer ses yeux humides, de l’embrasser. Mais mon corps est incapable de bouger. Tous mes muscles sont à l’arrêt, momifiés par cette inconnue qui se dévoile.

Elle laisse ses émotions s‘enfuir en courant dans la nuit qui nous héberge.

- On va parler d'autres choses. Je ne voudrais pas gâcher la soirée. Et vous ? Qu'est-ce qui vous a amené ici ?

Je lui explique que je gère une agence orientée sur les nouvelles technologies, que j'ai un contrat d'une année pour remettre au goût du jour le système informatique d'un grand équipementier automobile, que mon équipe que je viens de recruter pour la circonstance, débarquera la semaine prochaine. C’est un travail mais c’est avant tout aussi une passion.

- Et puis j'ai trouvé cette petite location et je m'y suis installé. La suite, vous la connaissez ! Le tintamarre des chats, votre présence sur le balcon, l'orage, …

Les pommettes d’Alice prennent un peu de couleur.

- Vraiment, j’étais persuadée qu’il n’y avait personne et quand il fait chaud comme cette nuit-là, j’apprécie la fraîcheur nocturne. J’avoue ne pas avoir prêté attention à ma tenue. Je suis désolée. J’espère que je ne vous ai pas choqué ?

- Oh non Alice. D’une part, je n’ai vu cette nuit-là que vos yeux... Vous savez que vous avez des yeux magnifiques ?

Alice rougit de plus belle. Elle ne dit rien. Son regard s’échappe un instant pour revenir soutenir le mien avec une humilité déconcertante. J’ai franchi un cap peut-être un peu trop rapidement. Je ne sais pas. Ça m’a échappé. Et puis j’avais envie de lui faire un appel du pied juste pour lui dire qu’elle ne me laisse pas indifférent.

- Merci pour le compliment Olivier. Vous allez me faire rougir jusqu’aux oreilles dit-elle avec son petit sourire radieux.

Elle change de sujet.

- Ah oui les chats ! Ça arrive souvent dit-elle en riant. Vous verrez. C’est la pleine saison des amours alors de temps en temps ça bagarre sévère. Et pour madame Dupont, j’ai pris de ses nouvelles cette après-midi. Elle va bien. Son mari a été intubé au tout début de l’épidémie et heureusement, il s’en est sorti. Il garde encore quelques séquelles mais ça devrait aller mieux.

Elle ajoute

- En informatique, je ne vous suivrai pas. Je suis nulle. J’arrive à utiliser le traitement de texte, le tableur, ma messagerie et la visioconférence pour garder le contact avec ma famille qui est éloignée, dans le Cantal. Je surfe aussi sur Internet et ça s’arrête là. C’est un de mes collègues qui m’a paramétré mon ordinateur portable. Ceci étant, il n’a jamais trop bien fonctionné. C’est compliqué, je n'y comprends pas grand-chose.

- Je regarderais à l’occasion si vous voulez bien Alice.

- Merci Olivier. J’avoue que je suis un peu perdue avec ses nouvelles technologies et en la matière, votre aide sera la bienvenue.

Elle continue intarissable :

- J'aime la station. Elle vit toute l'année et même si je ne sors pas beaucoup, c'est toujours agréable. Je la préfère en dehors de la période estivale. Il y a moins de monde. Je n’aime pas la foule. J’adore me promener près de la base nautique-Nord, le long de la Canche, un court d'eau tranquille qui se jette dans la mer. De temps en temps on aperçoit des phoques sur les bancs de sable à l’embouchure. J’aime aussi les chevaux. C’est une passion que j’ai depuis que je suis toute gamine. J’aime les longues promenades dans les dunes en traversant la pinède, galoper sur la plage tôt le matin, courir après la brume avant qu’elle ne s’évapore. C’est vrai, qu’on me dit plutôt sauvageonne et lorsque je fais corps avec ma monture, j’oublie tout, j’efface tout pour mieux ressentir l’instant présent. C’est toujours un grand moment d’effusion entre l’animal et moi-même ; un bonheur absolu que ma jument apprécie tout autant.

Alice s’arrête. Elle prend conscience qu’elle vient de se livrer, peut-être un peu trop, emportée par ses passions. Je la regarde. J’aime cette femme. Je l’aime de plus en plus pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle n’est pas. Je n’arrive pas encore à me l’avouer mais, je sais que je suis en train de vaciller.

