Andréa - XII

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23h15

Je me sens bête de rester fixer l’écran de mon smartphone de cette manière. Mes yeux commencent à me piquer alors je cligne des paupières à plusieurs reprise avant de relire pour la cinquième fois le SMS que je compte envoyer à Antoine, même si je reconnais volontiers que ce message ressemble davantage à un roman. Je n’ai jamais eu pour réputation d’être concise dans mes paroles.

Merci, merci du plus profond de mon cœur. Tout le monde rêve de recevoir une telle déclaration d’amour un jour. Peu importe qui en est l’auteur, de tels mots, de tels sentiments sont magnifiques et c’est extrêmement courageux de les partager dans ce monde ridiculisant la sensibilité et l’amour.

Je suis désolée si tu as pensé un jour qu’une histoire était possible entre toi et moi. Je suis désolée si tu as cru que mon couple n’était pas assez solide pour que mon cœur parte ailleurs. Je suis désolée de ce malentendu. Je ne peux pas te dire que je partage tes sentiments car ce serait mentir. Je t’ai toujours vu comme un ami, un garçon sur qui je pouvais compter. Ce genre de relation était nouveau pour moi, je sais mieux pourquoi aujourd’hui.

Je comprends maintenant que notre relation ne peut plus être telle qu’elle était. Chacun de nous a besoin de temps pour faire le deuil de ce qu’il pensait qu’elle était. Nous devons prendre nos distances. Et même si tu ne partages pas mon avis, c’est ce que je compte faire. J’espère sincèrement que tu comprends. Prends soin de toi.

Je me mords la lèvre inférieure en espérant secrètement que ma réponse est convenable et sans ambiguïté. Que dire de plus ? Peut-être devrai-je faire plus court ? Le début n’est-il pas un peu trop ? Ai-je vraiment envie d’envoyer cela ? Est-ce vraiment ce que je ressens ? Un moteur de voiture me tire de mes pensées. Je me demande bien qui peut cela peut être. Ma curiosité étant titillée, je quitte mon lit et viens espionner par la fenêtre ce qui se passe, sans me soucier du manque de discrétion de ma démarche. Mon cœur manque un battement lorsque je le reconnais le véhicule.

— C’est pas vrai! fis-je en sortant de ma chambre en toute hâte.

Je manque de tomber dans l’escalier à deux reprises, tellement mes jambes ne suivent pas le mouvement. Je saute la dernière marche, traverse la salle à manger et l’entrée avant de me précipiter sous le chapiteau. Plusieurs paires d’yeux se posent alors sur moi mais je préfère ne pas m’en occuper pour le moment. Je commence à être fatiguée de tous les rebondissements de cette journée et pourtant je ne semble pas au bout de mes peines.

— Je suis ravi d’avoir l’occasion d’encastrer celui qui veut me voler ma petite amie, annonce calmement Solal pendant que j’émerge du barnum.

— Antoine ?! m’écrié-je avec un ton faussement enjoué. Qu’est-ce que tu fais là ?

Je l’attrape de suite par le bras pour l’éloigner de mon petit ami et ses envies bagarreuses, avant de poser mon regard sur un nouvel invité. Un autre. Je vais finir par croire que des invitations ont été envoyé en cachette par ici.

— Qu’est-ce qu’il fait là lui aussi ? demandé-je à ma sœur en désignant du menton Rafael, légèrement agacée à l’idée de devoir régler un autre problème.

— T’inquiète, je gère, me répond cette dernière avant de s’éclipser sous le chapiteau avec son ex-copain.

Justement, c’est bien cela qui m’inquiète. Je me promets intérieurement d’en discuter avec ma cadette plus tard. Solal a croisé les bras sur sa poitrine et attend que j’agisse, sans doute pour mieux me le reprocher ensuite. Je suis prise entre deux feux. Heureusement, ma mère vient pointer le bout de son nez suivi de près par sa nièce préférée, Elodie.

— Vous voulez boire quelque chose ? propose Maman après de rapides présentations. La route a dû être longue.

Ma cousine essaye tant bien que mal de retenir un fou rire. Malheureusement pour moi, elle n’y parvient pas vraiment. Antoine accepte l’offre de ma mère et suit cette dernière, accompagnée d’Elodie, vers la cuisine. Je me retrouve seule avec Solal, furieux.

— Rassure-moi, ce n’est pas toi qui lui as dit de venir. Tel un preux chevalier.

J’hésite sincèrement entre lui mentir et affirmer que si, tout ceci est bien de mon fait, pour me venger de ses provocations de la journée avec Emma. Ma raison vient toute fois me rappeler à l’ordre. Je secoue la tête de droite à gauche. Cela ne sert à rien de mettre de l’huile sur le feu.

— Je vais aller lui parler.

Sans attendre de réponse car je ne lui ai pas demandé la permission, je repasse sous la tonnelle. En entrant dans la cuisine, je croise ma mère qui en sort. Antoine et moi nous nous retrouvons seuls. Il ne perd pas de temps en politesse et entre tout de suite dans le vif du sujet.

