Chapitre 33: Le vrai visage de la guerre

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Charles Gaillot, camp de siège du Bourg de Roussons

Tout commença par un bruit strident, une odeur inconnue et un tremblement de terre plus qu’inhabituel. S’en était suivie une grouillante agitation dans tout le camp de l’armée de siège. Charles, qui était assoupi dans sa tente, se réveilla en sursaut. La nuit était encore bien présente et la pénombre de sa tente ne l’aida guère à se reperer quand il se leva pour atteindre l’entrée. Écartant les pans de la tente, il observa l'effervescence qui régnait dans le camp étrangement éclairé à cette heure tardive. De nombreux combattants couraient en tous sens. Certains désignaient la ville de Roussons au loin, alors le regard de Charles s'y porta. Les flammes qui éclairaient la nuit n'étaient pas celles des feux grégeois recouvrant les murs mais bien celles d'un important brasier ardent, au loin, qui illuminait la nuit. Un brasier dont la fumée prenait des tons étranges. Se frottant les yeux, Charles ne pouvait définir la couleur changeante de celle-ci. Aussitôt les tambours battirent le rassemblement des troupes de l’armée nordienne.

Au petit matin, dès les premières lueurs de l’aube, de nombreuses troupes, en bon ordre, se tenaient dans les innombrables tranchées, protections et parapets du camp de siège. Face à eux, était érigé le mur meurtri du bourg. Un trou béant prenait place à présent en son centre. La défense éventrée était occupée par la milice de la ville, qui attendait de pied ferme, l'assaut imminent. Pour eux, leur dernière chance résidait dans la protection de la brèche. D’une manière ou d’une autre, le siège allait se conclure. Les deux forces combattantes se dévisageaient à bonne distance dans une ambiance stressante.

Tout changea quand les cors sonnèrent le début des hostilités. Les armes de siège, arbalètes et autres projectiles, s’abattirent sur les défenses de la ville. Charles et les troupes d’avant-garde observaient la pluie mortelle qui obscurcissait le ciel. Tandis que les tirs tenaient la milice occupée, les troupes de siège sortirent de leur défense pour s’avancer sur le champ, face aux murailles. Les combattants avançaient en rang serré, dans un lourd cliquetis d'armures audible. Ils se rapprochaient de la brèche au son des tambours qui rythmaient leur progression. Lorsque la grêle de projectiles commença à faiblir, les assaillants se mirent à courir pour atteindre les murailles dans un déluge de cris.

Les troupes de la ville n’avaient pas disparu, au contraire, elles sortirent de leur couvert et accueillirent les nordiens avec leurs propres projectiles. Ceux-ci s'abattaient sur les attaquants dans leur course effrénée. Les hommes autour de Charles étaient fauchés et nombreux furent ceux qui n’atteignirent pas le monticule de roche qui avait jadis constitué la muraille. Charles, parmi les hommes de tête, grimpait de toutes ses forces malgré les plaques d’armures qu’il portait. Le casque qui couvrait son visage limitait sa vision et sa respiration. Chaque pas sur ces pentes abruptes lui demandait un effort conséquent. Sa respiration résonnait dans son heaume et, bientôt, il fut nez à nez avec les troupes de la milice.

Après le déluge de projectiles, c'étaient les armes contondantes qui entraient en jeu. Les combattants rentrèrent violemment en collision et la lutte commença. Les deux camps formèrent bientôt deux lignes qui se disputaient le sommet de la butte de roches avec violence. La milice se battait avec l'énergie du désespoir, tandis que les guerriers du nord combattaient avec la brutalité et la hargne d’en finir, d’en finir avec ce siège déjà coûteux en hommes.

Le casque de Charles le coupait de ce qui se passait autour de lui, de la réalité. Entre sa respiration, les hurlements et les bruits des armes, son esprit était surchargé par toutes ces informations. Par la fine visière, Charles voyait le visage des hommes qu’il combattait. Les coups portés par chacun étaient puissants, tous savaient qu’aucun quartier ne serait accordé. C’était dorénavent une lutte à mort pour le contrôle de la brèche. Les archers des murailles faisaient pleuvoir leurs projectiles sur la masse grouillante, en contrebas. Certains tireurs étaient toutefois fauchés par les carreaux des arbalétriers du nord.

