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Lou

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  • Non mais ça ne va pas bien dans ta tête ?

Mon propre hurlement me surprend, si bien que je recule moi-même d'un pas, me retrouvant dos à la barrière en métal en face de l'internat.

Mia, face à moi, me fixe d'un air peu décidé à s'adonner à des réprimandes, les dents serrées, les sourcils froncés formant un léger pli sur son front.

Nous sommes sortis de l'internat, afin de pouvoir reprendre notre souffle, mais surtout discuter de ce qui vient à l'instant, de se dérouler entre elle et le père de Elio.

Lorsque je suis rentré dans la salle commune à la recherche de Mia et que je l'y ai trouvée, assise en fixant le vide, j'ai tout de suite compris que quelque chose n'allait pas. Alors, lorsque Elio est venu la chercher, la panique au corps, je n'ai trouvé d'autre solution que de les suivre, car l'un comme l'autre m'inquiétaient vraiment.

Je n'ai cependant pas agi à temps, lors de son altercation avec monsieur Craida : je me sens vraiment stupide. J'aurais pu intervenir avant que les choses ne s'enveniment de trop, je voulais seulement voir quelle serait la réaction de notre ancien proviseur, une fois mis au pied du mur. Et je peux assurer, que bien qu'il n'en ai rien dit, les paroles de Mia l'ont ébranlé. D'où la soudaine agressivité de ses paroles dans la fin de leur échange.

Elio est remonté à notre étage, comprenant qu'il me fallait parler à Mia, seul à seul.

  • Tu es au courant qu'en l'attaquant de front, tu nous mets tous dans la merde ?
  • On ne risque rien du tout, Lou ! Ce que j'ai dit ne sont pas des paroles en l'air, on a l'avantage, on a...
  • On a rien du tout, Mia ! Si il donne l'ordre de nous faire tuer cette nuit, qui sera là pour sagement écouter ton témoignage hein ? Personne ! Tu l'a juste énervé, en sachant, en connaissant son rang ici. Il a, même si ça me tue de l'admettre, droit de vie et de mort sur nous. On est rien pour ces gens, tu as pigé ça ? Alors, tes coups de gueule laisse-moi te dire qu'ils s'en foutent.

Je sais que je suis brutal dans mes paroles. Cependant, il faut qu'elle comprenne, qu'elle assimile le fait que grâce à sa petite esclandre, nous sommes tous en danger. Évidemment, je ne souhaitais pas qu'elle laisse Elio partir ''discuter'' avec lui, mais de là à lui lancer ses quatre vérités de la sorte...

  • Alors quoi, tu aurais préféré que je le laisse partir avec cette ordure ?
  • Je dis juste que tu n'étais pas obligée de faire tant de tapage. Tu aurais juste pu partir avec Elio, sans lui accorder la moindre importance.
  • Il fallait que quelqu'un ose enfin en parler, Lou. Au moins pour Elio. Tu ne vois donc pas que tout ça est en train de le ronger de l'intérieur ? Tu as de la merde devant les yeux ou quoi ?
  • Oui, super. Comme ça, le peu de temps qu'il nous reste à vivre, il pourra au moins se réjouir de savoir que quelqu'un l'a enfin défendu. En le condamnant, certes, mais en le protégeant. Bravo, brillante initiative !

Elle se braque, une veine palpitant à sa tempe, les poings serrés à s'en faire blanchir les phalanges.

  • Tu...

Elle s'arrête, me fixe quelques courts instants, avant de tourner les talons, et de partir, furibonde, en direction du gymnase.

  • Mia reviens !

Mon cri me fait mal à la gorge, mais je ne m'avoue pas vaincu pour autant : je pense qu'elle a compris, mais qu'elle refuse simplement d'admettre sa part de responsabilité dans tout ça.

  • Mia ! Rev...
  • Laisse-la.

Je tourne vivement la tête, dévisage Léo, adossé à la chambranle des portes de l'entrée, qui lui-même m'observe avec un air sidéré.

  • J'ai le droit à une explication, ou toi aussi tu vas te murer dans le silence, comme le rouquin ?

Un sourire mauvais étire mes lèvres, mais je le ravale bien vite. Pas la peine de l'énerver.

