Chapitre 51: Un instant de calme

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Pierre d’Ambroise

10e jour du mois de juin de l’an de grâce 1205 AE.

Domaine de Villeurves, champs nord ; durant la prière des Sextes

Royaume du Corvin

Le soleil qui avait atteint son zénith resplendissait de toute sa hauteur en harassant de chaleur les habitants de Villeurves. Bloquant les vifs rayons lumineux de sa main, Pierre qui était sur la selle de son cheval abaissait son regard pour observer les champs de blé.

Cette mer d’épis mûrs s’étendait en face de lui et les quelques taches de couleurs qui détonnaient dans ce paysage étaient les tenues portés par les serfs en plein labeur. Les habitants du village récoltaient les précieuses graines et, à en juger par l’état de leurs habits ou bien leurs visages fatigués qui ruisselaient, ils étaient à pied d’œuvre depuis de nombreuses heures déjà.

Ainsi les paysans, répartis en petit groupe dans les étendues jaunâtres, s’activaient. Ils jouaient aussi bien des faux et serpes que des fléaux.

Pressant les flancs de sa monture, Pierre fit avancer son cheval. Et il ne fallut que quelques pas à l’animal pour faire ressentir au jeune seigneur les différentes parties sinueuses qui composaient le chemin. Ainsi, son corps vibrait sous chaque pierre rencontrée par les sabots ferrés de la monture et ses blessures le faisaient souffrir en se rappelant durement à lui.

Un bon nombre de jours avaient passé depuis la chasse du griffon, mais il semblait que les traces laissées par ce dernier tardaient à disparaître. Et ce, malgré les soins plus qu’appliqués de Lise. Le temps… c'est ce qui semblait passer le plus vite ces derniers jours. Depuis sa venue, depuis leur venue, Lise et Pierre n’avaient pas chômé.

Le jeune Ambroise avait ainsi découvert la vie éreintante de seigneur devant s’occuper de ses terres. Au fil de ses devoirs les journées avaient défilé plus vite qu’il n’en fallait pour le dire.

Longeant le muret de roches taillées qui délimitaient les champs, le jeune seigneur mena sa monture proche d’une ouverture dans la muraille grise.

Descendant de sa selle il noua alors les rênes de sa bête sur l’un des poteaux de bois présent et se mit à avancer. Il y avait ce quelque chose de spécial à marcher parmi ces champs. Parmi cette mer de couleur unie qui l’entourait. Croisant les personnes qui s’activaient dans le champ, Pierre fut salué lors de son passage.

Mais parmi les visages des travailleurs certains, bien familiers, furent bientôt visibles. Cothyard, les manches retroussées, et droit comme un i donnait des ordres comme à son habitude. La foule de personnes qui l’entourait allait et venait entre le blé déjà coupé, pour l'acheminer aux chariots qui étaient non loin de là.

Ne lâchant pas des yeux les serfs qui travaillaient ardemment face à lui, Cothyard ne vit pas son seigneur s’approcher. Sans annonce ou autre forme de salutation allant avec sa position, Pierre alla à ses côtés en prenant simplement la parole.

— Je t’avais demandé de prendre en charge la récolte, mais je ne m’attendais pas à tant de sérieux et applications de ta part !

— C'est que j’aime le travail bien fait « mon seigneur ». Et puis ce n’est pas vous qui alliez le faire avec vos trophées, fit Cothyard en donnant un petit coup de coude.

— C’est sûr… fit Pierre en grimaçant après avoir passé l’une de ses mains sur les habits qui cachaient ses blessures encore vives.

— Et puis, ils font bien de s'appliquer, c’est leur repas qui en dépendra cet hiver, pas le nôtre...

— Ne sois pas trop dur tout de même.

— Mouais, de toute façon, ils regretteront bien vite le travail aux champs quand certains d'entre eux t’accompagneront à la guerre.

La récolte était faite bien tôt. C’était là non par dû à un surplus de matière mais bien par obligations. Si l’aventure du griffon avait appris quelque chose à Pierre, c'était que les choses pouvaient très vite mal tourner. Allié à cela la guerre civile qui ravageait le pays, le jeune homme préférait voir les récoltes être mises à l'abri le plus tôt possible.