Charles, isolé dans son armure, n’avait qu’un objectif, avancer, progresser. Dans son sillage, les corps commençaient à s’amonceler et sa fatigue devint de plus en plus pesante. Chaque coup devenait plus dur à porter à chaque instant. Ses bras étaient tétanisés et sa gorge semblait bouillir de l'intérieur. Mais nul repos ne pouvait être pris. Il se tenait au sommet de la butte, la ligne des miliciens, elle, commençait à céder à certains endroits. Ils reculaient tandis que les troupes du nord commençaient à progresser sur un tapis de corps. Bientôt, les troupes de siège mirent pied dans la ville et repoussèrent les défenseurs de la muraille. Certains commençaient à fuir tandis que de nombreux autres mouraient des lames des nordiens. Les ordres avant l'assaut avaient été clairs. La ville allait être mise à sac pour faire payer aux habitants rousonnois leur défiance envers le roi et les faire payer leur fidélité à Anaïs. Charles progressait dans les rues, accompagné par la masse de soldats qui envahissait la place, tel un raz de marée.

Les combattants de la ville étaient abattus les uns après les autres. Les portes des maisons étaient forcées et les torches, elles, volaient en tous sens. Charles, qui était maintenant sur la rue principale, luttait contre les derniers groupes de résistants et de fuyards. Tandis qu’il poursuivait un homme, il fut arrêté net. Une arme vint finir sa course contre son casque. Le choc fut rude et, sous l’impact, Charles fut mis à terre. Son corps était presque éteint par la violence de l'attaque et, pendant qu’il cherchait à reprendre son souffle au sol, il sentait sa lucidité le quitter peu à peu. Tandis que son regard s'obscurcissait, il vit un des miliciens s’approcher de lui, une dague à la main. L’homme n’eut cependant pas la satisfaction de l’achever et fut emporté par un carreau d’arbalète. Charles, qui avait pu discerner la fin de l’action, perdit connaissance.

L'existence de Charles se rappela durement à lui et, en un instant, il reprit connaissance. Une douleur lancinante lui prenait la tête et un acouphène puissant le faisait souffrir. Son casque, encore attaché, lui donnait l’impression d'être emprisonné, enfermé dans cette douleur. Il se releva alors, malgré son corps douloureux, et défit les attaches de son heaume. Ce dernier fut lâché au sol, sur lequel il s’écrasa sans bruit. La boue avait retenu la pièce d’acier et le recouvrait à présent de sa couleur brune. D’une couleur brune… et rouge sombre.

La vision de Charles lui revenait peu à peu et il regardait autour de lui. La rue dans laquelle il avait couru n’avait plus rien à voir avec ses souvenirs. Combien de temps avait-il été absent ? Les maisons brûlaient en nombre. Le ciel obscurci par une épaisse couche noire cachait la ville et le spectacle qu’elle offrait. Des cris de personnes apeurées ou souffrantes déchiraient les lieux. Des groupes de soldats, un sourire carnassier aux lèvres, trainaient des citoyens qui s’accrochaient de toute leur force à leur vie. Ils furent alors alignés et exécutés sans la moindre hésitation. La respiration coupée par le choc de cette vision, Charles était pétrifié. Sans un mot et le regard perdu, le jeune homme se mit à avancer, observant de loin les guerriers de son armée laisser libre cours à leurs envies meurtrières. Plus loin, il vit une pile de cadavres.

Les corps d’hommes, marqués et défigurés, gisaient sur les corps de femmes qu’ils avaient sûrement essayé de protéger. Dans l'intolérable scène de mort et de carnage, des mères sans vie serraient des enfants dans leurs bras, autrefois protecteurs. Les familles gisaient là, côtoyant de parfaits inconnus, tous liés par leur tragique destin. Leur sang coulait avec abondance sur le sol et se mélangeait à la boue pour former une patée étrange et repoussant. Charles, qui observait le charnier, sentit son corps assailli par des sensations déroutantes. Pas de joie, ni d’excitation, mais plutôt du dégoût, un profond dégoût. Un dégoût profond de l’homme et de tout ce qui poussait à la guerre.

Des larmes brouillaient sa vue. À chaque fois qu'il détachait son regard de la sinistre scène, il sentait les yeux des morts grands ouverts l’observer, le juger. La vie humaine avait si peu d’importance, comment la vie de tant de personnes avait pu se terminer ainsi ? La nausée le secoua alors. Il se pencha pour vomir, comme pour rejeter son implication, son acceptation dans ce qui venait d'arriver. Quelle folie pouvait pousser les hommes à cela, quelle folie pouvait pousser les citoyens d’un même royaume à s'entre-tuer ? Était-il dans le bon camp, était-il lui-même encore quelqu'un de bien malgré sa présence dans l'assaut et le carnage qui s’en était suivi ? Charles était dorénavent bien loin des récits chevaleresques des contes qui avaient bercé son enfance. Pourtant cette période n’était pas si lointaine que ça.

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