Léo. Il va forcément être du côté de Mia, qu'importe ce que je pourrais lui dire.

  • Et à quoi bon, hein ? Tu vas être fâché après Mia si je t'explique tout ? Non.

Ses épaules s'affaissent, comprenant le sens de mes paroles, avant qu'un tic nerveux n'agite sa joue.

  • Je suis du côté de personne, je veux juste savoir ce qui s'est passé.
  • Tu as qu'à aller demander à Mia.
  • Lou, putain fais pas l'enfant et explique-moi !

Je secoue la tête, fou de rage, de rancœur et de peur, avant de m'éloigner à mon tour, à grandes enjambés.

  • Lou bordel, mais qu'est ce qu'il se passe ? J'ai rien fait moi ok, je suis neutre dans cette histoire !
  • Non tu ne l'es pas, et tu le sais. Au moment même où tu m'a vu crier sur Mia, tu es passé de son côté, automatiquement. Ça a toujours été comme ça de toute manière.

Je serre les poings, et distancie enfin mon ami, qui face à mon agressivité et la peine dans ma voix, n'a pas trouvé la force, ou n'a tout simplement pas eu envie, de relancer.

Ils sont amis depuis la maternelle. Meilleurs amis depuis leurs trois ans. Ça a toujours été ''Léo et Mia'', ''Mia et Léo'', même quand j'étais là. Personne n'a jamais vu de trio dynamique, car ça n'existe pas. Ça ne peut pas fonctionner. Un vélo n'a que deux roues, pas trois. Aucun animal n'a trois pattes. Parce que trois, c'est inutile. Ça ne sert à rien. On ne peut rien en tirer.

C'est pourquoi je me suis habitué à être l'élément boiteux du groupe.

Mais maintenant, alors que je sais que je vais encore m'en prendre plein la tronche face à un Léo qui sera de toute manière du côté de Mia, je n'ai pas envie de voir mon amour-propre se faire piétiner une nouvelle fois. J'ai déjà donné. Beaucoup trop donné.

Au fond de moi, je sais que ce que je fais est stupide, et totaleent puéril : en soit, Léo n’y est pour rien dans tout ça. Mais, je ne sais pas. L’angoisse des représailles, la rancoeur face à ma situation, les doutes,la colère, la tristesse, me font voir flou, me font divaguer. Mon cerveau, me semble avoir court-circuité. Comme si une étincelle avait fait mourir l’entièreté du système. Vidé, absent, les bras ballants et le visage défait, je réfléchis, encore et encore, sans trouver de réponse : pourquoi ai-je agi de la sorte ?

Je ne me reconnais plus, durant un instant.

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Léo

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Du coin de l’œil, je vois Lou s'éloigner, et soupire de frustration : ils commencent vraiment, tous, à me taper sur le système. Déjà Elio qui m'ignore bien comme il faut, en remontant dans un état pitoyable. Et maintenant Lou qui refuse catégoriquement de me parler, m'avançant que de toute manière '' je serais du côté de Mia'' ? Mais bon sang il a quel âge ?

Résigné à ne pouvoir obtenir de réponse qu'en allant retrouver Mia, j'enfonce mes mains dans mes poches, et me met à courir en direction du gymnase, le nez froncé : je déteste être ignoré de la sorte.

Le soleil est presque couché, et le chemin entre le gymnase et l'internat est loin d'être bien éclairé : je fais donc attention, en arrivant aux alentours du bâtiment, de ne trébucher sur aucune aspérité du sol. Il ne manquerait plus que je me casse le nez.

Les portes sont ouvertes, et j'en profite pour me glisser à l'intérieur, tendant l'oreille. Je l'ai vu partir dans cette direction, ce qui fait qu'elle doit forcément être ici.

  • Mia ?

Personne ne me répond : je m'en serais douté, mais sens pourtant mon sang commencer à bouillir dangereusement au creux de mes veines.

J'ai été ignoré toute mon enfance, au sein de mon foyer, qui n'avait de famille que le nom. Mes parents n'ont jamais trouvé l'intérêt de me considérer, alors que j'avais deux sœurs bien plus intéressantes à leur disposition. J'ai donc toujours, depuis mon plus jeune âge, appris à me débrouiller seul, et à ne plus faire attention à l'ignorance dont les autres pouvaient faire preuve envers moi.