Alice poursuit sur un autre registre.

- En revanche dans l'immeuble c'est vraiment très calme. En semaine, il arrive fréquemment que je sois la seule occupante à l'étage. C'est un peu lugubre parfois surtout la nuit, l’hiver, les jours de tempête. Le vent siffle dans les bouches d'aération et c'est surprenant. Vous verrez... Le week-end, c'est différent. Les propriétaires débarquent et ça fait du mouvement. Ils sont sympas mais il y a aussi quelques grincheux. Avec les vacanciers, c’est spécial. Ils sont bruyants, ils disent à peine « bonjour » et ils investissent les lieux sans aucune gêne. Ils ne respectent rien, ni la propreté des communs ni les emplacements de parking réservés. Pour se garer, c’est souvent l’enfer. Ils n’hésitent pas à empiéter sur votre emplacement de parking voir même parfois à le spolier carrément. La cohabitation reste compliquée.

En me regardant, elle marque un silence et elle reprend son souffle.

- Je suis contente que vous soyez là... vraiment me dit-elle.

Il y a une énorme sincérité dans sa voix. Je comprends qu'Alice, ne ment pas ni à elle-même, ni aux autres. C'est une femme entière. Elle ne joue pas ce qu'elle vit. Elle vit simplement une partition qu'elle tricote en marchant. Il n’y a ni calcul, ni arrière-pensée, juste le moment présent.

On avale les dernières grignotines en évoquant quelques souvenirs. Alice se lâche. Le ton est jovial, on rit d’un rien. On rit de tout. On nage dans la complicité avec plaisir. Elle est joyeuse, elle est resplendissante. Pour la première fois, je la désire mais ce soir je resterai sage, un peu comme une prémonition.

Alice m'aide à débarrasser. J’aime quand dans la cuisine un peu trop exiguë nos corps se frôlent ; je m’imprègne de son odeur et ça m’émoustille davantage. J’aime sa démarche légère et décidée. Je sais que la fin de la soirée est proche. Je me sens bien en sa présence. Je suis redevenu un gamin qui convoite la fille qu’il n’a jamais eu.

Debout près de la balustrade, Alice offre son visage au ciel étoilé un peu comme une offrande divine.

- Vous aimez observer les étoiles Olivier ?

- Oui un peu ! Je connais quelques constellations, les plus courantes. J’ai été initié lorsque j’étais enfant mais je n’ai pas beaucoup pratiqué depuis.

Et la voilà partie. La Grande Ourse, l’étoile Polaire, la Petite Ourse, Cassiopée, Orion, la Flèche, le Cygne, ...

- Mais vous êtes intarissable Alice, je suis admiratif !!!

- Merci Olivier. C’est une autre de mes passions mais il se fait tard maintenant. On aura l'occasion d'en reparler. Je vais rentrer. Demain je commence tôt. Si vous voulez je vous montrerais, j'ai un télescope chez moi. En ce moment, on discerne une comète. Elle a été baptisée « Neowise » Elle est visible jusqu'à la fin du mois dans notre hémisphère. Avec un peu d’expérience, on peut même la repérer à l‘œil nu. C'est fascinant les choses qu'on peut voir, je ne m'en lasse jamais.

- Avec grand plaisir Alice. Faites-moi signe, je n’habite pas loin.

- J'ai passé un très bon moment en votre compagnie. C’était vraiment top mais vous êtes incorrigible. Vous avez mis la barre un peu haut ce soir. Je vous sonne lorsque le ciel sera dégagé. Ici, avec la lune qui décroît il y a encore beaucoup trop de pollution lumineuse.

- De rien Alice. Tout le plaisir était pour moi. Merci de votre présence. J’ai énormément apprécié.

Son teint a rougi légèrement devant le compliment.

- Je vous embrasserais bien avant de partir mais la préséance du moment se veut malheureusement plus restrictive. Alors je vous bise à distance.

Elle dépose un baiser sur sa main qu’elle m’envoie d’un geste lent. Je souris en lui retournant le baiser sur un souffle léger, un peu comme deux adolescents immatures.

- Bonne nuit Olivier et à bientôt.

- Bonne nuit Alice.

La porte s’est refermée derrière elle. Je m’aperçois qu’elle me manque déjà. Je sais qu’elle m’a conquise.

- °°° -

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