Chapitre 3: Le domaine Familial

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Pierre d'Ambroise, seigneurie familiale

Le soleil, qui avait tant peiné à atteindre son zénith, commençait maintenant à faire place à des nuages grisonnants. Une moiteur s'était abattue sur le domaine. Cela faisait plusieurs heures que le groupe de Pierre arpentait la route. Tous avancaient silencieusement vers le château. L'excitation de la chasse, puis de la course, avaient fait place à un calme certain et Pierre cheminait en tête de la troupe. Depuis un moment déjà le groupe s'était extirpé du labyrinthe vert que représentaient les forêts du domaine. À présent, il arpentait des étendues de blé, véritable océan jaune s'étendant à perte de vue. La monotonie des champs était brisée par des moulins et panneaux qui s'étendaient le long du sentier qu'empruntait la troupe de chasse. Pierre, qui laissait son regard vagabonder entre les détails que lui fournissait le décor, se laissa happer par le panneau au bord du sentier. Il pouvait apercevoir gravé dans le vieux bois le nom du village où se trouvait le château familial.

Le chemin qu'il entreprenait ainsi à travers la partie agricole du domaine d'Ambroise avait été ponctué par les nombreux serfs* au bord de la route qui ne manquaient pas l'occasion de saluer l'héritier de leur seigneur. Pierre connaissait bien les fermiers et autres gens du cru. Véritable petit aventurier quand il était plus jeune, il avait de nombreuses fois vagabondé dans les champs et aidé lors des récoltes d'été. De par ce contact qu'il avait tissé avec les habitants, la population locale l'appréciait. Les champs qui finissaient enfin par s'achever laissaient alors place à une série interminable de masures. Celles-ci marquaient le début du village où se situait le château d'Ambroise. L'endroit se trouvait être la plus habitée de la région.

Les premières bâtisses, d'une fabrication sommaire, accueillaient les moins aisés du domaine, mais pas les moins importants. Ces gens représentaient la main-d'œuvre irremplaçable des cultures alentour. Sachant cela, des tourelles de garde avaient été dressées depuis de nombreuses années entre les champs et ces maisons. En continuant son chemin, le groupe pénétra plus en avant dans le village, la route jusqu'ici une piste se transforma petit à petit en chemin partiellement pavé. Plus le groupe avançait et plus les maisons étaient importantes. Celles du centre arboraient une architecture à colombage et pouvaient atteindre jusqu'à deux étages. Elles présentaient des pierres plus finement taillées dans leur infrastructure.

Pierre fit tourner son cheval à un embranchement pour traverser le marché. Celui-ci pouvait témoigner du développement économique de la région qui s'était vue transformée après la prise de pouvoir de son père. Celui-ci s'était avéré être un dirigeant plus avisé que ses prédécesseurs, divergeant des traditions militaires de ses aïeux. Grandement portée sur la guerre, la région avait été un pôle de commerce avec les royaumes avoisinants du nord. Cependant, ces activités croissantes dans le domaine commercial ne l'empêchaient pas de posséder une force militaire importante. La famille d'Ambroise était l'un des piliers de la défense du territoire au nord du royaume du Corvin. Cela se voyait à chaque pas dans le village. Pierre et sa troupe croisaient de nombreuses patrouilles locales qui ne se privaient pas de le saluer chaleureusement.

Le groupe de Pierre, après avoir navigué dans les ruelles, se trouva enfin à l'orée du village. Le jeune homme aperçut alors le château de sa famille. Il se trouvait sur un surplomb qui dominait le bourgade et la campagne alentour. Il découvrit en premier lieu des fanions bleus et blancs qui se dressaient fièrement à la pointe de la toiture des tours. Le monument défensif d'une taille conséquente était composé d'une haute enceinte extérieure. L'infrastructure entièrement de pierre laissait apparaître des hourds en bois à ses extrémités. À l'approche de la porte principale, le groupe se tenait maintenant en face de l'imposante structure d'entrée du château. Celle-ci était surmontée de deux étages de créneaux.

Au-dessus d'une porte en bois cloutée, le jeune homme pouvait admirer l'emblème de sa famille taillé dans la pierre. Les gardes de l'entrée saluèrent les arrivants, ils étaient rassemblés autour d'un petit feu et se divertissaient en parlant de tout et rien. Se voyant salué, le groupe s'aventura alors dans la barbacane. L'ouvrage faisait partie des nombreuses améliorations bâties par ses aïeux durant les décennies de guerres connue par le royaume contre ses béliqueux voisins.

