Le Nécrophile, Gabrielle Wittkop
Malgré la thématique macabre, l’auteure parvient à tisser une prose d'une beauté étrange et envoûtante. Son style est précis, imagé et souvent lyrique, transformant l'horreur en une forme d'esthétique sombre. Elle utilise un vocabulaire riche et des descriptions minutieuses qui plongent le lecteur dans un univers à la fois repoussant et fascinant.
Le roman ne se contente pas de décrire des actes nécrophiles ; il explore la psyché de Lucien, le protagoniste, avec une froideur clinique et une certaine empathie paradoxale. l’écrivaine interroge les motivations profondes, le désir, la solitude et la quête d'un absolu, même dans l'innommable. Elle ne cherche pas à justifier, mais plutôt à comprendre, ce qui rend le personnage d'autant plus glaçant et complexe.
Le Nécrophile est une transgression radicale des normes sociales et morales. L’auteure confronte le lecteur à l'impensable, le forçant à questionner ses propres limites et ses jugements. Cette audace littéraire est une force majeure du roman, qui refuse toute forme d'édulcoration ou de compromis.
Le récit, bien que linéaire, est ponctué de réflexions philosophiques et d'observations sur la mort, le corps et la nature. La lente progression de la fascination de Lucien vers l'acte nécrophile est décrite avec une précision chirurgicale, créant une tension palpable. La brièveté du roman contribue à son impact, concentrant l'horreur sans la diluer.
L’auteure parsème son texte de références culturelles et littéraires discrètes, enrichissant la lecture et suggérant une profondeur intellectuelle sous-jacente à la perversion décrite.
La nature explicite du sujet peut rendre la lecture difficile, voire insoutenable, pour certains lecteurs. La description crue de la nécrophilie risque de masquer les autres aspects de l'œuvre et de provoquer un rejet épidermique.
Bien que l’auteure explore la nécrophilie sans la glorifier, certains lecteurs pourraient percevoir une forme de fascination troublante dans la description des actes et des sensations de Lucien. La limite entre l'exploration psychologique et la complaisance peut parfois sembler ténue.
Le style littéraire exigeant de l’écrivaine et son approche intellectuelle peuvent rendre le roman moins accessible à un public non averti. La densité de la prose et les références subtiles peuvent nécessiter une lecture attentive et une certaine familiarité avec les thèmes abordés.
En bref, l’œuvre de Gabrielle Wittkop est à considérer, non pas comme une apologie, mais comme une tentative radicale d'explorer les zones les plus sombres de l'âme humaine avec une lucidité glaçante et une maîtrise stylistique indéniable.
Résumé : Antiquaire à Paris, Lucien N. est amateur de netsuke japonais, ces statuettes burlesques mettant en scène de vigoureux ébats avec des morts. Lui aussi aime posséder les cadavres arrachés à leur sépulture. Dans un journal intime, ce collectionneur macabre distille l'histoire secrète de ses amours nécrophiles. Jeunes ou vieux, hommes ou femmes, chaque trépassé est l'objet d'une minutieuse ferveur érotique. Au fil des pages, l'inquiétant esthète remonte à l'origine de cette jouissance des corps au sexe glacé, à la chair bleue, au parfum de bombyx, où s'épanche sa profonde solitude. La langue de Gabrielle Wittkop, froidement sensuelle et débarrassée de toute tentation morale, offre le portrait d'un amoureux sans pareil.
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