Chapitre 57 : Les brasiers de la guerre

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Pierre d’Ambroise

4e jour du mois de septembre de l’an de grâce 1205 AE.

Domaine de Villeurves, cours du manoir seigneurial ; juste avant la prière de Sexte

Royaume du Corvin

L’épée fendait l’air en un son court et rapide. La lame avait était faite par une main experte à n’en pas douter. Répétant à présent les différentes postures que lui avait enseigné le maître d’armes de la famille d’Ambroise durant son enfance, Pierre récita ses gammes de combats.

Le forgeron du domaine avait du talent, le prédécesseur de Pierre avait eu le nez fin en l’embauchant et le seigneur d’Ambroise lui avait fait fabriquer cette arme avec une idée bien précise. Son pommeau ouvragé de forme hexagonale, sa garde solide et les lanières de cuir noir rappelaient immédiatement au jeune homme l’épée porté par son père. C’était en quelque sorte un hommage à l’homme qu’il l’avait éduqué pour devenir la personne qu’il était. Ce n’était là que justice pour Pierre.

Souriant après ses quelques coups donnés dans le vent, le jeune seigneur se dirigea alors vers une solide poutre qui bordait la forge du manoir.

Le bois, plus qu’anciens et ancré dans le sol de la cour, portait les cicatrices laissées par les différentes armes qui avaient été essayées sur sa solide surface. Stigmates laissés par des hommes encore présents ou morts durant le banquet de Fressons. Comme le père a Cothyard…

Triste pensée qui passa dans l’esprit du jeune homme.

Prenant position comme il l’avait fait de si nombreuse fois, Pierre se mit alors à attaquer cette cible. L’acier à chacun de ses passages laissait ainsi de nouvelles marques sur le bois, de nouvelles encoches qui témoignaient de l’éducation martiale du jeune Ambroise couplée aux talents de maître Smylle, le forgeron des lieux.

Les coups continuèrent à pleuvoir sur ce mannequin de fortune, Pierre ne s’était pas exercé aux arts de la guerre depuis de nombreuses semaines. Pour dire vrai depuis leurs rencontres avec le griffon et combattre ainsi, même contre une cible qui ne répondait pas, faisait remonter en Pierre de nombreuses sensations.

C’était là les souvenirs des différents affrontements qu’il avait menés depuis la triste nuit de Fressons qui portait à présent le nom honni de « Nuit des Lames ».

Comme Pierre aurait voulu oublier un instant tout cela… Et ses coups furent de plus en plus violents contre le bois. Comme si les pensées du jeune homme s’insinuaient dans sa concentration martiale. Les attaques se firent alors violentes et presque incontrôlées.

Arrachant bientôt un petit bout à la poutre lors de son dernier coup, Pierre s’arrêta net. Il s’était laissé porter un bref instant par ses émotions profondes et il se mit alors à respirer lourdement après une telle débauche d’énergie.

— Hé bien que t’as donc fait cette pauvre cible ? fit Leto qui s’en allait rejoindre son cousin à la forge du manoir. Je n’aurais pas aimé devoir parer ces coups.

— Ho… rien, fit Pierre ne voulant pas montrer qu’il avait perdu le contrôle pendant ce court instant. Je testais seulement la lame que m’a faite Smylle.

Se rapprochant de son jeune seigneur, Leto reprit par un :

— Puis-je ? en montrant l’épée.

Acquiesçant, Pierre lui donna la lame et le Pravien la fit tournoyer à son tour.

— Une bonne arme à n’en point douter. S’il n’était pas déjà à votre service, ce cher Smylle vous aurait ruiné en créant une telle épée, dit Leto en se retournant vers la forge.

Les rires se firent alors entendre des hommes qui y prenaient place.

L’atelier n’était certes pas la plus grande qu’ait vue Pierre dans sa vie. Ni la plus équipée. Mais c’était là un endroit qui avait son petit charme. Pour dire vrai, la forge sentait l’histoire. Les poutres porteuses de la structure, noircies par le temps, avaient sur leur surface des gravures décoratives. En plissant les yeux, on pouvait déceler sur ces surfaces altérées par les époques des phrases, des noms. Comme ceux des différents maîtres qui avaient officié dans cet endroit

Quittant du regard la structure de bois et le toit de tuiles qui couvrait le tout, Pierre observa l’atelier. L’endroit était parcouru de longs râteliers ou reposaient marteaux, pinces et autres outils d’aciers.

Quelques tables entouraient l’épais foyer en pierre de la forge et enfin à cet endroit de travail se trouvait Smylle et son apprenti en pleine besogne. Ils avaient travaillé d’arrache-pied ces derniers temps pour fournir au jeune seigneur les armes et équipements qu’il avait demandés pour former ses lances* de combats. Les événements de LaRoque avaient déjà fait du chemin et tous dans les Marches de l’Est se préparaient à faire la guerre.

À travers les vallées de la région, le bruit des marteaux de forges devait résonner. Les artisans de tout Praveen devaient forger être à l’œuvre aux grandes dames des épouses qui allaient céder leurs maris à l’avide compagne qu’était la guerre.

