Iris - X

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19h47

Un trophée dans chaque main, j’attends bien sagement que tout le monde se place sous le barnum. Plusieurs appareils photos sont braqués sur moi. Pour me donner bonne contenance, je prends la pose comme une vraie mannequin. J’avoue en exagérer certains. Andréa dirait que je fais mon show. D’ailleurs, je l’aperçois en compagnie de Tata Zizi rejoindre les autres convives. Elle se place à côté de João puis lui pince la taille pour le chatouiller. Il se retourne vivement vers ma sœur en riant. Andy a l’air assez satisfaite de sa petite plaisanterie. Elle n’a pas l’air fâché ou contrarié.

— J’appelle les gagnants des gagnants : Nelly et Laurent.

Les deux intéressés se fraient un chemin parmi les autres convives pour me rejoindre. Pendant ce temps-là, toute ma famille applaudit à l’unisson. Je leur remets à chacun un prix de la journée : une main grise sur un socle tient un palet breton sur le point d’être lancé. Sur la base, on peut lire très humblement « Trophée Iris ». Rien que ça. Merci Papa. S’ensuivent les photos. Bras dessus bras dessous avec ma cousine éloignée et mon cousin germain, j’arbore mon plus beau sourire.

Le destin peut parfois être un drôle de farceur. Il réunit un joueur entrainé et une novice sans beaucoup d’entrain. Un duo sur qui je n’aurai pas forcément misé un centime. Et pourtant, ils gagnent la compétition. Chacun rejoint ensuite sa moitié, très fier de ramener un prix à la maison. Il ornera sans doute leur cheminé pendant de longues années.

— J’appelle maintenant l’équipe gagnante des consolantes.

Fiers comme des coqs, João et Jean se placent à côté de moi. Andréa place ses mains autour de sa bouche et se met à hurler pour montrer son enthousiasme aux garçons. Des « bravo » fusent un peu partout dans l’assemblée, couvrant presque les applaudissements. Mon père me tend des médailles que je passe aux deux coéquipiers, tout sourire.

— J’ai pas fini d’en entendre parler hein ? demandé-je faussement blasée à mon meilleur ami.

— Jusqu’à notre mort, rit-il en admirant sa récompense.

Eliott me prend alors dans ses bras et me sert très fort contre lui. Il se met à renifler mes cheveux et mon cou, comme quand nous étions enfant. Il parait que je sens l’odeur sucrée des bonbons. Je lui rends son étreinte, amusée. Cependant, cette dernière dure un peu plus longtemps qu’à l’accoutumer. Je relâche un peu ma pression. Mon regard se lève légèrement et se pose sur celui de Yanis. Ses sourcils sont froncés et il a croisé les bras sur sa poitrine.

Comme précédemment, je pose avec les jeunes hommes pour quelques photos. Tayana et Blaise, les parents de João, sont heureux pour ce dernier. Ils prennent plusieurs dizaines de secondes pour immortaliser le moment. Maria, la jumelle, me glisse dans l’oreille qu’elle aurait aimé jouer finalement. J’hausse la tête et la rassure. Il l’y aura sans doute une autre fête pour mes vingt-ans. Elle pourra se rattraper et s’exercer d’ici là. Je sais qu’il n’est pas toujours évident de se faire une place dans une famille où l’on ne connait pas grand monde.

— Ça mériterait bien une gavotte ! s’écrie alors Mammig à l’autre bout de la tonnelle.

Forcément, les bretons pur beurre appuient cette idée.

— Mais Mammig, c’est dur la gavotte, me plains-je.

Malheureusement pour moi, tout le monde commence à former une grande ronde dans la pelouse et à se tenir les mains. Je décide de prendre celle de ma grand-mère. J’essayerai de la suivre.

— Il faut le faire maintenant parce qu’après, ils seront trop souls et vous partirez danser de votre côté, me chuchote ma grand-mère à l’oreille. Essaye de ne pas être trop kropet , j’ai pas envie de te marcher sur les pieds.