Dépassant la structure défensive, Pierre pénétra dans l'enceinte du château. La basse-cour était en pleine ébullition : les serviteurs s'agitaient en tous sens et les chariots qui trônaient au milieu de la place se voyaient chargés. Caisses, habits et objets d'usage courant étaient rassemblés pour ce qui s'apparentait à un voyage important.

Ainsi arrivé dans la cour, le groupe se dispersa peu à peu. Le maître de chasse et son apprenti se dirigeaient vers les cuisines toutes bouillonnantes d'activité à l'approche du repas. Les hommes d'armes qui avaient accompagné Pierre se dirigèrent quant à eux vers les écuries pour retourner à leur baraquement et, bientôt, le jeune Ambroise se trouva seul à cheval, accompagné de son ami Charles. Mettant pied à terre, ils confièrent leurs montures au palefrenier des lieux. Tapant ses bottes sur les pavés du sol, Pierre tenta d'essuyer la boue qui s'y était accrochée. Il n'eut cependant pas le temps de finir sa besogne qu'un homme fit irruption dans les écuries.

— Où se trouve-t-il ? claironna une voix forte.

Pierre ne pouvait que reconnaître ce ton plus que familier. Il s'agissait de son tuteur, le prieur Corbius. Homme d'une grande piété, il officiait pour la famille d'Ambroise bien avant la naissance de Pierre. D'une stature assez moyenne, il arborait une barbe de trois jours bien grise et avait les cheveux rasés.

— Ah ! Te voilà Pierre, dit Corbius d'un phrasé rapide comme à son habitude. Je voulais te demander si tu avais vu ton frère. Il s'est encore absenté à mon cours de ce matin, je crois qu'il est encore allé baguenauder au village. À son âge, il n'est plus toléré de gaspiller son temps comme ça.

— Corbius, continua Pierre en le saluant chaleureusement. Je crois qu'Eudric n'est pas porté sur les écrits, vous devriez le concevoir à présent.

Ce dernier grimaça à cette annonce.

— Mon cher, renchérit Corbius, les cours que je vous ai prodigués et que je lui prodigue sont les bases des hommes de votre rang. Je ne vais pas en tenir compte pour cette fois, mais vous devez le convaincre d'arrêter d'agir de la sorte. Je peux compter sur vous, Pierre ?

Souriant, le jeune Ambroise accompagnait Corbius hors de la grange.

— Je ferai ce que je pourrai, prieur, mais bien parce que c'est vous.

— Parfait ! conclut Corbius en partant d'un pas rapide. Je savais que je pouvais compter sur vous, finit-il en s'éclipsant.

Pierre regardait son fantasque tuteur partir. Charles vint alors se porter à la hauteur de son ami.

— Sacré personnage, ce Corbius ; dit Charles en esquissant un sourire. Bon, je crois qu'on devrait pas faire attendre ton père pour le souper.

— Allons-y, confirma Pierre en bougeant.

Les deux hommes partirent donc en direction de la grande salle pour manger. La matinée avait été agitée avec cette chasse et Pierre attendait impatiemment le repas.

Les deux amis marchaient dans les couloirs du château, zigzaguant entre les domestiques qui s'affairaient aux préparatifs de départ. Tous deux sursautèrent quand un individu les surprit en sautant vers eux. Surgissant d'un coin de pénombre, il s'agissait du frère de Pierre, le jeune Eudric. Celui-ci, s'appuyant sur leurs épaules, rigolait comme un enfant après une bonne farce.

Eudric était un jeune homme brun de dix-sept étés. Souriant en toutes circonstances, il était de deux ans le cadet de Pierre. Digne représentant de ses racines du haut Corvin. Son visage, bien que jeune, comportait déjà les traces d'une vie rude au nord. Ses cheveux bruns coupés court et ses yeux verts encadraient un nez court et aquilin.

— Alors les amis, on va chasser sans même m'inviter? questionna Eudric d'un air jovial.

Charles lui répondit d'un sourire amical tandis que Pierre soupirait.

— Tu sais, si on ne t'a pas invité, c'est que tu avais des cours avec le prieur Corbius, que tu n'as pas jugé bon d'honorer d'ailleurs, répliqua Pierre.

