Chapitre 5.
Après avoir passé une grande partie de la journée à la recherche de la jeune femme, Reclan se retrouve sur une large avenue. De part et d’autre, de grandes maisons cossues en pierre rouge s’alignent. Toutes se ressemblent — le Seiglier noir étant l’emblème de la cité de Volarta, il n’est pas étonnant d’en trouver un planté devant chaque demeure.
Le soleil ne va pas tarder à se coucher et, même si ses recherches sont pour l’instant infructueuses, il décide de faire une pause. Il s’assied sur un banc, soupire, puis tire sa flasque. Mais, tandis qu’il la porte à ses lèvres, des rires d’enfants attirent son attention. Il redresse la tête et aperçoit deux taches claires se détachant du rouge sombre d’une maison un peu plus haut sur l’avenue.
Il se lève et s’apprête à s’en approcher lorsqu’il réalise son accoutrement de voyageur errant.
— Une femme attirera moins l’attention, murmure-t-il en se glissant dans une petite allée bordée de hautes haies.
Il claque des doigts et, aussitôt, une grimace de dégoût se dessine sur son visage lorsqu’il découvre l’imposante robe longue verte aux multiples fanfreluches. Le plus gênant reste le corset de cuir beige qui lui enserre la taille. Ses joues rosissent quand son regard descend sur l’opulente poitrine prête à jaillir du corsage.
Il réajuste l’immense chapeau à plumes sur sa tête et dodeline en direction des enfants.
— Satanés talons, grommelle-t-il, les chevilles vacillantes.
Il s’accoude au muret, un sourire maladroit au visage, et observe les deux petites filles qui jouent sur la pelouse tondue.
— Bonjour, mesdemoiselles.
Sa voix éraillée et nasillarde le surprend lui-même. Il tente tant bien que mal de garder contenance. Les deux gamines se lèvent, le scrutent avec méfiance et se prennent la main.
— Vous habitez ici ? demande-t-il.
Les fillettes aux boucles noires hochent la tête avec une synchronisation presque parfaite.
— Je ne suis pas d’ici et je pense m’être perdue, ajoute Reclan.
Elles échangent un regard, puis le dévisagent sans un mot.
À cet instant, la porte d’entrée s’ouvre et un homme en armure d’officier de l’Ordre de l’Éclat Divin apparaît. Reclan se fige, aveuglé par sa stature et sa tenue immaculée. Son sang cesse de couler, une goutte de sueur roule de son front vers son cou.
« Fait chier ! »
L’homme fronce les sourcils en l’apercevant, puis s’avance vers les enfants.
— Est-ce que je peux vous aider, madame ? demande-t-il avec un sourire méfiant.
Ses yeux sont plus sombres que les ténèbres, au point que Reclan ne distingue même pas ses iris. Deux billes d’obsidienne qui le sondent avec une insistance terrifiante. Reclan secoue la tête.
— Bien le bonjour, officier… commence-t-il.
— Capitaine, madame, le coupe sèchement l’homme.
— Toutes mes confuses, capitaine. Je rends visite à une tante éloignée, mais je crains de m’être égarée.
— Je connais beaucoup de monde. Je peux certainement vous indiquer le chemin. Comment se nomme votre tante ?
Pris de court, Reclan ouvre la bouche mais aucun son n’en sort.
« Valentia Pommelesec », souffle la voix de Charlotte à son oreille.
— Valentia Pommelesec, lance-t-il avec un peu trop de vigueur.
Le capitaine fronce les sourcils à nouveau. Reclan retient son souffle.
— Vous vous êtes trompée de quartier, ma chère.
Une goutte de sueur dévale la nuque de Reclan. Il déglutit.
— Quelle gourgandine je fais, reprend-il en souriant niaisement.
— Vous auriez dû prendre la diligence, ce n’est pas vraiment à côté.
— Je suis… claustrophobe. Les endroits confinés me mettent extrêmement mal à l’aise, minaude Reclan sans réfléchir.
L’homme s’approche, place une main dans son dos et l’autre sur sa poitrine, puis s’incline dans un salut militaire.
— Je suis le capitaine Gerord Vatenguerre, de la garnison de Volarta, déclare-t-il en tendant la paume de sa main gauche.
Reclan lui donne sa main droite, que le capitaine porte à ses lèvres. Il se redresse et hoche la tête, attendant clairement une réponse.
— Je me prénomme… Jésuine… Jésuine Dubonprés, improvise Reclan.
— Enchanté. Je ne serais pas un galant homme si je ne vous proposais pas de vous raccompagner jusqu’à la demeure de votre tante, ajoute le capitaine avec un sourire.
— C’est très aimable, mais j’ai déjà bien assez abusé de votre temps si précieux. Il fait encore beau, je préfère marcher, répond Reclan.
— À votre convenance, madame. Il vous suffit de redescendre l’avenue jusqu’à la mairie, puis de prendre à gauche. Ce sera la troisième maison sur votre droite.
— Merci infiniment, capitaine.
Reclan tente une courbette maladroite et manque de se fouler une cheville. Les yeux du capitaine s’arrondissent.
— C’est une bien jolie flasque que vous avez là, remarque-t-il en pointant le menton vers la ceinture en satin violet de Reclan.
« Merde ! J'ai oublié que les objets magiques n'étaient pas camouflés par les enchantements ! »
Reclan se redresse et tire instinctivement sa veste pour la cacher.
— C’est… un cadeau de feu mon époux. Je l’utilise pour transporter un remède contre les… hémorroïdes !
Il espère que sa réponse incongrue mettra fin aux questions.
— C’est… un problème très dérangeant, en effet, concède le capitaine en haussant les narines avec une moue de dégoût. Je vous laisse, si vous êtes attendue.
— Bien sûr, capitaine. Merci encore pour votre aide.
Une dernière révérence, et l’homme retourne à l’intérieur. Reclan s’éloigne en faisant de son mieux pour paraître naturel tandis qu’il redescend l’avenue vers la mairie. Une fois hors de vue, il se glisse dans une allée et retire le voile d’illusion. Il s’étire en laissant échapper un long soupir, soulagé d’avoir retrouvé l’aisance de son apparence.
« Ce n’est pas passé loin… »

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