Chapitre 61 : Les troupes des Gaillots

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Charles Gaillot

9e jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Routes du royaume ; après la prière des Complies

Royaume du Corvin

— ALLEZ ! Poussez donc tout ça, on ne va pas y mettre la journée… dit Odger du haut de son destrier en un ton autoritaire qui reflétait son irritation.

Il était préoccupé et réagir de la sorte était compréhensible en vue de la situation. Des enjeux qui prenaient le royaume et ses occupants.

Ses hommes, ceux loyaux à la famille Gaillot, étaient en prise avec un lourd chariot. Ce dernier chargé plus que de raison, c’était enfoncé dans le meuble sol de la route et ses roues malgré les efforts des soldats ne bougeaient pas d’un pouce.

Ce transport était à présent ce qui composait toute la vie de plus de trois familles. Les pauvres hères déplacés par la guerre attendaient là, sur le bas coté en observant les soldats se démener pour libérer la voie et leur précieux chargement.

Charles, qui se tenait à côté d’Odger, observait la chose se dérouler sous ses yeux. Mais plus encore, il observait les simples gens du royaume qui avaient dû fuir la guerre qui faisait rage plus au sud.

Il pouvait voir leurs regards vides, leurs vêtements sales et bien évidemment leur apparente fatigue.

— ALLEZ ! rugit de nouveau Odger et en un grincement bien audible les roues du transport quittèrent leur prison de boue en laissant une longue tranchée dans le sol en n’oubliant pas d’emporter dans le mouvement les soldats qui avaient poussé le chariot.

Certains juraient en se relevant tandis que d’autres blasphémaient sur les Sauveurs à présent tous couvert de boue.

Souriant de la bonne fin qu’avait pris toute l’opération, Odger fut assailli par les voyageurs qui se confondaient en remerciement.

Pour ces gens, Odger et Charles venaient de sauver le peu de biens qui leur restaient de manière bien altruiste. Mais en réalité, ils n’avaient fait que dégager la route pour les troupes qui allaient arriver sous peu.

Le réel n’était souvent pas aussi beau qu’on l’aurait voulu.

Quittant les deux jeunes nobles et leurs quelques soldats, les propriétaires du chariot reprirent leurs routes en fouettant les bœufs tous aussi exténués qu’eux pour les motiver à faire avancer leur transport. Les quelques enfants en bas âge du groupe avaient quant à eux pris place sur la montagne d’objet de l’engin en quittant les lieux en de grands signes de remerciements.

Ces « réfugiés » n’étaient pas les premiers qu’ils avaient croisés sur la route. À vrai dire, plus Charles et Odger s’approchaient de leur destination, plus ce genre de rencontre était courante.

Ces gens fuyaient précisément l’endroit que Charles et Odger cherchaient à rejoindre. Ils étaient là tel un avertissement divin ou un triste hasard du destin leur rappelant la malheureuse tournure des choses et les dangers qui les attendaient au tournant.

Alors que les hommes d’armes qui avaient aidé les familles et leurs précieux chariots montaient à nouveau en selle, Charles tourna sa tête vers la suite de la route.

La voie serpentait jusqu’à une colline et sur cette dernière, au loin, se tenaient deux formes sous un arbre.

C’était celles de deux combattants en cape qui agrippaient leurs longues lances à fanions qui virevoltaient face au vent. Les deux éclaireurs se tenaient ainsi en amont sur la route, en attente des deux nobles sous le couvert du grand arbre.

Agitant les rênes de sa monture, Charles se mit à les rejoindre bientôt suivis d’Odger et du reste des hommes présents.

Observant le sourire qui prenait le visage d’Odger, Charles se mit à briser le silence qui avait pris.

— On dirait un simplet…

Et tandis que ledit sourire s’évaporait, Odger reprit.

— Par les trois, mais qu’est ce que tu as donc avec mon sourire, ton humeur se dégrade plus vite que le temps… Si on ne peut même plus être amusé ou heureux du peu de bien qu’il y a en ces temps à quoi bon continuer.