Mais Smylle et son jeune aide à pied d’œuvre, n’étaient pas seuls autour du grand foyer de charbon incandescent de la forge. Cothyard était aussi bien occupé de son côté.

Assis sur une des chaises sommaires de l’atelier, il travaillait avec concentration sur l’une des pièces de son armure. Il avait remis la main sur l’ensemble complet son père qu’il avait ainsi hérité de facto après la disparition prématurée du Bailli.

Sa famille n’était pas noble et n’avait point de chevaliers. Mais leur rang de bourgeois et leurs implications dans le domaine leur avaient permis certains avantages. Cette armure en était la preuve et Cothyard voulait bien sûr la porter en signe d’honneur à son père. Au même titre que Pierre avec sa nouvelle épée.

Des clous dans la bouche et une main retenant fermement une spalière, le Pravien faisait chanter le marteau à chacun de ses coups pour redonner une seconde vie à cet équipement.

Proche de lui sur l’une des tables de l’endroit, se tenait Folder occupé quant à lui à entretenir sa cotte de mailles. Le pot en bois qui était posé non loin de lui contenait de la graisse et l’homme, armé d’un tissu, entretenait avec attention son équipement de cette matière blanche et épaisse.

Voyant Leto rejoindre son jumeau, Pierre entra à son tour au cœur de la forge. Salué par Smylle, le jeune homme alla vers lui en lui rendant la lame. Sans oublier de le féliciter au passage pour son travail qui était toujours d’une grande qualité. Le maître de l’atelier allait pouvoir enfin imposer les gravures finales que lui avait commandé Pierre.

Se retournant, le jeune homme alla ensuite vers Cothyard sans oublier de caresser au passage l’un des chiens-loups des jumeaux qui avaient quitté le couvert des tables pour presque « saluer » le seigneur des lieux.

— Ce serait bien ironique de dire que tu sembles avoir quelques difficultés à avancer sur cette armure, dit Pierre à présent face à Cothyard.

Voyant l’homme froncer les sourcils comme en désapprobation envers ses dires, mais toujours muet à cause des clous dans sa bouche, Pierre continua.

— Tu sais que Smylle aurait un peu de temps pour régler les « problèmes » que tu as.

Lâchant la spalière qu’il tenait, Cothyard prit enfin les clous de se bouche en se levant.

— Peut-être que j’aime faire ça. Certains se déchainent sur des cibles, fit-il en montrant d’un signe de tête la poutre sur laquelle Pierre avait testé l’arme. D'autres se contiennent en entretenant eux même leurs matérielles.

— Tu aimes avoir le dernier mot, hein ?

— Non j’aime juste avoir raison.

— Hum…

Et les deux n’eurent pas le temps de plus échangé que les bruits d’un cheval se firent entendre. Un cavalier juché sur un fier coursier venait d’apparaître à la porte du manoir. Battant à présent le sol de la cour des fers de son cheval, le cavalier essaya de calmer sa monture.

Ils semblaient fatigués, autant le cavalier que la monture.

L’arrivant ne portait pas d’habits de guerrier ou de noble. Il était simplement protégé derrière une longue cape brune et juste en dessous, Pierre put voir une lanière qui venait faire pendre une sacoche à chacun des mouvements de l’homme.

Quittant la forge, le jeune seigneur alla alors à la rencontre de ce cavalier suivis de Cothyard qui le talonnait. L’arrivant, qui avait mis pied à terre, salua alors Pierre avant de se redresser en prenant la parole.

— Monseigneur, je suis un messager de la reine Anaïs et j’amène une missive à porter à votre attention.

Acquiesçant, Pierre vit alors le messager farfouiller dans la sacoche qu’il portait sous sa cape pour en sortir une petite protection en cuir qui devait contenir ledit message.

Saisissant l’objet que lui tendait le messager, Pierre dénoua la protection de cuir pour lire le message en cassant au passage le sceau de cire aux armoiries de la reine qui scellait le tout.

— Alors… ? fit Cothyard à côté de Pierre.

Refermant le message après l’avoir longuement lu, le jeune homme se retourna vers le Pravien.

— Il semblerait que l’armée de la reine est en marche pour Roussons.

— Elle n’allait quand même pas laisser les hommes du roi Léonard renforcer leur position durant l’hiver. Et je devine qu’elle rappelle à ton bon souvenir ta promesse ?

— Exactement.

— Alors il est temps de faire appel aux seigneurs de Praveen.

— Tu t’en charges ?

— Bien sûr.

Et Cothyard quitta Pierre en appelant le jeune palefrenier de la cour pour préparer sa monture. Lors du rassemblement de LaRoque, les seigneurs locaux avaient parlé d’un signal utilisé du temps des Maleforts pour appeler le ban seigneurial.

Les Kïlnns *, des signes religieux en pierre étaient réparties sur les hauteurs de la région. Ils avaient ainsi été utilisés en tout temps pour allumer des feux signalant l’appel aux armes. Ces dernières semaines, chaque seigneur avait fait en sorte d’entretenir ces points sur leur terre et Cothyard allait allumer celui de Villeurves.

