Chapitre 30: Le Sabbat partie II

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Pierre d’Ambroise, sabbat des quatre covens proche de Cologneux

Le nuage sombre et puissant s’abattit alors avec force sur le groupe de Pierre. Mais au lieu de les emporter, il fut arrêté par une sorte de bouclier blanc. Un dôme entourait à présent la troupe et le nuage semblait attaquer la défense magique. Des éclairs d'énergie et des crépitements provenaient de ces deux entités qui luttaient. Le groupe au complet observait, médusé, le spectacle irréel qui se déroulait autour d’eux. Tournant la tête vers la sorcière qui lui tenait toujours la main, Pierre pouvait voir ses yeux fermés et l’état de concentration dans lequel elle était plongée. Son visage était figé en partie, et seules ses lèvres semblaient bouger. Usant d’un dialecte comparable à celui des sorcières du sabbat, Lise contrôlait la protection.

Des arcs lumineux traversaient la couche du bouclier blanc au-dessus de leurs têtes. La protection magique qui les sauvegardait paraissait pourtant baisser en intensité. La lumière vive qui en émanait depuis le début s’estompait et le nuage noir prenait quant à lui plus d’importance. Le dôme qui protégeait encore le groupe dans sa globalité avait commencé à bouger et se réduisit, sans crier gare, d'une partie non négligeable sur les bords. Les quelques malheureux qui s’y trouvaient furent happés par le nuage qui les fit disparaître, ne laissant d’eux que leurs cris étouffés. Devant cette triste vision, le reste du groupe se resserra pour rester au coeur de l'espace qui ne cessait de se réduire.

La situation changea peu à peu et le dôme se figea. Immobile, Pierre observait le nuage noir qui faiblissait. La fumée, dense et sombre, se dissipa peu à peu, de manière presque imperceptible. Le ciel et les alentours furent à nouveau visibles par la troupe. Tous laissèrent échapper un souffle de répit. Mais cela n’était qu'illusoire, les hommes des clans étaient toujours en face du groupe, n’attendant que les ordres des “dames” pour frapper. Les acolytes, toujours en rangs serré, étaient prêts à faire face aux assauts. Lise après avoir utilisé dans ce sort était presque évanouie. Le jeune seigneur la retenait tout en fixant les sorcières qui se préparaient à réitérer leur attaque.

L’une des quatre meneuses, l’une des “dames”, s'éleva à son tour dans les airs. Agissant comme son homologue plus tôt, elle se concentrait, mais au moment de lancer son sort, s'arrêta brusquement, à la grande surprise des covens. Un carreau semblait l’avoir traversée. Passant ses mains sur le projectile qui l’avait transpercée par derrière, elle s'écroula au sol. Le projectile n’était pas isolé et bientôt de nombreux autres vinrent frapper la congrégation par l’arrière.

Les sorcières, qui étaient encore au centre de leur lieu impie, se mirent à couvert derrière les stèles, tandis que certaines d’entre elles appelaient les hommes des clans. Ces derniers, perdus par la brusque tournure des choses, commencèrent en partie à bouger.

Des formes firent leur apparition à l’orée du bois d’où provenaient les projectiles. En réaction, les hommes des clans faisaient à présent mouvement dans leur direction. Les nouveaux arrivants en nombre commencèrent alors à charger en direction du lieu du sabbat. Les deux groupes de combattants entrèrent en contact et l’affrontement débuta. À présent, éclairés par les lieux, les nouveaux arrivants étaient visibles, leur équipement était presque identique à celui des acolytes de Kreisth. Tandis que Pierre observait, le combat débuta à l’opposé de leur position et il entendit l’inquisiteur parler.

— On dirait qu’un de mes homologues nous fait l’honneur de participer à ce combat. Alors messieurs ? dit-il en s’adressant à ses combattants. Que faites-vous encore figés comme des statues ? Ne faisons pas plus attendre les clans! !

Les acolytes de Kreisth, dans un sursaut d’orgueil, réagirent à ces mots et chargèrent les hommes des clans restants. L’affrontement fut brutal et les forces des clans perdirent du terrain tout autour de l'édifice impie. Pierre quant à lui observait la scène, immobile. Lise était toujours évanouie et il devait la protéger. Elle les avait sauvés d’une mort certaine et ce n’était pas la première fois.