Mais bien sûr, il y avait de par cette approche plus de pragmatisme de la part du jeune seigneur. Il allait bientôt devoir lui-même prendre part aux affrontements et il ne pouvait se permettre de laisser des hommes aux champs. Comme l’avait si bien dit Cothyard, certains allaient l’accompagner au combat et Pierre allait avoir besoin de chaque homme pour ce qui allait se dérouler.

Il avait tout de même des réticences à devoir enlever ses hommes à leur famille, mais après tout ils devaient s’acquitter de leurs devoirs, ils devaient jouer leur rôle. Pour les habitants de Villeurves, c'était envers leur nouveau seigneur et pour Pierre la reine à qui il avait promis de porter assistance. Au moins pour l’affrontement à venir.

Des marchands de passage à l’auberge du village avaient raconté que les troupes se massaient à la frontière entre les forces de la reine Anaïs et du roi Léonard. Délimitation représentée par le Bourg de Roussons et sa position stratégique.

Quelque chose de grand allait avoir lieu et Pierre devait jouer sa partition comme tout le monde, comme les Praviens, bien qu'ils ne le sachent pas encore. Sa revanche en dépendait. Pierre avait des comptes à régler avec Léonard, avec Britius. Avec les Gaillots.

— Bon, on ne va pas rester là à ne rien faire, fit alors Cothyard pour réveiller le jeune homme qui semblait pris dans ses pensées.

Sifflant, Cothyard attira l’attention des travailleurs présents en leur faisant signe de prendre une pause avant de se retourner vers Pierre.

— Je suppose que vous n’avez pas encore touché à une miette de nourriture.

Non, fit le jeune Ambroise en secouant la tête.

— Pilgrym va vous tuer à vous faire travailler aussi dur… Allez venez.

Entraînant Pierre dans son sillage, Cothyard alla vers l’une des charrettes présentes dans le champ. Se dirigeant vers l’une qui n’était pas pleine de son chargement de blé mûr, il s’assit sur le bord arrière de cette dernière bientôt imité par Pierre.

Tous deux se retrouvèrent ainsi, assis sur la charrette, à observer le paysage environnant. La beauté de ce dernier plongé sous le soleil d’été qui embellissait le lieu en révélant toutes ses couleurs.

Cothyard qui avait sorti sa gourde la débouchona avant de la tendre à Pierre. Saisissant la flasque, le jeune homme commença à boire. Mais aux premières gorgées, ce dernier s’arrêta net en toussant.

Ce n’était là point de l’eau, mais un alcool qui avait surpris le jeune seigneur par son goût et sa robustesse.

Mais avant de la rendre à Cothyard qui tendait sa main pour boire à son tour, Pierre s’arrêta en regardant la gourde. Cette flasque de cuir que lui avait tendu le Praviens avait remémoré en lui des souvenirs bien anciens.

— Alors, tu me la donnes fit Cothyard.

S’exécutant, Pierre la lui passa.

— On dirait que tu as vu un fantôme, ça va ?

— Ça peut aller… On va dire qu’un vieux souvenir est venu se rappeler à moi.

— Tu veux en parler ?

— Non, non, ce n’est rien de bien important. C’est juste que la dernière fois que l’on m’a tendu comme ça une gourde d’alcool, j’étais en chasse sur le domaine de mon père, loin d’être seigneur ou bien même simplement adulte.

— Un bon souvenir ?

— Si on veut, oui.

— Allons bon, s’il te rend triste, regarde autour de toi et fais-en des nouveaux.

Souriant, Pierre reprit.

— je te rassure cet endroit m’en a déjà donné des bons.

Et cette fois, ce fut Cothyard qui sourit.

— Loin de moins l’idée de vouloir te tourmenter après t’avoir dit de penser à des choses positives. Mais c’est la seule fois où tu n’as pas le religieux ou la jeunette dans tes pieds alors je vais en profiter pour parler. Tu as juré à la reine de l’aider pour la bataille à venir et c’est la raison de ta présence. C'est bien de ne pas briser ses promesses, mais après que comptes-tu faire ? Tu vas la suivre comme ton feu père.