Appelant une des servantes du logis, le jeune Ambroise leur demanda d’offrir le gîte et couvert au messager en rangeant le message que lui avait passé ce dernier. L’homme n’avait pas épargné sa monture, à son humble échelle lui aussi comprenait que le temps était à présent compté.

Les jumeaux qui avaient arrêté leurs taches vinrent alors vers Pierre. Et tous trois regardèrent Cothyard partir au trot ainsi juché sur sa monture.

— Il va allumer le Kïlnns ?

— Oui.

— Tu veux qu’on avertisse les hommes pour partir au plus vite ? fit Leto

— Pas qu’on les ait entraînés pour rien, reprit l’autre jumeau.

— Allez-y, nous partirons demain aux premières lueurs.

— Ce sera fait, « mon seigneur ».

Et les deux hommes quittèrent Pierre pour se rendre au village. En des sourires qui en disaient long.

Les jumeaux avaient passé ces dernières semaines à entraîner les volontaires pour la troupe seigneuriale. Ainsi, il avait regroupé pas moins d’une trentaine d’hommes. Vidant les alentours et les haras du domaine les cousins de Cothyard aussi débrouillards que travailleurs avaient réussi à trouver autant de monture pour former au bas mot quatre lances que Pierre allait pouvoir mener à la guerre.

Ce n’était pas là une grande force de combat, mais pour ce petit domaine, c’était déjà beaucoup et les habitants du village allaient le rappeler au jeune seigneur lors de leur départ.

La journée commençait à toucher à son terme quand Pierre commençait à monter les escaliers du manoir. Le temps avait défilé rapidement avec les impérieux préparatifs du départ qui avaient suivi la venue du messager. Pourtant, la journée, comme les tâches étaient loin d’être finie.

Quelques semaines s’étaient seulement écoulées depuis son voyage à LaRoque et voilà qu’il devait à nouveau partir. La vie de seigneur était plus prenante qu’il ne le pensait ou l’aurait voulue.

Gravissant, seul, les escaliers à la lumière faiblissante des bougies et autres torches réparties sur la montée, Pierre se dit que le moment de s’occuper de la paperasse était venue.

Arrivant dans le couloir de ses appartements, il entra dans sa chambre et face à lui siégeait à présent un monceau de lettres et autres billets déposés par Pilgrym sur sa table.

L’homme était d’une grande aide, il permettait au jeune seigneur de déléguer la charge de travail que requérait le domaine. Le religieux rappelait presque à Pierre son ancien tuteur.

Mais s’il y avait bien une personne qui lévitait bien religieusement ces derniers jours, c’était Lise. Bien ironique venant d’une sorcière. Elle était contre les jeux de pouvoirs et autres affaires de nobles dans lesquelles Pierre avait plongé corps et âme, ils en avaient déjà parlé. Mais le retour du jeune homme couplé à l’annonce de son union avec la famille Roncenois avait pris de court la jeune sorcière.

Est-ce que les dires de Cothyard étaient plus réels qu’il ne l’avait lui-même cru ?

Quand il s’agissait de Lise, Pierre n’était sûr de rien.

Balayant ces pensées de son esprit, le seigneur d’Ambroise s’assit alors face à la table et aux documents qui y prenaient place. Son travail journalier allait encore lui demander quelque temps.

Alors qu’il s’apprêtait à se saisir de sa plume pour écrire, il regarda au loin. Un point de lumière prenait sur la hauteur de la montagne face à sa vitre.

Cothyard avait dû enfin atteindre le Kïlnns et allumer le bûcher qui y avait été érigé. Ce dernier, qui prenait sur ligne de crête, éclairait la presque nuit qui avait pris la région et il fut bientôt puissamment visible.

Et il ne resta pas seul longtemps, ses homologues furent allumés les uns après les autres dans toute la région. Les signaux de guerre de Praveen appelèrent les seigneurs à prendre les armes.

*

Une lance : Ce terme désigne un groupe de combat médiéval. C’est une formation au sein d’une armée médiévale composée de cinq à huit hommes. Souvent un chevalier ses hommes d’armes qu’ils soient simples piétons, archers ou bien même arbalétriers et tous sont à cheval. Parfois, ce groupe peut être accompagné par un page rattaché au noble ou chevalier et un cheval dit « sommier » qui porte les équipements lourds de la troupe.

Kïlnns : Ce sont des sculptures en pierre faites en l’honneur des Sauveurs parfois en image d’un seul d’entre eux. Ces derniers sont répartis dans tout le royaume. Mais c'est dans la région de Praveen qu’on en retrouve principalement le plus et surtout de manière entretenue. Ils ont été construits à des emplacement surélevés pour dominer la région et au fil des années les nobles les ont utilisés comme point de signaux pour avertir de la guerre ou du danger, ainsi il n’est pas rare de trouver des bûchers et autres amoncellement des bois à côtés des ces sculptures.

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