Le combat fut acharné. Pris en étau les hommes des clans et les sorcières combattaient côte à côte avec toute l'énergie de leur occulte affiliation. La magie et le désespoir des hommes des clans tuèrent nombre de combattants. Les acolytes de l’inquisition avançaient toutefois de manière implacable et les pertes des covens commençaient à être élevées. Certains tentèrent de fuir les lieux mais étaient tués par des projectiles quand ce n’était pas par la magie des sorcières. Les trois “dames” restantes furent bientôt rejointes par les survivants des covens et formèrent un dernier carré autour du monolithe central des lieux. De nombreux combattants de l’inquisition furent emportés par leur sort, mais pour finir, les soldats menés par leurs deux inquisiteurs ne firent pas de quartier et les sorcières périrent pour la plupart sous leurs lames.

Kreisth, qui voyait ses hommes courser les quelques fuyards, chercha alors le nouvel inquisiteur qui avait rejoint le combat. Les dépouilles gisaient en nombre à présent sur les lieux. Les acolytes de l’inquisition vérifiaient les corps et les quelques malheureux qui n’étaient pas encore morts furent emportés par un rapide coup de lame. Les dépouilles des sorcières étaient rassemblées non loin du second inquisiteur que Kreisth ne manqua pas de reconnaître, même de dos.

— Saint-Chammont, j’aimerais dire que c'est un plaisir de vous voir mais par respect je vous remercierai juste de votre action.

L’homme d’une stature moyenne se retourna. Vêtu simplement des accoutrements de sa fonction comme Kreisth, mais de manière encore plus anonyme. Il se mouvait avec une imposante et antique épée longue dont le tranchant ne devait effrayer personne. L’arme était ici utilisée à des fins de déplacement plutôt qu'au combat en lui-même. Mais la chose la plus atypique était le bandeau qui cachait les yeux de l’inquisiteur et qui entourait sa tête.

— Ah ! Thadeus Kreisth, je me disais bien que je percevais votre présence sur ce lieu impie.

— Attention à vos paroles, dit Kreisth en rigolant. Un peu plus et on pourrait vous accuser d’user de quelque sorcellerie. Je dirais bien que c'est un plaisir, mais aucun de nous n’est assez sot pour le croire.

— Je vous le concède, mon cher. Les Sauveurs eux-même ont veillé sur vous, bien étrangement.

— Venant de vous, je le prends comme un compliment. Mais comment avez-vous fait pour vous retrouver ici ? Vous n'étiez pas en prise avec des égarés au nord, au royaume d’Argan? ?

— L'hérésie Arganienne n'était pas un danger si important finalement. Ces dissidents ont connu les bûchers rédempteurs sous le regard de leur roi. Ce bon Cuthred a été d’une grande aide.

— Il a agi comme tout bon croyant, mais cela ne répond pas totalement à ma question.

— C'est vrai, pour tout vous dire lors des combats qui m’ont opposé à ces hérétiques, j’ai fait la désagréable rencontre du pacte. Des ramifications de leur organisation étaient fermement implantées en Argan et cela n’a fait qu’accroître l’hérésie locale. Lors d’une fouille de leur cache, mes hommes ont déniché des informations en lien avec certaines autres activités de leur groupe. Ces papiers à moitié brûlés mentionnent le Corvin et les sorcières. Ayant fait mon office en Argan, je me suis dit que la suite des choses s’imposait d'elle-même. Je savais que vous enquêtiez dans le royaume, alors je ne me suis pas annoncé en cas de fausses informations.

— En tout cas, je vous remercie, Saint-Chammont. J’ai moi-même dû faire face à un groupe du pacte récemment. Ils ont clairsemé nos rangs et, sans votre appui, je crois que notre sort aurait été fixé. Les sorcières du “domaine des dames” n’ont que trop nargué l’Église et le royaume. Il était important de mettre fin à leurs agissements.

— Mais vous oubliez une chose, Kreisth, notre travail sera fini uniquement lorsque la dernière des sorcières sera brûlée, pas avant. Certaines ont pris la fuite et si je ne me trompe pas, je sens l’une d’entre elles encore vivante et bien proche, dit-il en faisant un geste de la main.

Les hommes de Saint-Chammont se dirigèrent alors vers la seule femme vivante des lieux. Lise qui tenait à peine debout les regardait avec peur. Mais les hommes de Kreisth autour s’interposèrent fermement.

