Chapitre 65 : Le pari de la reine

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Anaïs de Corvinus

1e jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Camp de la reine Anaïs ; après la prière des Laudes.

Royaume du Corvin

— Et donc, tu veux mettre Dugnon sur le flanc gauche plutôt qu’au centre de notre formation ? dit Folcard depuis la chaise qu’il occupait juste à l’entrée de la tente.

— C’est ça, répondit Anaïs cachée derrière la toile blanche qui couvrait l‘espace qu’elle occupait avec ses servantes. Protégé du reste de l’espace par ce fin tissu qui laissait seulement percevoir son ombre fixe derrière ce paravent de lin.

—C’est risqué si tu veux mon avis, enfin si tu y prêtes toujours attention.

— Bien sûr, fit Anaïs avec un ton de voix amicale comme pour rassurer Folcard. Et le sort de la bataille ne se jouera pas sur cette aile, la politique ne s’arrête pas au son des armes cher frère. Je dois faire au mieux avec ce que j’ai, ce cher Dugnon sera là ou ses « qualités » …

— Son incompétence !

— Seront les moins aptes à sévir.

— Si tu le dis, fit Folcard en picorant une dernière fois quelques graines dans le bol posé sur la petite table proche de lui.

Les dames de la reine étaient quant à elles toutes autour de leur souveraine, s’activant pour habiller leur monarque de son armure. Anaïs se tenait ainsi bien droite comme son éducation et son statut le lui commandait, mais cette fois-ci simplement contraint par la situation qui l’exigeait.

Elle avait déjà enfilé les couches de tissus et autres parties gambisonées de son apparat de guerre qui représentaient les parties les plus confortables de ses protections. Elles avaient été rapidement enfilées et à présent les petites mains de ses servantes portèrent à son corps les différentes pièces d’acier qui composaient son armure.

Et ces dernières étaient richement décorées.

Les jambières, grèves et autres canons d’avant-bras étaient finement ouvragés tandis que le plastron, lui, était peint d’une main de maître aux couleurs du royaume avec l’emblème familiale représenté en bonne place en son centre.

Alors qu’elle gardait un visage et des expressions plutôt neutres face à ses dames. Anaïs grimaça quand l’une d’elle sera trop fort l’attache de son plastron. Alors qu’elle se confondaient déjà en excuse, la reine lui fit bien vite oublier l’incident quand elle lui demanda d’amener ses gants.

Après tout ces femmes, ses servantes, n’étaient pas de simples anonymes qu’on pouvait congédier au premier incident. Elles venaient toutes des plus influentes familles nobles du royaume. Chacun menait ses pions dans les vastes jeux de pouvoirs du royaume et les femmes n’y faisaient pas exception. Elles se devaient de servir leur maison en plus de leur royaume. Voir le premier plus que le second.

Chacune des dames de la suite d’Anaïs étaient ainsi une presque agente de leur maison, une oreille bien ouverte sur le monde entourant la suzeraine. Anaïs avait choisi avec grand soin les heureuses élues qui avaient pu la rejoindre et elle n’était pas du genre à parler stratégie en leur présence. Tout du moins, elle contrôlait ce qu’elle disait à côté de ces aides, comme c’était le cas avec son frère qui attendait juste à côté.

— Tu ne m’a pas l’air convaincu, fit Anaïs qui avait enfin quitté le couvert de son paravent de tissus pour rejoindre son demi-frère.

— Hum, je ne dirais pas ça. Je suis sûr que tu as tes raisons comme d’habitude… Belle armure en tout cas, finit-il en se levant.

— Merci, lui répondit elle simplement en quittant la tente suivie de Folcard qui ne perdit pas un instant pour lui emboîter le pas.

Le camp était déjà en pleine effervescence, même sans communication officielle, l’armée savait qu’elle allait bientôt partir. Les informations étaient l’une des choses qui circulait le plus vite dans les rangs des soldats. Placé en bonne place entre le vin et les femmes de petites conditions bien évidemment.

Alors qu’elle progressait dans l’une des innombrables allées, entre les tentes occupées par ses soldats, Anaïs saluait d’un signe de tête les hommes qui s’agenouillaient sur son passage ou qui se limitaient aux simples révérences. C’étaient là les heureux élus qui croisaient le chemin de leur suzeraine. L’une des dernières occasions qu’ils avaient pour certains d’entre eux qui ne verraient pas la fin de la bataille à venir.

