Chapitre 70 : La bataille d’Ablancourt IV – Le vent de l’Est

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Pierre d’Ambroise

4e jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Abords des plaines d’Ablancourt ; après la prière des Tierces

Royaume du Corvin

Le bruit ambiant fut la première chose qui alerta les hommes de Praveen de leur arrivée sur les plaines d’Ablancourt. II était comme vif, insidieu et n’inspirait aucune confiance auprès des arrivants. 

Et plus ils approchaient, plus ce dernier devint entier et ambiant.

Ce n’était plus là des cris distincts, des coups isolés ou bien même des ordres donnés, mais bien une cacophonie de bruits qui prévenait du carnage qui se jouait ici.

Du carnage et du chaos que seul un champ de bataille pouvait offrir.

Pierre était en tête de ses troupes et fut le premier à poser le regard sur le combat opposant la reine Anaïs et son cousin Léonard. De par ses longues journées passées à étudier avec Corbius, Pierre avait appris la géographie du royaume et face à lui ce n’étaient pas les verdoyantes plaines dont il avait apprécié les descriptions qu’il découvrit mais bien une étendue de boue ou les hommes étaient aux prises les uns avec les autres.

C’était comme une lutte brouillonne ou les combattants étaient animés de pensées et actions animales. Cela ressemblait bien plus à quelques pugilats qu'à un combat ordonné. Mais le nombre de guerrier était impresionnant.

Les uns comme les autres, ils combattaient avec rage et détermination. Certains du bon droit de leur maître respectif qui les observaient depuis leurs auteurs. Toutes les troupes étaient engagées, même les archers avaient abandonné leurs armes de prédilection pour faire parler leurs lames.

Le jeune seigneur avait bien sûr appris de ses derniers mois, des moments durs qui l’avaient forgé. Sous la chevalerie et les belles pensées qu’on lui avait inculquées, il avait su voir le monde comme il était vraiment. Dur et impardonnable.

Le tableau qui lui était ainsi dépeint en des couleurs ternes n’était pas celui qu’on lui avait conté à propos des chevaliers qui avait tour à tour foulé les régions du continent. Ce n’était pas les épopées et affrontements chevaleresque que Pierre avait lu durant son enfance ou ses ancêtres avaient combattu avec droiture. Des figures guerrières juste dont il avait appris par cœur les hauts faits.

Il n’y avait rien de glorieux face à la mise à mort qu’il observait, que ses soldats regardaient. Les hommes de Praveen formaient une longue ligne de cavaliers. Ils avaient fière allure par rapport aux hommes qui affrontaient la dureté des combatsjuste en dessous d'eux.

Les bannières flottaient dans les lignes de cavaliers. Les animaux et insignes d’ancestrales familles de Praveen venaient ainsi agrandir les pages de leurs hauts faits.

Les rangs des hommes de Pierre ne comprenaient pas beaucoup de chevaliers, mais leur nombre était suffisant. Ils étaient bien assez nombreux pour renverser le cours des choses. Ils allaient balayer le champ de bataille de leur charge.

Ils le devaient.

— Une vision qui fait réfléchir quant à ses décisions, dit Cothyard à côté de Pierre.

— Aux décisions et au sens même de tout ça.

Le praviens salua ces mots d’un hochement de tête quand le seigneur Boiscendre vint se porter à leur hauteur.

— Une bataille comme on en voit peu, fit-il avec un regard animal. Un moment d’histoire.

— Et c’est le vainqueur qui l’écrit.

— Certes, certes…

— Tachons d’en sortir victorieux pour parler des fiers hommes de Praveen et de leurs exploits, finit par dire Pierre saluer par la clameur des hommes proche d’eux.

— Seigneur Boiscendre, vous menez notre droite. Hestalie, la gauche.

Sans plus de cérémoniel les deux seigneurs firent progresser leurs montures respectives jusqu’à leurs postes. Pierre était à présent avec Cothyard et les différents chevaliers de l’Est. Ils allaient former la pointe de la formation qui devait enfoncer l’ennemie.

— Stressé ? dit alors Cothyard depuis sa monture. Peur de mourir ?

— Non, lui répondit avec assurance Pierre. Je crois en les dieux, je n’ai pas peur de la mort.