À ces mots, Eudric tiqua et répondit du tac au tac.

— Voyons Pierre, tu sais comme moi que ces cours peuvent être soporifiques. Mais bon je pense que tu dois avoir encore raison, enfin je suppose.

Pierre acquiesça.

— Mais je dois cependant te faire remarquer que ce temps a été plus que bien investi (Eudric regarda les alentours avant de continuer) Tu te rappelles la fille du drapier, celle du centre?

Pierre fit un oui de la tête.

— Eh bien, je suis allé la voir et... On va dire que l'on s'est plutôt bien entendus.

Pierre souffla de désespoir.

— Eudric, tu sais que si Corbus apprend la raison de ton absence, ça risque de chauffer.

Ce fut alors Charles renchérit sur les avertissements de son ami :

— Pas seulement Corbius, si ton père le sait tu vas passer un sale quart d'heure.

— Mais je peux bien sûr compter sur votre discrétion et votre soutien, mes amis, dit Eudric tout en s'éclipsant petit à petit de ses deux interlocuteurs pour rejoindre la pénombre dont il avait émergé. Je vous laisse pour le moment, on se retrouve au repas, finit-il avant de les quitter aussi soudainement que son apparition précédente.

Charles se tourna alors vers Pierre ; ils n'eurent pas besoin d'échanger de mots et se comprirent d'un regard. Leur trio s'entendait depuis belle lurette, mais les aventures d'Eudric se faisaient de plus en plus nombreuses et cela mettait leur petit groupe en péril.

Pierre devait trouver un moyen de détourner Corbius de sa tâche envers Eudric. Tout cela devenait dangereux...

Les deux compères marchaient déjà depuis un moment dans les longs couloirs du château lorsqu'ils aperçurent la fin du trajet. Pierre pouvait sentir les mets raffinés au loin. Passant devant les cuisines, ils pouvaient apercevoir un ballet incessant de domestiques s'affairer à la préparation du repas de midi.

Pierre prit un embranchement à droite de la cuisine et s'engouffra dans un escalier en colimaçon. Émergeant de celui-ci avec son ami, il put voir la porte, solide et grandement décorée, qui marquait le début du grand hall du château.

Poussant cette dernière, ils entrèrent dans une imposante pièce. Le Grand Hall de la famille d'Ambroise regorgeait de décorations et de détails. Contrairement au faste de l'Eclesiarchie ou de la royauté, les ornements présents restaient assez sobres. Une complexe charpente décorée surplombait la pièce, des drapeaux y étaient accrochés à intervalle régulier. Le Grand Hall était bordé par une grande rangée de fenêtres sur son mur axé à l'extérieur. La lumière émise de celles-ci venait se réfléchir contre les nombreux trophées de chasse accrochés au mur opposé et une imposante table en vieux chêne trônait au milieu de la pièce.

Pierre pouvait déjà apercevoir son père attendant fièrement sur la haute chaise du seigneur. D'une forte carrure, Durand dominait la tablée. Habillé de vêtements robustes, il avait posé sa cape en peau de loup sur le dossier de sa chaise. Son visage était en adéquation avec sa tenue : Son faciès présentait des rides, preuve d'une vie déjà longue. Arborant une barbe fournie, il possédait des yeux bruns et des arcades prononcées. Ses cheveux étaient coupés court. Le regard du seigneur Durand se posa sur les deux compagnons qui avaient fait irruption dans la pièce. Mais ce ne fut pas le seul. À la droite du seigneur se trouvait la mère de Pierre qui les avait vus dès leur entrée. En exact opposé de son mari, la dame d'Ambroise se nommait Ava, elle était d'un physique et d'un apparat tout à fait différent. D'une corpulence et d'une taille moyenne, elle était habillée à la façon du Sud.

Sa robe arborait des couleurs chaudes dans le plus pur style du Bas Corvin. Cependant. ses couleurs chatoyantes étaient camouflées. Ava était emmitouflée dans un habit chaud en peau d'animal qui la couvrait en reposant de ses épaules jusqu'au sol.

Un sang sudiste coulait dans les veines d'Ava et, malgré ses nombreuses années passées dans le nord, son corps ne s'était toujours pas acclimaté au temps plus frais. Bien qu'elle eût un âge presque identique à celui de son mari, elle avait encore un visage rayonnant et n'avait que peu de traces de vieillesse.

