Chapitre 58 : Des lames dans la nuit

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Volküm

29e jour du mois d’août de l’an de grâce 1205 AE.

Périssier ; après la prière des Complies

Royaume du Corvin

La nuit avait déjà bien assombri la ville de Périssier quand plusieurs ombres passèrent furtivement sur les toits de cette cité. De leur hauteur, ils pouvaient voir la grande ville du Bas Corvin être baignée dans cette obscurité d’où seules les quelques torches présentes dans les rues brisaient la monotonie ambiante. Elles permettaient aux rares âmes encore dehors d’être guidées sur leur chemin en de nombreux et distants halos de lumière orangée.

Dépêchez-vous de rentrer, pensa l’une des formes noires qui arpentaient ces dangereux chemins en hauteur. Si les hommes dominaient le jour, la nuit était loin d’être leur domaine. C’était celui des ombres de l’ordre, celui des Veilleurs.

Mais les couleurs vives des torches n’étaient pas la seule chose qui interpellait l’ombre. Ses sens en éveil, elle pouvait sentir les habitants assoupis de la demeure même qu’elle parcourait. Mais plus encore l’odeur âcre qui sortait de la cheminée sur laquelle elle s’appuyait à présent.

Ils y en avaient nombre qui fleurissaient sur les toits de la ville et les fumerolles noirâtres qui en sortaient charriaient cette odeur de bois brûlée que l’ombre détestait au plus haut point.

Ce n’était pas encore l’hiver que les hommes étaient déjà accablés par le « froid »…

Avançant toujours sur ce sol friable et traître qu’étaient les tuiles des bâtiments, l’ombre s’arrêta net en une réaction presque surnaturelle lorsque la forme qui menait le groupe se stoppa en levant sa main.

Alors que ses camarades autour d’elle s’étaient aussi arrêtés en s’agenouillant, l’ombre avança baisser jusqu’au bord de toit où se trouvait le membre le plus avancé du groupe.

L’ombre sentit alors comme une voix lointaine, mais à la foi proche résonner dans son esprit et elle écouta. Les paroles qu’elle perçut étaient brèves et aussi incisives qu’une lame.

Inquisiteur, fit la voix dans l’esprit de l’ombre. Gardes, en nombre.

Regardant le longiligne bâtiment qu’observait sa semblable, l’ombre le reconnue au premier regard. C’était celui de l’inquisiteur Kreisth. Les maîtres de l’ombre avaient eu recours à ses services, à tel point qu’il était maintenant un des membres de ce vénérable et non moins secret ordre.

Observant le haut muret qui entourait la bâtisse, l’ombre pouvait voir les hommes de l’inquisiteur en pleine patrouille. Ils étaient, eux aussi, éclairés par leur torche formant de petits points lumineux dansant sur la structure défensive.

Pourquoi avoir peur du noir !? se dit l’ombre en souriant. Ce n’est pas la lumière qui vous gardera en sécurité.

L’endroit était bien gardé et les hommes de l’inquisiteur n’étaient pas de simples combattants comme ceux des milices urbaines de la ville. L’ordre avait été clair sur la marche à suivre et l’ombre allait devoir s’appliquer pour mener à bien leur mission.

Attaque ? fit à nouveau une voix dans l’esprit de l’ombre.

Sentant que les regards des occupants du toit étaient en intégralité tournés vers elle, l’ombre acquiesça légèrement d’un signe de tête pour signifier le début des hostilités et tous se mirent à bouger.

Tandis que ses homologues se répartissaient sur les toits environnants, l’ombre se mit debout en observant la muraille. Une rue marchande bordait le bâtiment et les commerçants avaient laissé leurs chargements contre l’enceinte défensive.

Une aubaine, se dit l’ombre.

Se tenant droit sur ce « belvédère » improvisé qu’offrait le toit, elle dénoua alors le lacet de sa cape noire qui vint s’échouer sur les tuiles. Cet habit supplémentaire l’aurait gêné dans ses mouvements et l’ombre ne pouvait se le permettre. Elle aimait tout contrôler en combat. La longue pièce de tissus noirs à présent sur le sol avait caché jusque-là, l’armure de cuir sombre que portait l’ombre ainsi que les nombreux fourreaux qui y étaient accrochés. L’ombre allait ainsi faire son œuvre et s’occuper de l’inquisiteur. Les soirées passées à observer ce lieu allaient enfin servir.

