C'était mieux avant...

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Plein le cul de ce putain de 21ème siècle ! râla intérieurement Benoit en esquivant de justesse un homme en trottinette électrique.

Chaque siècle, chaque décennie apportait son lot de changements et d’innovations technologiques, mais rien ne l’avait préparé à l’effervescence des dernières années. Il avait été ému et avait même pleuré en regardant les premiers films en couleurs, lui permettant d’admirer à nouveau toute la magnificence de l’aurore ou du crépuscule sans se consumer sur place. Il avait savouré les années soixante-dix, goûtant les gorges offertes de toutes ces jeunes femmes « libérées », se perdant dans la chimie des nouvelles drogues. Enfin, il s’était réjoui de la mondialisation, de la facilité avec laquelle il était désormais possible de se déplacer d’un état à l’autre. Oui, le vingtième siècle l’avait séduit, il l’avait séduit comme l’aurait fait une belle prostituée. Belle de loin et pleine de promesses extatiques, mais à présent qu’il partageait sa couche, il sentait son odeur rance de technologies envahissantes. Il réalisait que sa beauté n’était qu’un masque de maquillages et de filtres numériques. Quant à son sexe, il n’était même plus caché derrière un voile de fausse pudeur, mais ouvert et exposé aux yeux de tous jusque dans la moindre publicité pour un parfum ou une marque de café.

Ressasser avait toujours été son truc, même de son vivant. Et comme à chaque fois qu’il se perdait dans ses pensées, son corps passait en mode automatique. C’est ainsi qu’il se retrouva devant l’un des derniers bars qu’il estimait potables : Le con sang gain, un nom pourri selon lui, à l'image des consommations qui y étaient offertes, mais le propriétaire en était fier.

Au point où j’en suis… pense-t-il vaguement en pénétrant dans le bouge.

Au lieu d’une douce mélopée annonçant l’ouverture de la porte, les gonds grincèrent à son entrée. Benoit traversa le bar sans un regard pour les tables ni les alcôves bordant la pièce, mais il fit tout de même une liste mentale des clients, identifiant, au cas où, les potentiels emmerdeurs.

Lorsqu’il s’assit enfin au comptoir, un soupir vide lui échappa. Il ne respirait plus depuis longtemps, mais certaines habitudes humaines persistaient.

Le barman, un vieil homme bedonnant et dégarni, le toisa un instant, avant de lui offrir un demi-sourire.

— Salut Ben, qu’est-ce que je te sers ce soir ?

Be positive ? répondit l’intéressé, l’air grave.

Une étincelle traversa le regard du barman. Il jaugea sa salle d’un regard avant de porter de nouveau ses yeux sur son client.

— Ça devrait être calme ce soir, mais reste sur tes gardes. Ta tête est toujours mise à prix…

Le tenancier se détourna pour ouvrir un petit frigo, il en sortit une bouteille sans étiquette, remplie d’un liquide sombre.

— Chaud ou froid ?

Benoit haussa les épaules.

— M’en fout. Froid. Pour la merde que c’est de toute façon.

La remarque ne manqua pas de piquer le gérant qui fronça légèrement les sourcils avant de décapsuler la bouteille et de verser son contenu dans un verre. Le gargouillis émis par le liquide sirupeux semblait néanmoins confirmer les propos du client.

— Rappelle-moi, pourquoi je te ne te dénonce pas moi-même ? questionna le vieil homme d’un ton faussement désintéressé.

Cette fois, Benoit lui adressa un franc sourire, exhibant ses canines acérées.

— Mais parce que je suis ton ami, voyons ! Un ami utile, n’est-ce pas Antoine ?

Les deux hommes échangèrent un rire sombre.

Benoit porta le verre à ses lèvres et avala une gorgée avant de le reposer avec une mine de dégoût.

Peu de temps auparavant, il trouvait que boire des poches de sang dénaturait le goût du précieux liquide… Leur souvenir lui semblait divin à côté du sang synthétique ; la dernière grande révolution de l’Humanité, une de plus pour lui faire détester ce siècle.

Benoit fit tournoyer plusieurs fois le liquide dans son verre, observant ses reflets violacés artificiels dans la lueur blafarde des néons au-dessus du comptoir. La main d’Antoine se posa alors à côté de la sienne, un papier glissé entre le pouce et l’index.

— Tu me fais pitié, mon « ami ». J’ai allégé ta note.

— J’aime quand tu me fais la charité ! répondit Benoit en s’emparant du papier.

Il déposa un billet sur le comptoir et quitta l’établissement, ce n’est qu’une fois à l’abri des regards qu’il ressortit sa « note ». Au recto, le prix indécent de sa commande qu’il avait à peine touchée ; au verso, un nom et une adresse. Un sourire carnassier étira les lèvres du vampire, il allait pouvoir correctement étancher sa soif ce soir.

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