Chapitre 25: L’inquisiteur Kreisth

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Lise Dhysoris, vieux domaine non loin de Cologneux

Dépourvue de toute notion de temps, Lise sortit de la torpeur dans laquelle la pièce sombre l'avait plongée lorsque la porte s’ouvrit. Le nouvel arrivant posa une bougie sur la table qui lui faisait face. La flamme dansait sur le bout de la mèche et éclairait la pièce d’une lumière vacillante. De nombreux coins étaient encore plongés dans la pénombre. Lise tenta une nouvelle fois d’utiliser ses pouvoirs mais les chaînes d’argent lui brûlèrent alors à nouveau les poignets. L'homme sourit en regardant les larmes de la sorcière. il déroula une sacoche sur la table. Lentement il en ouvrit les compartiments et Lise put voir différents outils dont elle ne devinait que trop bien l'utilité. La sorcière se débattit sur sa chaise, prise au piège. Elle avait réussi à montrer à Pierre des indices et et priait pour qu'il la trouve à temps. Tandis que le tortionnaire vérifiait ses outils, il sifflotait d’un air mauvais en se préparant à faire son office. Lise était à sa merci et ne pouvait rien faire pour changer cela. Tout reposait sur son camarade de route si tant est qu’il se montrât.

L’homme, un des acolytes de l’inquisiteur à n'en point douter, était habillé assez normalement mais portait une couleur en particulier, le noir. Il arborait un masque de tissu qui cachait le haut de sa tête. Il prenait étrangement son temps et ne s'était pas encore approché de la jeune sorcière. Quittant l’espace lumineux près de Lise, il referma la porte et continua ses préparations. L’endroit était silencieux et Lise pouvait entendre le vent faire craquer les fondations du lugubre bâtiment . Le tortionnaire s’approcha alors de Lise, le sourire aux lèvres et un outil à la main. Il n’eut cependant pas le temps de l’utiliser.

La porte s’ouvrit dans un grincement et une forme fit son apparition. L’homme de l’inquisiteur se retourna, étonné. Pris de court, il n’eut pas le temps de réagir et l’arrivant lui asséna un coup à la tête. L’homme assommé s’écroula à terre sans plus de cérémonie. Lise fixait la personne encore dans l’ombre et la reconnut quand elle s'avança dans la lumière. Pierre, armé de son épée, croisa le regard de la jeune sorcière. Il déposa sur la table son arme et se dirigea vers la captive.

Il observa la tête de Lise. Inquiet, il remarqua la marque du coup qui l’avait assommée était encore visible. Évaluant son triste état, le jeune seigneur tenta vainement d'enlever les lourdes chaînes avant de défaire le bâillon. Lise le remercia d’un signe de tête. La jeune sorcière se crispa sur sa chaise quand la porte se referma avec le même grincement sinistre qu’à son ouverture. Pierre sursauta et se retourna rapidement en saisissant son arme. Une nouvelle forme se dessina, sortant de la pénombre.

— Je dois dire que j’étais intrigué par ta présence. Je ne pensais pas que tu arriverais jusqu'ici, mais finalement je suis à la fois rassuré et déçu face à l'incurie de mes hommes. On dirait que tu as su manœuvrer au nez et à la barbe de mes gardes.

Le visage de l'homme, qui parlait d'une voix intrigante, se dévoila peu à peu dans la lumière. D’une bonne taille, il était équipé de longues bottes et d’un tabard en cuir sur lequel de nombreuses sacoches et couteaux pendaient. Un lourd collier entourait son cou et soutenait un symbole inquisitorial qui trônait fièrement sur son torse. Son visage était dur et sévère, il n’arborait aucun cheveu. Portant une légère barbe, il avait le regard perçant comme en lien avec son activité.

Pierre électrisé face à l'arrivée soudaine de l’homme se tenait entre lui et la chaise où Lise était prisonnière. Le jeune homme regardait l'arrivant.

— Je m'excuse, dit le nouvel arrivant en feignant une révérence, j'en oublie les bonnes manières. Thadeus Kreisth. Enchanté.