— Tu devrais, lui fis Cothyard. Là où nous allons, il n’y a nuls dieux, mais seulement des hommes…

Des mots forts de la part de son aîné…

Fermant son heaume, Pierre observa la longue ligne que formaient ses troupes. Ils étaient prêts, presque impatients d’en découdre. Ils étaient tels des loups prêts pour la curée.

Pierre était resté maître de lui-même jusqu’à présent. Soutenant tout le poids que son rôle de chef lui imposait. Mais à présent. Seul dans son armure, tout revint bien vite le tourmenter. Son cœur battait la chamade et sa respiration, c’était d’elle-même fait difficile. Presque uniquement par la bouche comme s’il était essoufflé de quelque effort.

Il devait se calmer.

Se concentrant sur sa respiration, il tenta de faire le vide dans ses idées et se persuadant du bien fondé de ses actions. De toutes les choses qui l’avaient mené ici, en ce jour.

— Es-tu avec moi, demanda alors Pierre a Cothyard.

Et comme seule réponse, ce dernier hocha de la tête avec un regard qui en disait long.

Pierre dégaina alors son épée avant de la tendre en l’air.

Les quelques cors présents dans les rangs sonnèrent agrémentés par les épées qui se dégainèrent à leur tour. D‘un geste de ses talons, le seigneur d’Ambroise et de Villeurves fit avancer sa monture. Suivis par les hommes composants ses troupes.

La pente par laquelle ils arrivèrent n’était pas si abrupte, mais elle les fit bien assez accélérer. En un rien de temps, le trot fut abandonné pour le galop et la formation se dirigea avec force vers le lieu des affrontements.

Le sol tremblait sous tous ses fers qui battaient la terre et le bruit ambiant assourdissait déjà leur jeune seigneur. Les lances furent baissées, les épées levées et en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, Pierre fut le premier de sa formation à entrer au contact de l’ennemi.

Face aux chevaux de l’Est, les hommes étaient emportés sur les premiers mètres, mais bien vite la charge perdit de son élan et les cavaliers furent en prise avec les nombreux combattants ennemis.

Comme si les chaos des hommes du Haut et Bas Corvin n’étaient pas assez grands. Les hommes de Praveen venaient de complexifier le corps-à-corps sanglant qui avait pris. Pierre tailla dans la foule avec son épée. Fendant de droite et de gauche sans distinction. Chaque homme qui arborait les couleurs qu’il avait apprises, qu’il avait connues comme allié ou amie.

La fièvre animale l’avait déjà contaminé et il n’était plus tout à fait lui-même.

S’isolant un peu trop de ses propres hommes, le jeune seigneur fut alors pris à partie par les fantassins adverses. Frappant comme une bête enragée, il tenta bien de les repousser. De les faire abdiquer, mais ils étaient nombreux.

Trop.

L’agrippant fermement, les mains qui le saisirent parvinrent à le mettre à terre et s’est alors qu’une pluie de coups l’accueillit une fois au sol. Il avait son épée entre les mains et se protégeait de la hache qui tentait de mettre fin à ses jours. Mais elle n’était pas seule, les épées ou lames sifflèrent proche de son casque et les pieds s’invitèrent bien évidemment à la danse.

Balayant l’espace alentour comme il le pouvait, son arme trouvait par chance une jambe de temps à autre et faisait ainsi payer à ses adversaires leur acharnement.

Etais- ce ainsi qu’il allait mourir, se dit Pierre pendant un instant.

Chassant cette idée, il sentit les coups se faire moins nombreux et se défendit avec plus d’ardeur.

Faisant face au guerrier à la hache, il n’eut pas le temps de se venger qu’une épée vint traverser son gambison en épongeant le tissu d’une couleur rouge vif.

— Debout ! fit Cothyard en aidant d’une main le jeune homme à se relever.

Quelques chevaliers et hommes d’armes formaient à présent un cercle protecteur et les quelques couleurs présentes étaient portées bien haut. L’ours d’Ambroise, la bannière que lui avait offert le sieur Boiscendre avait fière allure.

Saisissant un bouclier au sol et réaffirmant son emprise sur son épée, Pierre ne perdit pas plus de temps.

— PRAVIENS ! cria-t-il pour fédérer le plus de combattants possibles.

— PRAVIENS ! reprirent en chœur les hommes proches.

Et Pierre chargea.