— Si tu avais demandé ça au Pierre d’avant, la réponse aurait été oui. Mais on va dire qu’à présent, je ne vois plus les choses de la même manière.

— C'est bien… Enfin, je veux dire qu’il ne faut pas voir le monde comme tout blanc ou tout noir. Et il ne faut pas suivre aveuglément autrui. Les seigneurs de ces terres l’ont trop fait par le passé. Regarde où ils en sont, faibles et reclus sur eux-mêmes.

— Pour ce qui est du futur, je verrai le moment venu. Pour l’instant, il va falloir convaincre ces seigneurs, ces hommes de me suivre. Même s’ils sont « faibles ».

— Pour ça, il faudra sûrement faire des concessions, es-tu prêt à cela ?

— Je suppose.

— Il faut t’en assurer et il te faudra surtout savoir pourquoi tu le fais.

— On dirait que tu penses connaître mes pensées…

— Je ne prétends rien, répondit Cothyard en rigolant. Mais on va dire que je sais lire les gens et ton regard face à la missive de la lettre de la reine était plus que parlant.

— Comme je te l’ai dit, je verrai au moment venu...

— D’accord… Tu me feras part de tes vraies pensées le moment voulu, je pense. Le rassemblement des Marches sera donc des plus intéressants.

— Si tu le dis.

— Tiens en parlant de choses intéressantes, fit Cothyard en montrant de sa main deux personnes qui s’approchaient.

Plissant les yeux, Pierre les reconnut bien assez vite.

Les deux jumeaux, Leto et Folder, qui avaient somme toute dû participer au travail dans les champs compte tenu de leur tenue plus que sales arrivaient vers le chariot.

— Regardez ça, fit Folder. Me voilà couvert de terre. Donnez un peu de pouvoir et les hommes se transforment en tyrans… J’aurais cru meilleur traitement de ta part, cousin.

— Ainsi te voilà tel un vrai homme du peuple, dit Cothyard. Parfaitement à ta place.

— Alors ça, c’est un coup bas. Je dirais bien que ça m’étonne venant de ta part, mais bon…

Et tous deux rirent.

Leto, qui arrivait juste derrière, donna un petit coup dans le dos de son frère pour le faire taire.

— Plus sérieusement vous voir tous les deux-là me donne à penser que vous traficoter de mauvaises choses.

— Moi !? répondit Cothyard. Non ! On parlait juste du rassemblement.

— HA ! Ça s’annonce un spectacle des plus regardables. Les nobles vont batailler et ce sera pire que dans un poulailler. Les plumes en moins.

— On verra ce qu’ils demanderont à notre jeune seigneur, conclut Folder.

— Cothyard a l’air d’avoir une idée là-dessus, dit alors Pierre.

— Ça, ça ne m'étonne pas…

— Cet homme a un don pour sentir les choses, avant même qu’elles n’arrivent…

Tandis que les deux jumeaux prenaient la place encore libre sur le chariot, Cothyard reprit la parole.

— Notre seigneur n’a pas mangé, je suppose que vous avez de quoi remédier à ça.

Tous deux souriaient en se regardant.

— Il faut juste espérer qu’il ait des goûts d’adulte.

— C'est sûr, on l'a vu presque recracher ton vin…

— S’il veut vraiment devenir un seigneur des Marches, il va devoir apprendre à apprécier les choses locales.

Et sur ses mots, les deux commencèrent à sortir viandes et fromages. Les quatre hommes mangèrent alors en faisant circuler la nourriture et les boissons de chacun.

— Pour en revenir au rassemblement, fit Leto en finissant de mâcher son fromage. C’est pour bientôt ?

— Oui, lui répondit Cothyard. J’ai vu avec le religieux pour envoyer les missives. Les réponses ne devraient pas tarder. Je pense que d’ici une petite semaine au plus tard, nous y serons.

— Tu as déjà préparé ton petit discours, dit Folder à Pierre.

— Ce n’est pas mon genre, je suis meilleur quand… j’improvise sur l’instant.

— Il ne faudra juste pas bégayer devant ces vieux nobles ou s’en sera fini de vous et votre image, renchérit Leto.

Et tous les quatre rigolèrent à nouveau.

Nous verrons tout ça quand nous y serons.

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