Immobile, Pierre ne savait comment réagir.

— Normalement, jeune homme, quand une personne se présente, il est courant de retourner la politesse.

L'homme souffla d’un air déçu.

— Fort heureusement je connais votre identité, mon cher Pierre.

Ce dernier écarquilla les yeux, étonné que l’homme le connaisse. Se pourrait-il qu’il ait soutiré cette information à la sorcière ? Non, l’acolyte de l’inquisiteur n’avait par chance pas commencé son œuvre. Ce Kreisth semblait être un homme bien informé.

— Vous savez, pour avoir une discussion intéressante, il faut être deux à converser. Vous n’avez rien à craindre de ma part. Je vous en prie, prenez place, dit-il en indiquant l’un des sièges proches de la petite table.

L’inquisiteur prit l’une des chaises de la salle et d’un geste écarta le sac d’outils de la table. Pierre, qui tenait toujours son arme de manière symbolique, hésita à faire de même. Les événements prenaient une drôle de tournure, mais il se résigna et saisit la dernière des trois chaises pour s'asseoir en face de l’inquisiteur.

— Pour être franc avec vous, je ne comptais pas m’attarder dans le village, mais la venue de deux voyageurs m’a été rapportée. Déjà que la région en fait fuir plus d'un,  mais rajoutez la situation actuelle du royaume, c’est intrigant. La présence de la fille en ce lieu n’a rien d’étrange en soi mais la tienne, Pierre, elle est… incongrue si je puis me permettre.

— Incongrue ? répéta Pierre en tentant de montrer une voix neutre.

— Tout à fait, commença l’inquisiteur en enlevant ses gants noirs avant de croiser les doigts. Un jeune seigneur du nord qui voyage discrètement sur les routes en compagnie d’une... sorcière. Je suis intrigué : comment en êtes-vous arrivé à de tels choix ?

— On peut dire que les événements m'y ont poussé, commença-t-il en rengainant son épée. Vous devez savoir de quoi je parle.

Kreisth souriait, il regarda Pierre fixement.

— Je suppose que vous parlez des agissements de Léonard de Corvinus et de la présente guerre civile. Cette situation me laisse de marbre, je dois bien avouer. Les guerres entre cousins royaux ne m'intéressent pas en soi. Cependant je suis désolé d'apprendre ce qui est arrivé à votre famille. Je connaissais personnellement votre père.

— Comment se fait-il que je ne me souvienne pas vous avoir déjà vu dans ce cas ? dit Pierre en coupant le discours de l’inquisiteur.

— Voyons, je ne suis pas le genre de personne qui se met en avant ou s’affiche. Votre père était un homme foncièrement bon et j’ai déjà “travaillé” avec lui. Mais pas seulement. Avec votre précepteur, ce bon père Corbius, aussi.

Pierre, qui ne cachait pas son étonnement, fit sourire l'inquisiteur.

— On dirait que ce vieux renard a bien su cacher son jeu.

— Corbius, était un de vos acolytes… en conclut Pierre.

— Non, en rien. Nous faisions tous trois partie d’un ordre. Un ordre ancien qui voit ses origines à la création même de notre Église des Sauveurs, dit-il avant de faire une pause. Avant de continuer notre discussion, nous ne devrions pas permettre à votre amie de nous rejoindre.

À ces mots il envoya un coup de sa longue botte à son acolyte au sol. L'homme se leva lourdement et regarda d’un air hagard les deux personnes autour de la table. D’un geste, l’inquisiteur lui montra la jeune fille à l'écart et il se dirigea vers la sorcière pour la libérer.

Il fit tomber les lourdes chaînes de Lise, le sbire regarda son maître qui le congédia d’un signe de main. Se frottant ses poignets endoloris, Lise fixa l'inquisiteur d’un regard haineux avant de s’adresser à lui.

— Et maintenant, qu’est-ce qui m'empêche de prendre ma revanche ?

— Ceci, dit simplement l’inquisiteur en saisissant un objet.

Il le serra et regarda Lise s’écrouler au sol en suffoquant.