Ses yeux d'un vert clair étaient aussi colorés que sa robe. Ava avait également un nez plutôt court et discret etes cheveux d'un brun clair étaient noués en une tresse reposant sur son épaule droite.

D'un air détaché comme à son habitude, Durand accueillait les nouveaux arrivants.

— Ah! mon fils, commença-t-il d'une voix forte et portante. J'espère que tu as fais une chasse intéressante ce matin.

— Oui père, continua Pierre. Nous avons eu la chance de trouver de nombreux petits gibiers dans les bois au nord.

— Bien. Maître Leufred va sûrement aider le cuisinier à les préparer.

Pendant la conversation, Pierre et Charles s'étaient rapprochés de la table et commençaient à s'asseoir.

Durand tourna alors son regard vers Charles.

— Alors jeunot, j'espère que ce mois passé dans mon domaine aura été d'un quelconque intérêt. dit Durand en se repositionnant sur sa chaise.

Tout en s'asseyant, Charles n'eut aucune difficulté à répondre à seigneur. Le mois passé au château l'avait accoutumé à sa voix forte.

— Je dois bien vous avouer, monseigneur, que ce mois est passé bien vite. Votre domaine est vaste et les activités y sont nombreuses. De plus, les cours du prieur Corbius sont captivants.

Durand, souriant à la phrase de Charles, s'éclaircit la voix avant de continuer.

— En parlant de ce cher prieur... Je voulais te le dire, Pierre. Notre bon Corbius restera ici en notre absence. Je le chargerai des affaires courantes du château.

Pierre fronça les sourcils.

— Père, n'avez vous pas prévu de confier les affaires à mon frère le temps de notre absence?

Durand émit un petit rictus amusé à cette annonce.

— Tu sais que je ne peux pas faire confiance à ton frère, toujours à vagabonder. Je sais d'ailleurs de Corbius qu'il n'a pas honoré son cours de ce matin. Je l'emmènerai donc à la capitale et profiterai du voyage pour lui parler.

Pierre et Charles s'échangèrent un regard après cette annonce.

— D'ailleurs je crois que ce n'est pas le seul à avoir vadrouillé ce matin, n'est-ce pas ? dit Ava d'une voix calme et posée.

Comme pour faire acte à ses paroles, Ava passa ses doigts sur la joue de Pierre qui se crispa. La marque rouge qu'il arborait après sa course effrénée avec Charles était encore à vif.

Pierre n'eut pas le temps de réfléchir pour formuler quelques réponses qu'Eudric entra dans la salle à la vue de tous.

Durand ne perdit pas un instant pour le saluer.

— Ah, Eudric, tu nous gratifies de ta présence. Je dois dire qu'après ton absence de ce matin, je commençais à douter de ta venue ce midi.

Eudric, qui s'asseyait à côté de Charles, ne laissa paraître aucune réaction ou du moins savait bien les dissimuler.

— Père vous devriez savoir que je ne manquerais pas une occasion de vous voir, mère et toi, commença-t-il comme pour détendre la situation. Je ferai d'ailleurs mes excuses au prieur Corbius dès que je le pourrai.

— Alors tu devrais le faire vite, lui répondit Durand. Car tu pars avec nous cet après-midi. Corbius restera au château pour s'occuper des tâches du domaine. Il veillera au bon ordre des lieux le temps de notre absence.

Durand, après s'être adressé à son cadet, retint les regards de l'assemblée et continua.

— Comme vous le savez, notre roi est mort. Son successeur, qui sera de toute évidence la princesse Anaïs, a convoqué le banc seigneurial pour un banquet. Toutes les familles du Haut et Bas Corvin sont invitées dans leur intégralité. J'ai d'ailleurs averti ton père, Charles, et tu feras la route avec nous, finit Durand avant de faire un signe aux domestiques.

Pierre, à cette nouvelle, sourit et tourna son regard vers les domestiques qui apportaient les repas.

Durand, en congédiant le domestique qui le servait, s'adressa une dernière fois à ses quatre convives.

— Les affaires ont été préparées dans la cour et nous partirons dès que le repas sera fini. Sur ce, bon appétit à tous ! Pierre, je te laisse dire les bénédicités avant de manger.

Pierre s'exécutant, le repas put enfin commencer. La famille au complet partagea un dîner plus que copieux.

* Serf : paysan médiéval lié à son seigneur.

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