— Te voilà bien sérieux tout d’un coup.

— Vous aussi, Mon seigneur.

Et tout deux sourirent.

— Ceux qu’on croise, commença Odger.

— Les fuyards ?

— Oui, ils se rapprochent plus de fantômes que de sujets heureux du royaume.

— Ainsi va la guerre Od.

— Je sais, en tout cas, vous avez fait le bon choix, on dirait.

— À quel sujet.

— Voyons, fit Odger en le fixant comme si sa phrase se suffisait à elle-même. Les hommes que tu as laissés à Roncenois. Ils éviteront à nos gens de finir comme eux à cause des brigands et autres coupes jarrets qui sévicent.

— Quelle maison laisserait ses terres sans défense ?

— Et bien les ordres de votre père allaient en ce sens.

— Hum… Après tout, ces ordres n’étaient pas tout à fait clairs non ? fit Charles qui semblait manier aussi bien les mots que les ordres de son père.

— Avec un peu de chance, il sera trop occupé au conseil de guerre de notre cher roi. C’est le Cardinal qui ne va pas apprécier de nous voir arriver moins nombreux qu'escompté.

— Qu’il soit courroucé celui-là. De toute façon, je ne l’aime pas.

— Qui ne l’aime pas a par notre bon roi !? On peut parler sans retenue ? Et au signe de tête de Charles, Odger continua. Ce pendard est rusé, mais la ruse va souvent de pair avec la sournoiserie. C'est Britius qui détient notre avenir pas le roi, il serait… Incongrue ou téméraire de vous faire remarquer par lui. En bien comme en mal.

— C'est vrai, mais il est tout aussi vrai que je ne suis point l’héritier des Gaillot alors je n’ai que faire de ce religieux qui se croit même supérieur en tout point à notre roi. Et surtout, je n’ai que faire de ses faveurs ou de son courroux.

— Un peu de chance dans ton malheur, enfin. Si on peut appeler ça un malheur, si tu veux, on peut toujours échanger nos familles et nos places.

— Et pourquoi pas, ta sœur est si agréable.

— Cette discussion devient dangereuse, pour toi.

— On dirait.

— En tout cas, je sais que personne ne se soucie de mon humble avis.

— Et bien-moi si.

— Tu es bien le seul, je pense que tu aurais fait un très bon seigneur. Ton frère aime un peu trop la guerre et le pouvoir à mon gout.

— Ces deux choses corrompent tout Od. Même les meilleurs.

— Quoi ! tu dis que ton frère est meilleur que toi ?

— Non.

— Ha, bon. Tu m’as presque fait peur.

— Toi peur !? Je ne pensais pas cela possible de ta part, les de Methière ne sont pas censés être de farouches guerriers ?

— Très drôle, si seulement tu maniais la lame comme les mots…

— Pourtant, le tournoi a montré que je savais me défendre. Tu sais, c'est plus difficile de manier les mots qu’une lame. Après un court instant de silence, Charles reprit. Tu as déjà pensé à ce qui va se dérouler bientôt ?

— Quoi, la bataille ?

— Oui.

— Tu es aguerri maintenant cela ne devrait pas te préoccuper à ce point.

— La peur n’est pas forcément une mauvaise chose, je ne suis pas comme ces païens du continent de glace qui ne jurent que par cet « art ». Si c’est un art.

— La peur aide à rester en vie, c'est vrai. Mais c'est autre chose qui te préoccupe. N’ai-je pas raison ?

— Il se dit que Pierre est encore en vie.

— Ha ! C'est donc cela. Je l’ai toujours apprécié et si c’est vrai qu’il soit en vie et du côté adverse, il vaudrait mieux pour lui de ne pas tomber sur nous.

— Pour lui ou pour nous ?

— Pour lui, c'est bien toi qui la vaincue ou tournoi de Fresson !

— Juste.

— Bon et bien il faudra recommencer et cette foi peut-être qu’après sa défaite, il sera gardé pour rançon.

—Ou pour être mis à mort, bien que ce soit la dernière chose que je souhaite.

