Éternité

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Je ne veux pas mourir.

À ma gauche un guerrier s'effondre, la gorge broyée par une masse d'armes. Je chancèle, mon épée est trop lourde et la peur m'oppresse le coeur. Je souffre et la rage du combat, celle que seul le sang peut apaiser, commence à me quitter. Depuis combien de temps suis-je ici ? Je tombe sur les genoux, l'acier de mon armure écrase ma chair. Au loin, je vois l'un de mes alliés se faire décapiter. Je le reconnais, nous avons bu ensemble l'autre soir. Quelque part dans les plaines septentrionales, une famille attend en vain l'homme de la maison, dont la tête roule maintenant sur le sol.

Je lâche mon arme qui s'écrase avec un bruit sourd dans la boue. Éternité. Souvenir de mes ancêtres. Si longtemps convoitée, si peu portée... Mon visage heurte la terre souillée. Je ferme les yeux. Pourquoi suis-je là ? Pourquoi devrais-je perdre la vie ici ? Mais une image traverse mon esprit. Je revois le corps mutilé de mon frère et j'entends les cris de ses enfants. La nuit, je les discerne encore.

Mais cette guerre ne m'a pas privé que de lui, elle m'a également arraché la femme que j'aimais. Ils étaient venus par une nuit sans lune et n'avaient laissé que la mort derrière eux. Je l'ai trouvée au petit matin. Ses mains qui m'avaient caressé tant de nuits étaient glacées et son beau visage n'était plus que chair à vif. Sa gorge était lacérée de part en part et la blessure fatale, au beau milieu de sa poitrine, pleurait des larmes de sang. Je n'étais pas là pour la protéger. Tout était de ma faute.

Mes yeux et ma gorge me brûlent et je sens des larmes rouler sur mes joues. Ma poitrine est secouée de sanglots. Ma mort ne changera pas le monde. Et mon souvenir s'éteindra parmi tous les cadavres qui gorgent la terre de leur sang. Pas de nobles funérailles, nul tombeau et aucun chant à ma mémoire. J'ai peur du Grand Vide. Et je n'ai aucune idée de ce qui m'attend de l'autre côté. Mais plus personne ne guette mon retour sur ces terres désolées... Je n'ai plus de famille.

Tout autour, ils combattent pour la vie et pour la mort. Ils pensent sûrement que c'en est fini de moi...C'est ma dernière chance. Je pourrais rester étendu et m'accrocher à mon triste sort. Mais ma décision est déjà prise.

Alors, je savoure pour la dernière fois la sensation du vent dans mes cheveux, la sueur qui coule sur ma peau, la froideur de mon armure. Les palpitations de la vie dans mes veines et le chant des épées tout autour de moi. Je repense à mon existence, à tout ce que j'ai accompli ou non. À mes espoirs, mes rêves. Aux miens qui m'attendent peut-être quelque part ?

J'ouvre les yeux et cherche Éternité du regard. Je tends lentement la main et l'empoigne pour la dernière fois. Je me relève avec difficulté.

Je repère un mercenaire sur ma droite. Il a juste le temps de se retourner, alerté par mon cri, avant qu'Éternité ne lui fouille les entrailles. Son sang m'éclabousse. Je m'essuie le visage et me précipite vers ma prochaine cible. J'emporterai autant d'ennemis que possible avec moi dans le Grand Vide. Je n'ai plus rien à perdre. D'un coup rageur, je tranche la tête d'un soldat. Sa tête vole dans les airs et son corps s'effondre en convulsant. Plusieurs guerriers se jettent sur moi et je taillade en tous sens pour les tenir à distance. Je suis encerclé. Le soleil couchant illumine Éternité dans un flamboiement doré lors de sa danse macabre. Soudain, je m'arrête, le souffle coupé.