Le fait que Mammig puisse me piétiner donne une idée sur mon niveau en danse bretonne. Eliott est aux anges à en juger son grand sourire amusé. Il sautille sur place. Je suis persuadée que les seules fois où il a dansé la gavotte se sont déroulés durant nos repas de famille.

Rudy vient me prendre ma main de libre.

— Alors partenaire prête ? me demande-t-il avec un clin d’œil.

Malheureusement, il ne sera pas mon voisin de danse bretonne. Déjà positionné, Yanis quitte ses partenaires et traverse la ronde.

— Tu permets ? interroge-t-il plus par politesse qu’autre chose.

Les deux jeunes hommes restent se toiser pendant quelques secondes. S’ils en étaient capables, leurs yeux se lanceraient des éclairs. Rudy décide de rompre le contact visuel.

— Ce sera pour une prochaine fois, me promet-t-il avant de me lâcher et de prendre l’ancienne place de Yanis.

— Ouais, ouais, c’est ça, articule mon nouveau voisin entre ses dents.

Je lui lance un regard interrogateur. Il hausse les épaules, l’air de rien. Serait-il jaloux ? Je n’ai pas le temps de lui poser la question à voix haute. Notre ronde alterne désormais homme-femme. Même Mamie a préféré se joindre à nous plutôt que de rester toute seule. Les meilleurs danseurs passent alors leurs bras droits par-dessus le bras gauche de leur voisin. Nous les imitons. Nous voici donc tous, coude à coude, collés les uns aux autres. C’est vrai qu’au vu des températures glaciales de la journée, on a besoin de chaleur humaine. Nous pouvons donc commencer.

— Musique, Maestro ! s’exclame d’une voix forte ma grand-mère bretonne.

Fred appuie sur le bouton d’une enceinte, sortie de je-ne-sais-où. Le son est au maximum. On entend alors les instruments de notre région retentir : le biniou et la bombarde. Ils nous donnent le rythme joyeux et entraînant. Je tente de me concentrer un maximum. Je tire même la langue sur le côté.

— Gauche. Droite. Gauche. Droite. Gauche, murmure Mammig à mon intention.

Malheureusement, dès le cinquième temps, je suis perdue. Il fallait faire du surplace et j’ai voulu avancer. J’essaye de recompter les pas silencieusement dans ma tête. Mais je n’arrive pas à m’entendre réfléchir avec le volume assourdissant de la musique. Bientôt on va voir tout le village débarquer, pensant qu’un Fest Noz est organisé.

Je parviens à rattraper ma grand-mère lors d’un dernier temps où le pied gauche doit être en l’air. La maladresse des plus jeunes me rassure. Tous se contiennent de rire face à leur manque de coordination. Je plains certains pieds qui vont malheureusement être écrasés et souffrir le reste de la soirée.

J’ai beau me concentrer, j’ai l’impression que mes pieds sont une entité à part, ce qui me contrarie énormément. Mon regard les quitte un instant et se pose sur ma sœur. Elle a l’air totalement dans son environnement. Un petit sourire de contentement est collé sur ses lèvres. Ce qu’elle peut m’agacer à toujours tout réussir.

Ce n’est qu’au bout d’un temps m’ayant paru une éternité que la musique s’arrête. Maintenant que nous avons tous bien transpiré, il est temps d’aller s’hydrater. Papa annonce donc que le bar est officiellement ouvert.

— APERO ! s’écrie Elodie en courant presque sous la tonnelle pour avoir droit à son verre de punch.

Plusieurs membres de ma famille suivent ma cousine en se félicitant pour leurs talents de danseurs bretons respectifs. Je m’apprête à faire de même lorsqu’une main s’empare de mon poignet.

— Je peux te parler ?


20h04

— Je peux te parler ?