— Tu n’as pas répondu à mon sms.

Je perçois une légère angoisse dans le tremblement de sa voix, à moins que ce ne soit un minuscule espoir. Il porte sa bouteille de bière à ses lèvres pour se donner bonne conscience. Appuyé contre le plan de travail, il replace nonchalamment ses cheveux.

— Je n’ai pas eu le temps aujourd’hui.

— Je me doute, répond-t-il du tac au tac.

— J’étais en train de le faire lorsque tu es arrivé.

Un silence pesant s’installe. J’imagine que c’est à moi de continuer, de lui dire ce que j’ai écris dans ce message. Pourtant aucun mot ne parvient à franchir mes lèvres.

— J’avais besoin d’une réponse. Je n’ai pas réfléchi. Je suis désolé de débarquer comme ça.

Iris doit trouver cette action tellement romantique. Elle me dirait sans doute qu’on se croirait dans une comédie romantique digne des plus grands succès Netflix. Antoine boit une nouvelle gorgée.

— Je suis extrêmement gênée de devoir faire ça comme ça. Dans ma cuisine. Surtout après que tu aies fait autant de kilomètres.

— Ne t’en fais pas, ça ira.

Je saisis alors mon téléphone dans la poche de mon short en jeans. Il a le droit de savoir. Il mérite d’entendre un « non » afin de pouvoir tourner la page.

Merci, merci du plus profond de mon cœur. Tout le monde rêve de recevoir une telle déclaration d’amour un jour. Peu importe qui en est l’auteur, de tels mots, de tels sentiments…

Je commence alors à lire à voix haute ma réponse rédigée quelques instants plus tôt. Au fur et à mesure que je m’entends prononcer mes propres mots, ils prennent tout leur sens. Je comprends alors que mes questionnements n’avaient pas leur place, toute à l’heure. C’est ainsi que je ressens les choses. Malgré le fait que mon ego ait pu être flatté par cette déclaration, il ne s’agit justement que de mon ego. Je ne suis pas amoureuse d’Antoine et je ne le serai jamais. Parfois dans la vie, on ne peut pas contenter tout le monde. Je ne suis pas responsable de ce que ressens Antoine pour moi, tout comme il n’est pas coupable de cette non-réciprocité. Et même si cela me fait mal au cœur de lui faire de la peine, je sens comme un poids s’envoler de ma poitrine.

— … J’espère sincèrement que tu comprends. Prends soin de toi…


23h46

Antoine referme la portière sur lui alors je me penche pour être à la hauteur de sa vitrine entièrement baissée.

— Tu es sûr que tu ne veux pas rester ? demandé-je pour la troisième fois. Juste pour cette nuit. On devrait réussir à te faire une place dans une des tentes.

Je tente de le retenir depuis la fin de notre conversation, sans doute plus par culpabilité que par réelle envie. Pendant plusieurs dizaines de minutes, nous avons parlé de tous ces quiproquos lui ayant fait croire à des sentiments réciproques. Là où je ne pensais que témoigner de la bienveillance et de la gentillesse, lui voyait de l’intérêt et de la séduction. C’est sans doute ce qui a été le plus dur à entendre de sa bouche : cette certitude, cette affirmation de mon manque de discernement concernant mes propres désirs. Il a voulu voir ce qui lui plaisait dans mon comportement, alimentant ainsi ses interprétations. J’ai démonté chacune d’entre elles avec soin, pour ne pas le vexer. J’ai dû m’affirmer et ne laisser aucune ambiguïté subsister.

Et malgré tout cela, j’ai du mal avec l’idée de le laisser repartir car je vais sans doute perdre un ami à la minute où il disparaitra de mon champ de vision.

— Andréa… chuchote-t-il. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

Il jette un regard de biais à Solal derrière moi. Ce dernier a les bras croisés sur son torse, on dirait qu’il me sert de garde du corps. Il a peut-être peur qu’Antoine m’attrape et me jette de force dans son coffre.

— Ne t’en fais pas. Tu sais comment est ma mère, elle m’a réservé une chambre dans un gîte dès qu’elle m’a vu prendre la route. Je t’envoie un texto dès que j’arrive.

Je souris à cette anecdote. Enfant unique, Antoine a tissé au fil des années une relation très fusionnelle avec ces parents. Il parle souvent d’eux avec une infinie douceur dans la voix.

Je finis par capituler en m’écartant du véhicule.

— Bonne route, fis-je simplement.

— À bientôt, ajoute mon ami avant de remonte sa vitre teintée.

Immédiatement après, il rallume le moteur sans doute pas encore totalement froid. D’une main experte, il commence à descendre notre allée. Au bout de plusieurs secondes, l’obscurité l’enveloppe totalement. On ne distingue plus que les phares de son automobile. Je m’avance en lui faisant des signes de la main et je prie intérieurement pour que ce ne soit pas des adieux.

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