Cependant, j'ai trouvé en Mia, une personne de confiance me voyant comme son égal, son ami. Son meilleur ami, même.

C'est pourquoi, dans ce mal-être qui m’anime actuellement, j'aimerais vraiment, qu'elle me réponde.

  • Mia Dos !

Je passe rapidement le couloir des vestiaires, ne prends pas le temps de m'arrêter face aux toilettes condamnées, et finit par me stopper net, lorsque du coin de l’œil, je vois un faible rayon lumineux se dessiner sus la porte menant aux douches.

D'un pas aussi discret que possible, je m'approche de la porte, y colle mon oreille, et donne trois coups contre le panneau de bois.

  • Mia ?
  • Si tu viens pour me passer un savon toi aussi, c'est pas la peine.

Je soupire, exaspéré par le comportement plus qu'enfantin de mes deux amis d'enfance, avant d'ouvrir la porte, pour tomber sur Mia, recroquevillée contre le mur du fond de la salle, les genoux sous le menton.

  • J'ai déjà expliqué à Lou, que je ne veux créer de problèmes à personne. J'aimerais juste savoir ce qui se passe.
  • Il se passe que d'après Lou, j'ai fais une connerie.

Je m'approche d'elle, pour finalement m'asseoir à ses côtés, en tailleur.

Le sol est glacé, mais je m'en fiche : qu'importe ce qui est arrivé à l'internat, cela semble assez conséquent pour mettre Lou, Mia et Elio dans un état aussi déplorable.

Mon épaule, directement en contact avec celle de Mia, semble la rassurer, car doucement, je la vois se détendre, ne serait-ce qu'un tout petit peu, avant de se mordre pensivement la lèvre.

  • J'ai eu..., commence t-elle, une petite, euh... dispute, avec Criada.

Cette phrase enfin lâchée, il ne me reste plus qu'à écouter la suite, qu'elle me narre aussitôt, du début à la fin. Elle me raconte Elio et ses crises, directement liées à son père, sans vraiment m'en donner les causes exactes – que je devine de moi-même. Puis, elle me raconte ses déductions, par rapport aux intentions de Reborn, et de l'incompatibilité de Criada et de ce système de purge. Pour elle, un homme tel que lui ne devrait pas être à la tête d’une organisation visant à ‘’purifier’’ notre société. Comment un déchet pourrait-il demander l’extermination d’autres déchets ? Enfin, pour terminer, elle m'explique son entrevue, qui n'était partie que du fait d'empêcher Elio de suivre son paternel, mais surtout, le dérapage, les menaces, la montée des tons.

  • Je voulais pas Léo..., murmure t-elle. Je te promets que je voulais pas nous le mettre à dos, mais, j'avais l'impression de ne plus contrôler ce que je disais, et...
  • Madame Bercelo nous en avait parlé. L'impulsivité, des nouveaux Reborn.
  • Ça n'excuse rien ! Je voulais bien faire et au final, j'ai..., j'ai merdé !

Son cri m'étonne, me surprend, bien que je n'en laisse rien paraître. Au contraire, je me serre un peu plus contre elle, et prends sa main.

Mia fait forte, lorsqu'on la voit pour la première fois. Elle se devait de l'être lorsque nous étions en primaire, puis au collège, pour se faire respecter, se faire une place, et surtout, ne pas ''rester cachée dans mon ombre'', comme elle me le disait souvent. Elle voulait se démarquer de notre trio. Ne pas seulement être, la ''fille'', la ''bonne copine''. Non, elle voulait être connue en tant que Mia Dos, et pas en tant que membre à l'identité absente d'un trio parmi tant d'autres.

De ce fait, elle s'est forgée une carapace, un caractère souriant et sûre d'elle, alors qu'au fond, moi je sais très bien, que ce n'est pas elle. La vraie Mia, c'est celle qui doute, tout le temps, et pour n'importe quoi. C'est celle qui, devant un film d'horreur, va pleurer lorsqu'un personnage lambda va se faire tuer, en imaginant l'un de ses proches à la place de ce dernier. C'est celle qui, les rares fois où j'ai pleuré, a pleuré avec moi pour me soutenir. C'est celle qui, à la façon de Lou, fait toujours passer les autres avant elle.