Le ton brusque de Yanis ne me laisse pas vraiment le choix. Pourtant, je ne comptais pas dire non à une entrevue à deux. J’hoche la tête et nous nous écartons un peu de ma famille. Je m’assois sur la chaise devant le décor du photobooth.

— Je t’écoute, dis-je en croisant les jambes.

Yanis prend place face à moi et ferme les bras sur sa poitrine. Il a l’air contrarié. Est-ce encore à cause de sa conversation avec Andréa ?

— Je ne savais pas que tu étais amie avec Nino. Du moins suffisamment pour l’inviter.

Il sait pertinemment qu’il s’agit plus du copain d’Eliott que du mien. Je lui explique donc que mon meilleur ami m’avait demandé s’il pouvait venir, accompagné. J’avais accepté connaissant de vue l’individu en question.

— Et qui c’est ce Rudy ?

Le prénom de l’intéressé sonne presque comme un gros mot dans sa bouche. Je n’aime pas ça. J’ai l’impression de subir un interrogatoire.

— Un ancien ami de collège. Maman l’a croisé en faisant les courses. Elle l’a invité en souvenirs du bon vieux temps.

En réalité, je n’ai qu’une vague idée de la raison des motivations de ma mère. Et je préfère taire ma petite idylle d’adolescente. Un petit mensonge par omission. Enfin, si on considère ça comme un mensonge. La frontière est assez floue.

— C’est un problème ? demandé-je pour meubler le silence de Yanis.

Il laisse quelques secondes s’écouler avant de répondre.

— Je n’aime pas la façon qu’il a de te coller…

— C’était mon partenaire de jeu, le coupé-je légèrement agacée.

— Tout comme, je n’aime pas la manière dont Eliott te prend dans ses bras.

Nous y voilà. Cette conversation a des airs de déjà-vu. Monsieur Le Désintéressé serait-t-il jaloux ? Je ne sais pas si je dois me réjouir de cette éventualité ou non. Après tout, j’ai déjà été amoureuse d’une personne excessivement méfiante. Je ne suis pas sûre de vouloir recommencer. Toutefois, ce genre d’inquiétudes venant de Yanis est si rare. C’est la preuve qu’il tient à moi et qu’il a peur de me perdre. Il disait avoir pris sa décision nous concernant. Peut-être est-ce une façon de me l’annoncer. Je préférerai qu’il prononce cette toute petite phrase : « je veux être avoir toi. », à voix haute. Comme dans les films romantiques sur Netflix.

— Je ne vois pas où est le souci… Ce sont mes amis…

Pour obtenir ce que je veux de lui, je décide de le pousser un peu dans ses retranchements. Ça ne peut que lui faire du bien.

— Et bien, je n’aime pas la manière dont se comportent tes « amis » avec toi.

Je me lève et m’approche de lui. J’ai bien envie de l’embêter. Je suis d’humeur joueuse.

— Tout comme, je n’apprécie pas vraiment le fait que tu sois toujours très proche de tes « amies ».

J’insiste bien sur l’avant-dernière lettre. Histoire qu’il comprenne bien de quelle catégorie de personnes je parle.

— Nous ne sommes pas ensemble, je te rappelle, continué-je.

Ce que ça peut être satisfaisant de retourner les mots d’un de nos interlocuteurs à notre avantage. Mais un moment d’hésitation flotte dans l’air. Je dois reconnaître que cela ne me plait pas vraiment. Il est un peu trop long à répondre.

— Non. Tu as raison. Nous ne sommes pas ensemble.

C’est tout ? J’attends quelques secondes. Oui, apparemment, c’est tout. Yanis ne semble pas décider à cracher le morceau tout de suite. Que grand bien lui fasse. Soudain, ma mère pénètre dans mon champ de vision.

— Vous venez ? On vous attend pour trinquer !

Décidemment, Maman a le chic pour interrompre les conversations importantes. Obligée de retourner à mes occupations de reine du jour, je la suis sans jeter un regard à Yanis, aussi fermé qu’une huitre.

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