— C’est une éventualité, mais ce ne sera pas de notre ressort. Les joies d’être cadet, n’oublie pas fit Odger d’un air taquin.

— Si toutes les familles amènent autant d’homme que nous, ce sera une bataille comme le royaume n’en a jamais vue.

— C'est ce qui s’appelle faire partie de l’histoire et ne t’inquiète pas, je m’assurais que tu ne sois pas marqué comme mort dans cette dernière.

— Ha, ha ha articula lentement Charles. Arrive à me battre et on reparlera de qui protège qui. En tout cas, fit-il en s’éclaircissant la voix, je suis content de t’avoir à mes côtés pour ce combat.

— C'est-là qu’est ma place, et entre nous je préfère vous servir-vous que votre frère.

— Je ne sais comment prendre ça.

— Prenez-le bien, je suis content d’être à vos côtés. S’est tout.

Alors qu’ils approchaient enfin des deux cavaliers qui avaient été envoyés plus en avant en tant qu’éclaireurs, Charles observa l’arbre qui les couvrait de son ombre.

Ce n’était là point une ombre protectrice en un été chaud et lumineux, mais bien une pénombre malsaine d’un arbre aux portes de l’hiver.

Le vénérable chêne d’une taille imposante avait encore de rares feuilles qui s’agrippaient à ses branches décharnées et ce qui attirait le plus la vue n’était pas ces dernières, mais bien les formes qui se balançaient elles aussi au gré du léger vent.

L’arbre de haute taille était agrémenté de toute sorte de corps pendus. Les branches étaient ainsi emplies de ces macabres décorations. La plupart des malheureux avaient encore un sac de jute sur le visage tandis que d’autres, la face bien visible, pour ce qui en restait, offraient un spectacle que Charles aurait préféré éviter de voir.

Les corps de tous sexe et âges confondus étaient rongé par les corbeaux ou la vermine et certaines traces plus importantes laissaient entendre que de dangereux monstres s’étaient aventurés hors de leurs sordides tanières pour se repaître ces morts.

Des pancartes pendaient sous les coups des personnes et Charles put discerner certaines phrases telle que :

Traître ou encore Servant de la fausse reine.

S’il n’avait pas été malade, à cause du froid, Charles aurait sûrement été repoussé par l’odeur infecte qui émanait à présent de l’arbre. Mais il était là, face à ce dernier et tandis qu’il fixait en une morbide attirance. Presque de manière hypnotique ces corps meurtris, Charles fut appelé par son cousin. Odger qui était juché sur son cheval lui montrait alors du doigt la forêt dont ils étaient sortis eux même il y a peu.

Un morne bois d’automne prenait place et de sa végétation mouvante apparaissait la colonne de combattants de la famille Gaillot.

Les cavaliers furent les premiers visibles. Des nobles pour la plupart qui voyageaient en tête de la troupe, suivie de prêt par de jeunes pages et de cavaliers de plus basses extractions qui portaient diverses bannières et autres étendards aux couleurs des familles inféodés aux Gaillots.

Vint ensuite les hommes à pied répartis en contingent de piétons entrecoupés par les chariots qui emportaient vivre, armes et armures des augustes nobles.

Tout ce petit monde avait fière allure. C’était là une troupe qui se suffisait en elle-même et qui aurait pu représenter un danger certain même pour des Bourg fortifiés. Pourtant, tous ces hommes allaient faire jonction avec de nombreux autres qui les attendaient à Roussons pour former l’armée du roi Léonard. Une armée comme le royaume en avait peu vue malgré l’allégeance unique du Haut Corvin.

Se tournant vers Odger qui admirait lui aussi le spectacle offert par cette troupe en arme, Charles fit attention à son cousin qui prit la parole.

— Voilà les épées du nord, nos adversaires ont du souci à se faire.

Et quand la troupe fut assez proche, Charles fit avancer son cheval pour reprendre la route bientôt suivie des hommes qui l’entouraient. Ils avaient encore du chemin à faire avant de rallier leur destination et la guerre qui les y attendait tous.

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