Malgré leurs sourires de façades, la reine pouvait sentir la tension qui prenait jusqu’au plus simple soldat de rang ou milicien. Mais durant son avancé le regard de la reine ne se posa sur aucun grand noble de son armée. Seulement quelques chevaliers et pages occupés à préparer leurs attirails.

Tous les grands décideurs du Sud devaient attendre la reine pour préparer la bataille et elle n’allait pas les faire patienter plus longtemps.

— Tu es bien silencieux, dit alors Anaïs à son frère qui marchait à côté d’elle. Ayant remarqué le silence peu commun de ce dernier.

— Quoi, fit-il avec une moue mit surpris mit amuser. Tu pensais que j’allais tout tenter pour te faire changer d’avis ?

— Quelque chose comme ça… Le temps assagit même les plus téméraires.

— C'est plutôt le fait que je sais une fois ton choix pris, qu’il est vain de vouloir te faire changer d’avis. Et tu n’es pas non plus une novice quant à l'art de la guerre.

— Une pointe de jalousie quant à mes tuteurs !?

— On peut dire ça, fit Folcard souriant face à l’idée. Mais tu comptes vraiment partir pour les plaines d’Ablancourt ?

— Je n’affronterai pas Léonard selon ses termes si c’est ta question.

— Un bon choix, mais ce n’est pas lui qui m’inquiète.

— Britius.

— Ce pendard est rusé, il nous aura préparé plus d’une surprise pour tirer avantage de l’affrontement.

— Nul craintes cher frère, nous avons nos propres atouts. Nos propres surprises, fit Anaïs en souriant à l’idée.

— Le chevalier rouge va devoir se surpasser. Comme tous nous hommes d’ailleurs. SI tu veux rallier les plaines d’Ablancourt, il va falloir se mettre en marche dès la fin du conseil.

— On dirait bien.

— Hum…

— Qui a-t-il ?

— Tu sais que je ne suis pas homme à me défiler.

— Ha bon !?

— On aurait peut-être dû attendre la fin de l’hiver pour attaquer. Nos troupes ne sont pas assez nombreuses. Quand bien même nos hommes soient supérieurs et motivés par leur juste cause, je ne pense pas la victoire à notre portée.

— Tu es trop pessimiste Folcard… D’où cela te vient-il, toi qui brûlait tant d’envie et de détermination quant à l’idée de croiser le fer avec ce félon de Léonard.

— Le recul, cette fois, c’est toi qui es trop confiante, miser sur les hommes de Praveen ou la compagnie Écarlate pour remporter la victoire est un pari bien dangereux. L’un comme l’autre.

— Il faut savoir parier gros pour gagner.

— Mais nos éclaireurs n'ont aucune nouvelle de ces fameuses troupes de l’est…

— Ils viendront.

— J’espère, cette confiance envers ce jeune nordien n’est pas mal placé s’est tout. Ambroise ? fit-il comme pour répondre à sa propre question. Cette confiance, ça vient de son père ?

— Tu le sais bien alors pourquoi poser la question ?

— Pour en être sûr, il faut que tu saches qu’il n’est pas Durand. Et qu’il est encore jeune.

— Tu me dis là de ne pas lui faire confiance…

— Nullement, enfin. De ne pas trop faire peser le poids de cette bataille sur ses épaules.

— Le plan est convenu. La stratégie posée, on verra bien comment tout cela va réagir face au champ de bataille.

— Bien dit.

— Et puis, il ne pourra faire pencher la balance uniquement par sa présence ou le petit nombre d’hommes qui l’apportera. Mais la surprise de son attaque, si elle se fait, sera dévastatrice pour l’armée adverse.

Folcard qui semblait se contenter de cette réponse par son visage et ses traits neutres se tut et continua d’avancer aux côtés d’Anaïs. Leur discussion les avait portés jusqu’au centre du camp, au cœur de la grouillante armée qui se préparait à lever le camp et Anaïs et Folcard arrivèrent alors en vue de la tente occupée par le conseil rapproché de la reine. Il y avait foule et toutes les familles nobles du Bas Corvin attendaient au coude-à-coude dans cet espace avec les quelques compagnies et bandes de mercenaires engagés pour la campagne.

Les soldats à l'entrée des lieux, les hommes composant la toute nouvelle garde royale, réagirent comme d’un seul homme face à l’approche d’Anaïs tandis que le héraut de la reine, Ernès, après s’être éclairci la voix annonçant ainsi la venue de la suzeraine. Chose qui fit cesser les pesantes discussions qui avaient régné jusqu’à présent.