Il était talonné par Cothyard et les hommes qui avaient entendu son ralliement et tous se jetèrent à corps perdu dans le combat. L’arrivée des troupes de Praveen avait fait chanceler les Nordiens. Le doute s’immisçait en eux et certains fuyaient même. Mais le combat ne se fit pas moins difficile pour autant.

La mêlée qui avait cours était âpre et disputée.

Ayant fait reculer un chevalier qui l’attaquait, Pierre le mit sur la défensive par ses attaques et accentuant ses coups qui devinrent forcés le mit à genoux lorsque sa lame plongea entre sa spalière et sa cuirasse. L’épée s’était logée dans une partie faible des protections en se coinçant dans la clavicule du malheureux dont Pierre pouvait facilement concevoir la douleur derrière son casque.

Serrant les dents, le jeune seigneur tenta de sortir sa lame tandis que le râle de son ennemi se fit incontrôlé lorsque l’arme parvint enfin à se libérer pour laisser le chevalier s’écrouler au sol.

Pierre et ses hommes s’étaient enfoncé profondément dans la mêlée. Il avait atteint le sorte de centre ou une ligne distincte se disputait la supériorité de cette partie du champ de bataille.

Les couleurs de part et d'autre flottaient encore sous bonne garde et Pierre ajouta les siennes à la lutte.

À présent au cœur des combats, Pierre luttait presque épaule contre épaule avec ses hommes. Clairsement les rangs ennemis pour faire jonction avec les guerriers du Bas Corvin.

Observant les couleurs ennemies de plus près, il crut reconnaître l’une d’elles. Mais les ennemis ne lui laissèrent guère le temps de bien observer. Les coups s’abattirent contre son bouclier, contre son armure à présent bien marqué par l’affrontement.

C'est durant leur avancée que les hommes de Pierre rencontrèrent ceux du Bas Corvin et prit dans leur élan les forces conjointes poussèrent la formation ennemie.

Les soldats de Léonard se battaient avec force. Faisant payer chaque pouce de terrain laissé à leurs ennemis. Les chevaliers étaient aux avant-postes des formations et motivaient les hommes de rangs par leur exemple. Pour protéger coûte que coûte leurs étendards et honneur.

Pierre ne se concentrait plus que sur ses bras, leurs mouvements. Le bouclier lui pesait de plus en plus, mais il tenait bon. Répondant à chaque assaut de son épée déjà bien rouge.

Se débarrassant d’un adversaire, il vit le voisin de ce dernier être mis au sol par une lance. Le mur ennemi commençait à s’ouvrir. Ne réfléchissant pas plus, Pierre s’engouffra dans la brèche, bientôt suivie par les combattants de son camp.

Les couleurs ennemies étaient presque à sa portée. SI elles tombaient le moral des troupes de Léonard allait chanceler. Il avait sa mission et combattait avec une énergie nouvelle pour l’accomplir.

Voyant une lame glisser sur l’une de ses spalières de son armure, Pierre eut juste le temps de tourner la tête pour éviter de peu l’épée qui avait ensuite visé l’une des ouvertures de son plastron.

Se retournant pour viser à son tour l’homme qui l’attaquait, Pierre fut pris comme dans un moment de flottement lorsqu’il décerna les armoiries cachées par les couches de boue et de sang.

Gaillot !? se dit Pierre pendant un instant.

Et les deux combattants se tournèrent autour. Autant pour se juger que pour être sûr de l’identité de l’adversaire.

Les coups reprirent contre le jeune seigneur.

Bien sûr, Pierre les dévia, mais son esprit encore perturbé. Embrumé par l’identité possible de son adversaire le faisait douter.

Était-ce Charles ?

Coupant court à leur passe d’armes, Pierre fut tiré par l’arrière de son gorgerin quand un cavalier du Haut Corvin fit passer sa lance à la position qu’il avait occupée.

Se retournant, il vit Cothyard serré fermement son arme en observant les ennemis qui leur faisaient face.

Protégé par ses hommes, Pierre leva alors son ventail en fixant son ancienne adversaire qui limita et le regard des deux combattants n’avait pas changé depuis leur dernière rencontre.

C’était bien Charles qui se tenait face à lui, Pierre ne pouvait concevoir de le tuer. Mais il ne se laisserait pas faire comme durant le tournoi de Fressons. Alors qu’il allait repartir à l’assaut de son ancien ami, il fut arrêté dans son action par l’épée de Cothyard qui lui barra la route en lui pointant une position.