Avançant jusqu’au bord du précipice de plusieurs étages, l’ombre vint suspendre son premier pied au-dessus du vide avant de faire la même chose avec son second ce qui la fit chuter droit comme un i dans le vide.

Fondant sur les pavés de la rue, l’ombre se réceptionna sur le sol mais nul bruit ou blessure pour elle. Elle s’était relevée de sa chute avec une agilité toute féline et se mit à nouveau à marcher comme si de rien n’était. Dégrafant l’un des fourreaux qui pendait sur son torse en marchant dans l’allée vide de toute trace de vie, l’ombre avançait à présent armée.

Se déplaçant discrètement dans un silence des plus anormaux, l’ombre progressa jusqu’à la muraille en passant d’étal en étal, de caisse en caisse.

Se plaquant contre les pierres froides de l’enceinte, l’ombre resta dissimulée face au garde qui passait au-dessus d’elle. La lumière orange qui avait accompagné le guerrier quitta alors la position de l’ombre et cette dernière se mit alors en action.

Prenant appui sur le vieux mur de pierre, l’ombre monta l’obstacle sans difficulté apparente et posa les pieds sur le plancher de la défense. La cour de la demeure était elle aussi bien calme. Face à l’ombre, il y avait seulement trois torches qui parcouraient la froide obscurité de la nuit. Celle qui était passée sur le mur et deux autres qui parcouraient les nombreuses caisses de la cour.

C’est trop calme, les autres soirs il y avait presque huit hommes en factions… L’inquisiteur devenait négligent, à moins que le destin ne sourît enfin à l’ombre et à l’ordre. Béni soit Malakaï, il devait veiller sur ses enfants.

Descendant dans la cour, l’ombre se plongea alors dans le véritable labyrinthe de caisse qui y prenait place. Se déplaçant encore plus silencieusement qu’avant, elle avait tous les sens en éveil. Entendant les pas de chacun des hommes présents, elle se plaqua alors contre le bois des caisses. Il y avait là plus de personnes qu’elle ne l’avait crue.

Fermant les yeux pour se concentrer, l’ombre pouvait entendre les pas des personnes présentes et l’une d’elles se rapprochait d’ailleurs de l’ombre. Se concentrant, elle fit ralentir sa respiration et tenta de se caler sur les lourds pas du garde en approche. Ce dernier s’aidait de sa lance qui frappait le sol juste à intervalle régulier avant ses pas. Il ne devait pas porter de torche, car l’ombre n’entendait pas le bruit des flammes. Là était la raison pour laquelle l’ombre ne l’avait pas vue.

JE deviens négligentMontrons à ce guerrier son erreur, il devrait avoir peur de la nuit comme ses camarades.

Alors que le garde passa à côté même de l’ombre, cette dernière, qui avait toujours en main l’une de ses lames, attaqua.

En un instant, l’ombre était passée derrière l’homme pour rejoindre les caisses qui bordaient l’autre côté du passage. Le garde qui s’était arrêté avait lâché sa lance qui rebondit sur les pavés en se tenant fermement la gorge.

Rengainant sa lame, l’ombre l’entendit alors s’écrouler au sol.

À nouveau dos contre les caisses et un mort à son actif, l’ombre observait les toits par lesquels elle était venue. Pour des yeux avertis comme les siens, les formes qui y prenaient place étaient visibles. L’ombre pouvait continuer, on surveillait sa progression.

Avançant dans l’allée entre les caisses, l’ombre passa au-dessus du corps du défunt. Dommage, se dit-elle. Il aurait pu être utile contre le culte, ils pouvaient tous être utiles mais ils étaient suspectés de trahisons et on ne pouvait trahir les Veilleurs !

