25) Corps célestes

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Il a suffi d’une phrase.

— Je peux rester dormir ?

J’ai tout de suite su que nous ne dormirions pas.

Puisque j’étais déjà nue, j’ai attaqué d’emblée, attrapé au vol la main qui me complimentait et l’ai appuyée contre mon sein. Ses doigts se sont arrimés à ma peau, le pouce a poussé le téton. Elle avait trouvé mon interrupteur et moi j’étais finie… aveugle… liquide… Un aller simple pour Uranus, dont elle traçait les anneaux du coin de l’ongle autour de l’aréole.

Je l’ai embrassée jusqu’à l’asphyxie, jusqu’à ne plus savoir quelle langue m’appartenait. Elle était encore une fois mon instant hors du monde et, dans cet ailleurs suspendu, j’étais un morceau d’elle : belle et forte.

Clytemnestra m’a demandé :

— C’est laquelle ta chambre ?

On a couru jusqu’à l’étage, moi en serviette de bain, elle déjà prête à se déboutonner. Et, comme je n’avais toujours pas choisi de chambre, j’ai ouvert la première porte. Clytemnestra a fusé sur l’ancien lit de maman – le plus large de la maison, à l’édredon si moelleux qu’on pourrait s’y noyer. Elle m’a encouragée de son rire le plus solaire en balançant sa chemise. Décidément, elle n’aura pas été longtemps habillée pour Woodstock.

Je me perds dans l’odeur du shampoing coco, dans ses baisers salés, sous la pression de ses cuisses qui m’enserrent les hanches. Ses mains rampent sur mon crâne. Les miennes remontent ses jambes jusqu’à ses fesses froides.

Clytemnestra calme le jeu.

— Attends. On a besoin d’un signal… un stop.

Heureusement, en bonne addicte des compétences, elle connaît aussi le morse. Elle prend le temps de m’enseigner quelques lettres : S pour « stop », C pour « continue ». Nous nous tapotons les épaules, omoplates, dessus de mains, juste pour s’assurer que l’on se fait comprendre.

— OK... Parée au décollage ?

Je pouffe. Qui sort des beauferies pareilles ? Elle semble fière de sa connerie.

Même dans ces moments-là, Cly refuse d’être sérieuse, d’agir comme on l’attend. Elle n’a pas peur d’être drôle, pas peur que mon rire l’emporte sur mon désir. Ou peut-être est-ce sa façon de conjurer le stress.

Je la veux de toutes mes forces. Je prie que ses doigts remettent feu à mes seins. Sous mon silence sidéral, toutes mes entrailles crient après elle. Alors pourquoi se cherche-t-on dans d’éternels effleurements, sans oser se risquer en contrées érogènes ? Son index étudie la trajectoire : de ma bouche entrouverte, sur mon torse encore humide, vers le bassin qui frémit. J’espère chaque caresse autant que je la redoute. Main plaquée sur son ventre, je descends timidement jusqu’à son sous-vêtement. Mon cœur détraqué fait trembler jusqu’au bout de mes doigts.

Séparation de la fusée : Clytemnestra laisse tomber le bas. Aussi précise qu’une mise en orbite, sa bouche cible chaque centimètre de ma peau où ses baisers laisseront une explosion béate. Mes battements s’accélèrent, vitesse de la lumière. Mon cœur est une horloge, arrachée au temps par le vide cosmique ; les aiguilles tournoient dans un tic-tac tic-tac sans cesse plus affolé.

Nos membres s’agrippent et se débattent dans un étrange ballet d’attraction-répulsion. Je l’embrasse avec les dents, elle s’écarte puis me rappelle.

Continue.

Sa salive s’infiltre en cascade sur mes papilles ; elle a le goût âcre du café froid.

Stop.

Je rembraye tout de suite, les lèvres à la dérive sur son buste haletant, sondant de la main le creux de ses hanches. Calquée sur mes mouvements, elle tend son avant-bras contre mes parties intimes. Nos corps célestes se percutent. Je pleus des étoiles aqueuses, étale à même sa peau mon improbable voie lactée.

Mains sur ma taille, elle descend pour cueillir de sa langue les astres échoués. Big-bang dans mon bas-ventre. Une nuée d’étoiles filantes s’impriment à mes rétines, tout vire au flou, et je plane. Je lâche prise. Complètement. En mode pilote automatique, je m’abandonne à ses turbulences. À chaque pression, l’impact d’un météore me brûle les chairs – jouissance épileptique sous la tempête d’astéroïdes.

Nous sommes une comète.

Une traînée enflammée.

Un grondement de joie du fond des temps.

Continue.

Je l’aspire, la refoule, la submerge à nouveau, une vague cosmique après l’autre. Je repense à la mer, sensuelle, comme elle me l’a décrite. Puis sa main se rétracte, machine arrière, comme un film qu’on rembobine. Elle la ramène à elle et me laisse vide…

Continue.

Trois baisers sur le front répondent à ma supplique : court, court, court. Stop.

Je l’interroge du regard, devinant à peine ses lèvres dans l’obscurité. Clytemnestra allume la lampe de chevet.

— Tu commences à saigner.

« Déjà ? … Tu en as mis combien ? »

Elle lève l’index encore luisant.

— On arrête là pour ce soir, d’accord ? Je ne veux pas te faire mal.

« Et toi ? »

— On n’est pas pressées. On peut le refaire demain, après-demain, ou pendant des années, tant que tu voudras de moi.

Sur l’instant, je la crois. Je m’imagine, dans dix ans, me réveiller près d’elle après une nuit torride. Ai-je le droit de rêver ? Ai-je le droit de me projeter aussi loin avec quelqu’un que je viens de rencontrer ?

« Toutes les histoires commencent un jour » : c’est ce que tu m’as écrit, une fois où j’avais l’impression que rien de ce que je faisais ne me mènerait nulle part. Peut-être que la nôtre commence aujourd’hui. Peut-être pas. Il suffit d’y croire pour le savoir. Si j’espère rester auprès d’elle encore une décennie, peut-être y serons-nous avant de nous en rendre compte.

La nuit est encore longue et le sommeil joue à cache-cache. Le temps s’égraine au ralenti, dans une agitation ponctuée de câlins. Quand l’une ou l’autre ne se lève pas pour aller faire pipi, une fringale nous fait descendre en cuisine, terminer les restes d’arancini, ouvrir une boîte de raviolis.

Nous en revenons toujours au même point : nues et noyées dans l’édredon. Accrochées, collées, serrées, lovées, comme si le moindre début de distance risquait de nous éloigner pour un millénaire.

En fœtus derrière moi, Clytemnestra s’amuse à parsemer le haut de mon dos de messages-baisers. Il me faut dégainer le téléphone pour décrypter ce que la selkie souffle en morse.

CES JOURS

SONT

ÉTERNELS.

JE T’AIME.

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