— Un petit “grigri” de sorcière. J’ai juste eu besoin de le lier à toi en te prenant quelques cheveux.

Il lâcha sa prise puis rangea l’objet mystérieux dans l’une de ses poches avant de s’adresser à nouveau à Lise.

— Ceci fait, veux-tu nous rejoindre ? dit-il en faisant signe à la jeune sorcière.

Après s'être relevée difficilement, elle tira la dernière des trois chaises vers elle et se plaça à côté de Pierre.

— Bien ! où en étions-nous, ? Ah oui ! L'ordre.  Votre précepteur, avant d’entrer au service de votre père, était un des membres de l’ordre des Veilleurs. Un ordre dont les origines remontent à la création de l’Église, voire avant cette dernière, selon certains. L’ordre des Veilleurs est une mouvance protégeant notre monde depuis l’ombre. Nous “veillons” à ce que les choses qui menacent notre monde soient entravées. Démons, esprits, sorcières et monstres sont autant de menaces auxquelles nous avons fait face depuis un millénaire.

— Et Corbius, que faisait-il ? osa demander Pierre.

— Corbius était un frère du prieuré de Fontaunois. Son prieuré faisait partie de l’ordre et il veillait à maintenir prisonnier l’un des plus dangereux démons que nous connaissons. Les comparses de ton amie la sorcière ont aidé cette entité à s’échapper pour le compte du culte il y a quelques années de ça. Le culte gagne en puissance depuis un moment déjà. L'Église et les royaumes centraux sont occupés à leurs jeux de pouvoir et ont oublié la vraie menace que représentent le Créateur et ses adeptes. Comment croyez-vous que Léonard a pu fomenter un tel coup d’État ? Le culte tirait les ficelles en coulisses et des nobles de valeur comme votre père en ont fait les frais.

— Corbius... savez-vous si…

— Il est en vie, c'est un homme qui a plus d’une corde à son arc. Il a fui le domaine d’Ambroise dès qu'il a eu vent des événements de la capitale. Je crois qu’il est à présent à Perissier auprès de la reine. Bon, maintenant que vous avez eu connaissance de la guerre qui se joue dans l’ombre de notre monde, puis-je compter sur votre aide ? Il est évident que si vous me prêtez main-forte dans les jours à venir, je saurai en tenir compte. Votre amie et vous pourrez continuer votre chemin sans encombre jusqu'à Perissier. Si c'est bien là votre destination.

— Vous voulez notre aide, mais que pouvons-nous bien vous apporter ? Vous êtes accompagné de combattants qui sauraient sans doute bien mieux faire face au danger que nous.

— Chaque personne a son utilité. Les covens de la région savent que vous êtes arrivés. Les sorcières ont des yeux et des informateurs partout. Elles s'apprêtent à entamer un sabbat en l’honneur du démon qu’elles ont jadis libéré. Et vous, vous êtes la solution à mes dilemmes. Pour contrer les sorcières, j’ai besoin de m'approcher de leur cérémonie mais elles me percevront à des lieues. Votre amie ici présente peut occulter notre présence. Jamais une sorcière ne nous aiderait de la sorte. Mais si elle le fait pour vous, là, c’est une autre histoire.

Échangeant un regard perplexe avec Lise, Pierre regarda l’inquisiteur.

— Je ne la contraindrai à agir en aucune manière.

— Alors jeune fille, voulez-vous quitter cette région une bonne fois pour toutes avec ce jeune homme ? Je vous offre une chance que nul autre inquisiteur ne vous donnerait.

Lise tourna sa tête vers Pierre et répondit d’une voix légère :

— Je ferai ce que vous voudrez.

L'inquisiteur affichait un grand sourire. Il se leva.

— Bien, je vous expliquerai… Je vous expliquerai la démarche à suivre quand nous aurons rejoint le reste de mes hommes. Vous ne pensiez pas que je serais venu dans la région avec si peu de combattants. Allons au vieux monastère où m'attendent les autres. Il est à un jour de marche, il faut se dépêcher car le temps joue contre nous. En effet, les sorcières vont commencer leur cérémonie dans deux nuits.

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