Avançant dans la cour, l’ombre progressa à l’affût sous le couvert des nombreuses caisses. Les pauvres âmes qui passèrent proche d’elle rencontrèrent le même sort que le premier garde. Ils tombèrent sans bruit sous la lame froide de l’ombre. Les rares gardes qui réagirent à temps ou qui surprirent l’intrus furent cependant arrêtés dans leur élan. Les camarades de l’ombre, de leur hauteur, firent pleuvoir les carreaux de leurs arbalètes en fauchant la vie des hommes de l’inquisiteur avec autant de rigueur que leur congénère qui avançait dans la cour.

Après avoir laissé sa traînée sanglante de morts, l’ombre fut alors enfin contre le bâtiment de l’inquisiteur. Elle s’agenouilla vers la porte et observant la fermeture de cette dernière entreprit de l’ouvrir. Sortant de la petite sacoche qui pendait à sa ceinture des outils, l’ombre fit glisser le mécanisme de la serrure avec ses crochets dans un clic bien audible en la déverrouillant.

Rangeant ses précieux outils, l’ombre les troqua à nouveau pour l’une de ses lames courtes et, poussant de la main la porte, ouvrit le passage face à elle.

Tandis que les pieds de l’ombre foulaient le vieux plancher grinçant de la demeure, elle put entendre au loin le bruit court et étouffé des trois ombres qui mirent à leurs tours pieds sur les pavés de la rue.

Il ne restait maintenant plus qu’une personne pour le couvrir des toits.

La chose présentait enfin un peu de défis et l’ombre sourit face à cela.

Mais tandis que l’ombre avait été déconcentrée pendant un bref instant, elle ne fit pas attention à l’homme qui était assoupi dans le couloir. Ce dernier au grincement de la porte et au froid qui rentra s’éveillait de sa torpeur.

Ses yeux confus par son sommeil changèrent en un instant quand l’ombre fondit sur lui. Sautant, elle bloqua le garde qui essayait de dégainer son épée, mais l’ombre déjà fermement cramponnée sur lui l’en empêcha de sa main gauche tandis que sa droite elle mania sa lame.

L’acier finement aiguisé glissa avec fluidité sur la peau de l’homme et le sang se mit alors à couler abondamment de l’ouverture ainsi dessinée sur la peau du garde. L’ombre le regardait dans les yeux, ses traits de colère et ses sourcils froncés firent très vite place au vide et à la mort qui venait le chercher. Non sans laisser un sourire sur son visage.

Ne sentant plus aucune force à l’homme, l’ombre le laissa glisser jusqu’au sol en peignant contre le mur de la bâtisse une traînée bien rouge. Passant sa lame sur la tenue du mort, l’ombre enleva la moindre trace de sang et continua son avancée.

Pourquoi avait-il souri face à l’ombre, face à la mort elle-même ?

Les hommes de l’inquisiteur, étaient-ils fanatiques à ce point ?

Non ! Il y avait autre chose... Et l’ombre emporta ses questionnements avec elle.

Entre-temps, ses trois autres camarades l’avaient rejoint et tous les quatre progressèrent dans le bâtiment. Chaque vie qui se dressait sur leur chemin fut enlevée avec autant d’application et en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire les ombres avaient rejoint l’étage où se trouvait le bureau de l’inquisiteur.

Alors que sa main touchait la poignée de la porte, l’ombre sentit alors à nouveau cette sensation presque blessante dans sa tête le stoppant net dans son action.

VOLKUM ! fit la voix avec insistance et regardant par la fenêtre l’ombre comprit qu’on l’avait averti quand un carreau vint traverser la vitre pour se figer juste vers les escaliers.

Un homme qui était resté caché s’écroula avec grand bruit dans les marches bientôt suivi par une clameur générale qui prit tout le bâtiment. Par ces bruits et les pas qui résonnaient, l’ombre comprit que la lutte allait être ardue.

— Peste soit cet inquisiteur ! Retenez-les ! dit l’ombre.

Avec plaisir mon frère, firent les trois ombres en cœur dans l’esprit de Volküm. Les voyant partir combattre, l’ombre ouvrit quant à lui la porte pour entrer dans le bureau de l’inquisiteur.


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