Et, je crois qu'à cet instant précis, la peur, la culpabilité et les remords, vont avoir raisons de sa carapace.

  • Tout va bien se passer. Il suffit que l'on parle maintenant de tout ça à Bercelo ou Yersen. Ils doivent être dans le bâtiment administratif...
  • Et après, Léo ? Ils vont le faire tuer, ou ne rien faire du tout ? Nous n'en savons rien. Que l'on parle, ou que l'on se taise, on ne sait pas ce qui va se passer. Je nous ai tous mis dans la merde, dans leur viseur et je...

Sa voix craque, sur la fin de sa phrase, tandis qu'un sanglot vient lentement remonter le long de sa gorge que je devine nouée.

Alors, je passe un bras autour de ses épaules, et l'attire contre moi, la laissant attraper mon tee-shirt pour le serrer au creux de son poing crispé. Son visage, enfoui dans mon cou, me hérisse les poils : je déteste la voir dans cet état.

  • Je peux te garantir que moi vivant, ni toi, ni le loup, ni le rouquin, ne mourrez.
  • Tu ne pourras rien y faire, s‘il envoie des gens nous régler notre compte durant la nuit.
  • Peut-être. En tout cas, même s‘ils en viennent à me reprendre ma seconde vie, ils ne le feront pas sans recevoir quelques bleus avant, ça je peux te le garantir. Hein, Mia et Léo contre le monde entier ?

Un sursaut dû à un rire nerveux l'agite, et je la vois relever doucement son visage pour échanger un long regard avec moi, avant de se blottir à nouveau au creux de mes bras, que j'espère rassurants.

J'ai toujours insisté, pour être celui qui protégerait les autres. Mes parents, ne me portant aucune attention lors de mon enfance, ne m'ont jamais protégé du monde extérieur, de la méchanceté des autres enfants, de la solitude ou du sentiment d'abandon. C'est pourquoi, tout d'abord avec Mia, puis avec Lou – bien que je l'assume moins – je me suis toujours juré de ne jamais les laisser pleurer, ou les laisser souffrir, sans les aider de quelque façon que ce soit. Ce qui était, à l'époque, paradoxal car, tout l'amour que je ne recevais pas chez moi, je le redistribuais en plus grande quantité, à Mia et Lou. C'est d'ailleurs, ce qui a toujours étonné tous mes professeurs : le fait que, je n'hésitais pas à me battre partout et tout le temps, mais que je devenais un vrai papa poule lorsque mes deux amis avaient du soucis. C'était ma façon à moi, de leur montrer à quel point je tenais à eux. Je ne suis pas doué avec les mots alors, j'essaye de tout faire passer par le démonstratif ou le tactile.

Que représente un ''Je t'aime'', lorsque l'on peut offrir une étreinte ?

  • Mia, il va falloir aller chercher Lou, et remonter voir Elio.
  • Il doit m'en vouloir, murmure t-elle contre mon cou.
  • Qui ça, Elio ou Lou ?
  • Les deux, en fait.

Je souris, doucement, et pose une main sur sa tête, pour passer mes doigts entre ses mèches en bataille.

  • Lou ne t'en veut pas, du moins..., pas trop. Quant à Elio, je pense qu'il a juste besoin que tu ailles le voir. Mia, ce type te regarde comme si tu étais la huitième merveille du monde. Il ne t'en voudra pas pour l'avoir défendu face à son enculé de père, je peux te le garantir.

Elle hoche la tête, desserre son étreinte sur mon vêtement, et se redresse enfin pour me couler un dernier regard reconnaissant. Puis, lentement, elle dépose un long baiser sur ma joue, en fermant les yeux, avant de se reculer, et de se redresser.

Une fois debout à mon tour, je la suis, en quittant la salle des douches, éteins la lumière, et prends directement la direction de la sortie, les mains dans les poches, bien décidé à aller retrouver Lou pour lui expliquer ma façon de penser.

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