— Messieurs, fit simplement Anaïs qui s’approcha du centre des lieux. Là où l'attention de tous, c’était porté. C’est un plaisir de vous voir tous rassemblé et c'est bon de voir que votre réputation de retardataire n’est que viles calomnies Sir Roffilac.

— Je n’aurais pas osé venir en retard à votre conseil, ma reine, fit l’intéressé tout sourire.

Et l’assemblé rigola légèrement face aux mots qui avaient apporté calme face l’atmosphère auparavant tendue.

— Bien, je vais donner l’ordre de marche aux hommes pour nous porter aux plaines d’Ablancourt.

Et l’annonce fut accueillie de bien des manières, tantôt étonnée. Tantôt confus. Et ne laissant pas à ses seigneurs le temps de digérer la nouvelle, Anaïs reprit.

— Je compte sous toute votre sollicitude pour presser vos hommes pour lever le camp au plus vite.

— Mais cela nous emmènerait loin de Roussons, a la même distance que nous occupons actuellement, s’aventura à dire le seigneur Lamognes.

— En effet, mais Léonard s’attend à nous voir venir le défier frontalement pour pouvoir reprendre Rousson dans la foulée.

— Ce qui serait des plus logiques, dit cette fois Veldim Roffilac.

— Or, nous n’avons pas assez d’hommes pour nous lancer tête baissée comme vous avez l’air de le concevoir mes seigneurs… Si nous rallions les plaines d’Ablancourt, nous serons sur le flanc de l’armée Nordienne.

Alors qu’il s’était tenu bien silencieux, en se frottant la joue plus par occupation que simple irritation, le seigneur Broges prit la parole à son tour.

— Cela nous mettrait en bonne disposition pour attaquer l’armée de Léonard et s’il nous repère avant il devra lancer son armée dans une marche forcée pour nous y intercepter…

— Exactement, fit la reine satisfaite par la conclusion de l’esprit rusé de Hughe Broges.

— Ce qui nous amène à cette question ma reine, reprit le seigneur Roffilac. Qu’elle disposition prendre sur ce terrain en grande partie dégagé ?

S’avancent aux côtés de sa sœur, Folcard prit cette fois la parole.

— Un plan simple, mais efficace. Nous formerons un centre solide, que je mènerais et disposerons de deux ailes. Une diriger si je ne m’abuse par Sir Dugnon avec certains de nos seigneurs et l’autre au chevalier rouge qui mènera les mercenaires dont il aura la charge.

— Quand dites-vous chevalier, fit Anaïs en observant le réputer mercenaire des duchés.

— Un plan intéressant, fit Juliano Petiti en brisant son silence. Je présume que vous prenez en compte les champs qui parsèment le coté Est du lieu de l’affrontement.

— En effet, fit la reine. Coté, qui sera couvert par votre aile Seniore Petiti. Je compte sur votre habille esprit et votre expérience pour tirer parti de cela.

— Hum, fit simplement l’intéresser. Je devrais trouver quelques tours à jouer à nos « amis » du nord.

— Vous ne m’avez pas l’air bien enjoué, fit cette fois Folcard face au seigneur Dugnon.

— Je ne dirais pas ça mon seigneur, fit l’intéressé avec un certain respect face à son interlocuteur. Juste inquiet. L’armée du Nord est mieux pourvue en cavalier et comme tout le monde le sait depuis que la cavalerie lourde foule les champs de bataille peu ont été les armées capables de résister aux charges. Et vous diluer nos propres chevaliers dans notre troupe à pied qui plus est.

— Vous accordez trop de confiance en cela, comme nos ennemis, fit la reine. Ce sera leur erreur et je n’attendrais que cela. Je préfère avoir moins de cavaliers et les disposer sur mes flancs que lancer une charge téméraire sur le centre de l’ennemie. Comme les idéaux chevaleresques semblent dicter aux hommes de guerre comme vous, ou eux.

— Si nous formons un bloc solide au centre couvert par nos archers qui obscurciront le ciel de flèche. La cavalerie de Léonard ne saura nous défaire, poursuivit Folcard. La nôtre pourra alors agir librement et pousser ses troupes à la déroute.

— En partant du principe que nos ailes tiennent, fit Dugnon.

— Ho ! mais elles tiendront, j’y conte bien, fit la reine. Surtout que vous aurez à votre charge notre flanc gauche.

Baissant la tête comme pour saluer l’honneur qui lui était fait, le seigneur reprit.

— Alors j’y donnerais jusqu’à ma vie pour y parvenir, jura t’il en cachant sa fausse modestie.

Et les nobles présents saluèrent ces mots et ce serment de l’instant.

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