— À quoi cela rime-t-il, Kreisth, vous vous mettez à protéger des sorcières, maintenant ?

Souriant d'un air mauvais, Kreisth observait les deux groupes d’acolytes se fixer dans une ambiance tendue.

— Si je puis me permettre, mes fonctions me permettent de protéger quiconque je juge important à ma sainte tâche. Et, il se trouve que cette jeune fille est actuellement sous ma protection.

— Nous voilà dans une impasse comme souvent avec les inquisiteurs de votre engeance. C’est bien là les agissements des Mutationes. Vos préceptes frisent l'impiété. Vous me donnez là plus de preuve de votre incompétence.

— Et vous, mon cher Saint-Chammont, vous n'êtes qu’un boucher qui travestit ses actes barbares en les masquant d'une œuvre pieuse. Lequel de nous d’eux est le plus loin des préceptes de notre sainte Église ?

— Bien, poursuivit Saint-Chammont en faisant un nouveau signe. Vous pouvez partir avec votre sorcière. Mais sachez une chose, vous ne continuerez pas longtemps si vous agissez avec autant de clémence. Nous allons nous occuper des dépouilles, vous pouvez repartir, Kreisth, nous nous chargeons du reste.

— Saint-Chammont, dit Kreisth comme salut en faisant signe à ses hommes de partir.

Le groupe de l’inquisiteur se mit en marche pour retrouver ses montures et quitter ce lieu maudit. Mais Saint-Chammont, sentant le groupe partir, ne se priva pas de lancer un dernier pic.

— Ah, jeune fille, priez les sauveurs de ne jamais recroiser ma route. Je ne serai pas aussi clément, moi.

Le groupe de Kreisth, qui marchait à présent en direction du bois, progressait dans un certain silence. L’inquisiteur fermait la marche juste derrière les deux jeunes gens de la troupe. Lorsque les premiers acolytes s’enfoncèrent dans la forêt, Kreisth s’arrêta et observa la scène. Les hommes de Saint-Chammont allumaient des feux pour les corps et un grand nombre de personnes s’activaient autour des édifices impies. Des cordes étaient attachées aux hautes stèles et par groupe les acolytes les faisaient chavirer. Pierre, qui avait senti l’inquisiteur s’arrêter, se retourna à son tour.

— Je voulais vous remercier pour votre geste envers Lise, commença-t-il.

— Il n’y a vraiment pas de quoi, pour dire vrai, les hommes l’auraient de toute façon protégée. Après tout, elle les a sauvés. Je ne savais pas qu’elle était aussi puissante pour tout vous dire. C'est un risque de la laisser libre, mais elle a agi pour le bien et tant qu’elle le fera elle n’aura pas à me craindre.

— Cependant elle en aura d'autres à craindre, qui est cet inquisiteur avec qui vous avez parlé ? Et qu’est-ce qu’est les “Mutationes”.

— Saint-Chammont est un inquisiteur dit puritain, traditionaliste. Pour lui, le moindre écart est taxé d'impiété, et passible de mort. Pour ma part, je fais partie de la branche plus réformatrice de l’inquisition. Une branche radicale qui ne voit pas le monde comme tout noir ou tout blanc.

— D'où votre comportement avec nous,. Est-ce que les membres de votre branche font tous partie de l’ordre des Veilleurs? ?

— Vous avez un esprit vif, jeune seigneur. Pour tout vous dire, les Mutationes est la branche inquisitoriale créée par l’ordre même.

— Je vois.

— Bon, quittons ce lieu. Votre amie a besoin de reprendre des forces. Que prévoyez-vous de faire à présent ? Vous comptez vous en tenir à votre plan initial et rejoindre Périssier? ?

— Cela me semble la seule chose sensée à faire en ce moment.

— Alors nous aurons tout le temps de converser, dit Kreisth en souriant.

— Vous nous accompagnez au sud ?

— Je dois parler de ce qui s’est passé au représentant de l'ordre dans le royaume et à l'endroit même où vous vous dirigez . Donc pourquoi ne pas faire la route ensemble? ?

Les deux hommes quittèrent alors les lieux et rattrapèrent le groupe. Le voyage vers Périsser pouvait enfin reprendre.

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