22) Étreinte capitonnée

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Une fois nos deux assiettes vides, Clytemnestra débarrasse la table et remplit l’évier d’eau chaude. Le ventre tendu, il me faut plus de temps pour me lever de ma chaise.

« Laisse. »

Je lui prends l’éponge des mains. Après sa surprise et toutes ses petites attentions, je ne vais quand même pas la laisser faire la vaisselle.

Nos arancini n’avaient pas tout à fait le goût des tiens, mais ils étaient bons à leur façon. Le riz un peu pâteux, la chapelure trop cuite et pas assez de sel. J’ai surtout aimé les partager avec elle, de la confection à la dégustation. Clytemnestra prétend qu’elle n’a pas le palais assez fin pour être bonne en cuisine et, au moment où j’engloutissais ma troisième boulette farcie avec autant d’appétit que les deux premières, elle a eu un sourire rieur, avant d’ajouter :

— J’aurai besoin de ton aide pour m’améliorer !

Sur le coup, j’étais flattée. Nous n’aurons sûrement pas assez de tout l’été pour venir à bout de ton livre de recettes et c’était la promesse de se revoir souvent. Là, les mains dans l’eau de vaisselle, je commence à déchanter.

Une fois que je lui aurais transmis tous tes conseils et qu’on arrivera à mettre « beaucoup d’amour » dans nos préparations, que me restera-t-il à lui faire découvrir ? Clytemnestra est vive : toujours en mouvement, l’esprit affûté. Il faut sans cesse qu’elle s’occupe, rendue à faire les cent pas maintenant que je l’ai privée de plonge. Il faut qu’elle trouve toujours de nouvelles choses à apprendre, sinon… Sinon quoi ?

Je pose les assiettes sur l’égouttoir quand sa main s’enfonce dans ma poche de short, y pêche la montre à gousset. Clytemnestra l’inspecte et remarque tout de suite comme l’aiguille des secondes trotte. Mon cœur aussi, alors que je cherche une excuse qui apaisera son sourcil froncé.

— Elle n’était pas cassée ?

« J’ai menti… Pour te voir. »

Mes mains dégoulinent de mousse et d’honnêteté. J’attends la sentence, curieuse de découvrir avec quelle grimace se traduira sa déception. Mais cette fois encore, en remettant la montre à sa place, Clytemnestra se pare d’un sourire amusé.

— Tire pas cette tête, Lara. T’es beaucoup trop mignonne !

Je me renfrogne. Je ne sais pas bien pourquoi. Parce que…faire savoir ce que je ressens, en général, ce n’est pas mon style. Ça équivaut à peu près à me mettre toute nue, me laisser dépecer et caresser la chair à vif. Ses rictus me décapent, car je ne sais pas dire s’ils se moquent ou si… Quoi d’autre ? Pour quelle autre raison sourirait-on de moi ? Elle se moque… Je ne suis qu’un projet d’été. Elle vient me disséquer comme l’une de ses horloges et, quand elle jugera que je suis assez bien huilée, que je n’ai plus besoin d’attention, elle m’oubliera dans le musée de ses accomplissements.

Du bout de l’index, Clytemnestra me pousse la joue.

— Lara, tu es fâchée ?

Non. Pas fâchée. J’ai peur de l’aimer, pour de vrai, et de me briser comme un verre quand elle me laissera tomber. Celui que je lavais échappe à ma main savonneuse et se fracasse contre le carrelage. Une vision de l’avenir. Je ne bouge plus. Clytemnestra trouve sans tarder de quoi balayer mes bêtises ; sans doute a-t-elle déjà fait le ménage chez toi.

Je me replie sur ma plonge, frotte et récure la poêle à frire jusqu’à ce que la douleur s’accroche à à mon bras jusqu’à l’épaule. Plutôt m’énerver sur la batterie de cuisine que d’exploser devant elle ! Alors Clytemnestra se rapproche. Son épaule contre la mienne, un baiser du bout des lèvres sur ma tempe furieuse. Elle m’ôte les mains de l’évier. Je lâche la poêle innocente, en piqué dans les bulles, dans un geyser d’éclaboussures. Je n’ai plus que l’éponge en main, crachant l’écume sous les pressions de mon poing enragé. Les bras de Clytemnestra enserrent ma poitrine en mode camisole de force. Dans son étreinte capitonnée, je peux me cogner la tête tant que je veux sans craindre de me faire mal.

Mes yeux coulent, mes mains tremblent.

« Ne me lâche pas. »

— La casserole ne t’a rien fait, dit-elle en reculant. Si tu veux passer tes nerfs, frappe-moi.

« Pardon ? »

« Frappe-moi. »

Ses pupilles émeraudes me tiennent et insistent. Aucune fuite possible. Cependant, aussi vives que soient mes sautes d’humeur, je ne me crois pas capable de diriger cette colère contre elle. Après tout, Peau de pingouin n’a rien fait de mal. C’est moi le problème. Mon ego fragile replié sur lui-même en mode hérisson.

Je presse doucement l’éponge contre sa joue. Clytemnestra ne bronche pas, même quand le savon lui coule le long du cou. Son sérieux contrôlé m’arrache un petit rire. Merde, elle m’a eue.

— C’est tout ?

« Je ne veux pas t’abîmer. »

Je ponctue l’affirmation par un baiser, moins sexy qu’escompté. Clytemnestra s’en fout. Elle me plaque contre l’évier et m’embrasse à pleine bouche L’éponge bave sur mon short. Je suis trempée, je boue. Elle me laisse respirer. Pas vraiment, juste histoire de dégainer le sourire ravageur.

— J’ai mis mon maillot de bain.

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