Suivant son indication, il vit alors le seigneur Boiscendre non loin être attaqué par les hommes du Cardinal. Un chevalier drapé de pourpre se taillait un chemin sanglant dans les hommes de Praveen et semblait se diriger inexorablement vers le seigneur encerclé.

Ne perdant pas un instant pour porter secours à son soutien de l’Est, Pierre laissa les hommes d’Anaïs se charger de la position des drapeaux qui étaient déjà en mauvaise posture sous le regard de Charles qui l’observa partir.

Arrivant à point nommé, il barra la route au chevalier pourpre qui l’attaqua sur-le-champ.

L’homme était d’une même stature que le jeune seigneur, mais ses coups étaient d’une rare violence, d'une rare force. Comme porté et décuplé par une rage qui se transfigurait par les cris qu’il émettait à chacune de ses attaques.

Cothyard en prise avec des manteaux pourpre de son côté ne pouvait se porter à l’aide de son seigneur et Pierre fut bientôt mis à mal. Les coups pleuvaient et trébuchant sur un corps alors qu’il reculait, Pierre fut assailli de nouvelles attaques.

Comment pouvait-il faire face à tant de haine, de colère ?

Et tandis que son épée fut déviée, Pierre se retrouva nez à nez avec celle de l'ennemi qui fut arrêté dans sa course.

Une lame s’était portée entre Pierre et son assaillant pour stopper la mise à mort. C'était comme si cette arme venait priver la bête sauvage de sa proie qui était pourtant à sa portée.

Reportant sa rage sur l’inconscient qui avait osé agir, l’homme du Cardinal se saisit du couteau qui pendait à son ceinturon pour le planter dans la gorge du chevalier qui arborait pourtant les couleurs du même camp.

Charles la lame enfoncé dans la gorge tomba à genoux en tentant de toucher le pommeau de la lame. Le bruit de l’action et le sang qui jaillissait sur l’armure laissait aisément comprendre la gravité du coup.

Face à cela, ce fut cette fois Pierre qui fut pris d’une fureur soudaine et se jeta sur l’homme du Cardinal pour l’attaquer de ses poings. Donnant les coups avec une rage qui faisait presque écho à celle de son adversaire.

L’homme venait de se débarrasser de Charles comme si de rien était.

Pourquoi s'était-il interposé ?

Pourquoi l’avoir tué ainsi ?

Pierre était affecté par son ami à présent au sol entre train de mourir.

Il devait faire payer cela à cet homme.

Donnant des coups toujours plus puissants face à sa main qui s’engourdissait, Pierre ouvrit quelque peu le ventail de son adversaire lorsque l’une des attaches sauta.

Ce fut là un autre regard, qu’il croisa.

Un regard qu’il reconnaissait lui aussi.

Reculant d’instinct comme frappé par cela, il vit là les yeux de son propre frère le fixer tandis qu'il tombait au sol. Trahis pas ses jambes.

Mais les yeux qui le fixaient étaient différents, empli de haine. Les parties du visage qu’il devinait autour étaient quant à elles agrémentées de nombreuses cicatrices.

Était-ce un cauchemar ?

Un mauvais coup du sort ? se demanda Pierre figé sur place.

Alors qu’Eudric allait bondir pour se jeter sur Pierre, il fut arrêté par des acolytes du Cardinal qui tentèrent de le stopper, de le raisonner.

Mais ses cris en disaient long sur ses attentions.

Les troupes du Nord semblaient se replier et les hommes de Britius agrippaient Eudric pour le faire reculer.

Toujours à terre, Pierre observa l’endroit où s’étaient tenues les couleurs adverses. C’étaient à présent celles du Bas Corvin et de Praveen qui flottaient au vent.

Le flanc droit de la reine était victorieux. Le bras de fer semblait basculer du côté d’Anaïs.

Sachant cela, ses hommes menèrent une dernière poussée en abattant les ennemis qui tentaient de les ralentir. De protéger leur terrain. Partout sur le champ de bataille les soldats lancèrent une contre-attaque face aux troupes de Léonard. Miné par la perte de leur flanc gauche et de la chute de certaines de leurs précieuses couleurs. Leur morale était au plus bas et les cors du roi sonnèrent bien vite la retraite générale.

La bataille d’Ablancourt était gagnée, mais à quel prix...

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