Un grand barbu a repéré la faiblesse de mon armure et m'a enfoncé son espadon sous l'aisselle gauche. Une vague de douleur me noie et je commence à flancher. La vie coule le long de mon flanc. Mais ce n'est pas encore fini. Je peux encore continuer. D'un moulinet, j'assène un coup violent au soldat qui lâche son arme et trébuche en arrière, sonné. En serrant les dents, j'extirpe son espadon de ma chair. Mais déjà un Elfe m'attaque avec deux poignards. J'esquive tant bien que mal le premier, mais pas le deuxième.

Il écorche ma tempe et un océan pourpre inonde mon oeil. L'Elfe est souple, rapide et moi épuisé et blessé. C'est en puisant dans ma force mentale que j'arrive à continuer. Éternité n'est pas adapté pour ce genre de combat, je la jette sur le sol pour saisir le poignard que mon frère m'avait offert autrefois. La danse mortelle reprend. J'esquive peu les coups de mon adversaire et ne le blesse jamais. Ma chance se présente sous la forme d'une flèche que l'Elfe reçoit dans l'omoplate. Je n'hésite pas. J'attrape ses longs cheveux d'argent et l'oblige à découvrir sa gorge pour y planter mon poignard.

Mon flanc gauche me fait terriblement souffrir. Mais je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle. Je me penche maladroitement pour ramasser mon épée avant qu'un autre guerrier m'attaque à nouveau. Je m'essouffle et mon visage est trempé de sueur. Mon bras devient de plus en plus lourd. Avec la force du désespoir j'abats Éternité sur mon ennemi qui recule sous l'impact. Mais des alliés viennent en renfort et m'entourent. Ils hurlent, m'insultent et m'attaquent de tout côtés. Avec rage, ils s'acharnent sur toutes les faiblesses de mon armure. Je me sens comme un mouton attaqué par une meute de loups.

Mes mouvements deviennent de plus en plus lents et maladroits. Un jeune guerrier dirige sa lance vers mon ventre. Je suis trop engourdi et incapable de réagir à temps. Dans les yeux du jeune garçon je lis la peur mais aussi une grande détermination. Ses joues glabres ne trompent pas sur son âge. Le bout de sa lance perce mon armure et ma chair. Je la sens racler contre ma colonne vertébrale durant un moment interminable avant de sortir dans un gerbe de sang de mon dos. De ma vie, je n'ai jamais connu une telle douleur. Ma vue se brouille et chaque respiration devient un supplice. L'hémoglobine inonde mes lèvres. Quand je ferme les yeux, des éclairs de douleur apparaissent.

C'est la fin. Je sens la vie me quitter. Mon meurtrier me dévisage avec un air cruel. Qui laisse place à l'horreur quand ma main ensanglantée attrape la sienne, agrippée au manche de son arme. J'utilise mes dernières forces pour l'attirer vers moi. Le jeunot se débat furieusement mais je ne lâche pas prise. Sa lance est profondément enfoncée dans mes entrailles et ne lui est plus d'aucune utilité. Quand il est suffisament près, je soulève Éternité et la plante dans son crâne. Ses yeux se révulse et son corps commence à trembler. Il m'observe avec désespoir et émet un gargouillis incompréhensible. Satisfait, je relâche sa main.

Avant même que son corps ne touche le sol, ses frères d'armes se jettent sur moi et me transpercent de leurs épées. Je vacille, crachant ce qu'il me reste de sang et de vie. Mes jambes flanchent et je tombe dans la boue rougeâtre. Le champ de bataille se brouille et je m'appuie sur mon poing gauche pour ne pas m'étaler. Les couleurs faiblissent et les cris se réduisent à des murmures lointains. Je relève la tête et échange un regard avec le soldat le plus proche de moi. Il hoche la tête. Pas besoin de mots. Entre guerriers, nous nous comprenons.

Il lève lentement sa longue épée et son contact glacé sur ma nuque est ma dernière sensation sur cette terre.

Aivea... Je te rejoins enfin.

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