Chapitre 9: Dames et chevaliers

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Pierre d’Ambroise, place de joute royale à la Capitale Fressons


Les célébrations qui avaient suivi la victoire d'Eudric furent plus que mémorables. Le groupe de joute de la famille d'Ambroise avait été félicité bruyamment par la foule et Eudric, qui n'était bien sûr plus en état de saluer en retour qui que ce soit à cheval, se fit aider par ses hommes. Ainsi soutenu, il put descendre de selle et faire un tour d'honneur pour remercier les spectateurs grâce à ses deux fidèles appuis l'aidant à marcher. Se reposant d'une main sur l'un d'eux, il salua toute en arborant son grand sourire habituel. Malgré sa jalousie légitime, Pierre était cependant heureux pour son frère, qui méritait amplement ces éloges. Le groupe d'Ambroise au grand complet avec le retour d'Eudric se mit donc en chemin pour rallier leurs tentes à proximité. Mais Pierre, malgré les réjouissances, était inquiet. Eudric se déplaçait avec difficulté et, arrivés à ses quartiers, des servants l'aidèrent à s'asseoir et à se séparer des premières pièces de l'armure.

Ainsi libéré de son heaume, Pierre pouvait voir le visage de son frère et la crispation de celui-ci lorsque ses aides tentèrent de lui enlever son armure. L'impact de la dernière passe d'armes était visibles sur le côté de la protection, l'acier autrefois lisse était enfoncé et bloquait le plastron avec l'épaulière gauche. Le forgeron des lieux tenta alors de se mettre au travail pour séparer les deux pièces de l'armure. S'appuyant sur le plastron, il essayait avec force de faire sauter l'épaulière. Il dut s'arrêter précipitamment quand Eudric lâcha un hurlement audible des tentes avoisinantes. Ce dernier était allongé sur la table du centre et se tordait de douleur, le forgeron ne sachant plus où se mettre essayait tant bien que mal de s'excuser envers son jeune seigneur.

Pierre s'avança donc et demanda les outils à l'homme. Ainsi équipé, il tira une chaise près de la table pour se placer aux côtés d’Eudric. Passant sa main sur l’armure meurtrie, il s’adressa à son frère en approchant avec ses outils.

— Tu aurais pu te faire tuer, imbécile, pourquoi avoir pris une posture aussi offensive ? commença Pierre en prenant l’épaulière avec sa pince.

Grimaçant, Eudric tentait de sourire avant de poursuivre.

— Je devais gagner la dernière passe. Père m’a mis à l'épreuve en me désignant pour représenter notre maison aux joutes de ce matin. La place te revenait on le sait tous les deux. Je devais faire une bonne impression.

Pierre soupira en réponse.

— Il y a une différence entre se mettre en avant et se mettre en danger. Tu n’avais pas assez d'expérience pour ce matin, finit Pierre en faisant des signes au maître forgeron.

L'homme se positionna de sorte à retenir Eudric sur la table. D'un geste puissant, il fit levier et, dans un grincement métallique, la pièce d'armure sauta. Eudric qui était maintenu par le forgeron émit un léger cri qu'il tenta de retenir. Jurant par tous les Saints, il avait les yeux humides de larmes. Pierre, qui s'affairait à enlever le reste de l'armure, appela son page et lui demanda de trouver un guérisseur pour son frère. Le jeune homme sortit alors précipitamment de la tente comme si le Créateur était a ses trousses et il courut à la recherche d'aide.

Au bout d'un moment, qui parut une éternité pour le jeune homme, Eudric fut enfin liberé de sa carapace d'acier. Il s'était évanoui de douleur et gisait sur la table avec un air serein qui déconcertait son ainé .

Se servant un verre de vin, Pierre était à présent debout et essuyait la sueur qui perlait de son front. C'est à cet instant que Durand fit irruption dans la tente. Suivi par une véritable foule, il amenait un guérisseur et le page de Pierre. L'homme plutôt âgé ne perdit pas une minute et alla ausculter son patient. Durand quant à lui avait examiné la situation et se dirigeait à présent vers son fils ainé. Buvant une dernière gorgée, Pierre salua son père.

— Eudric a remporté une belle victoire face aux Lamognes. Sa dernière passe en a impressionné plus d'un dans la tribune royale.

Pierre ne laissa paraître aucune émotion face aux dires de son père.

— Eudric a gagné, mais je crois qu'il est hors jeu pour le reste de la compétition, dit-il simplement avec un air embêté.

— Alors il t'incombe de continuer, Pierre. J'ai voulu tester Eudric en entrée de tournoi pour voir ses capacités, il avait des choses à me prouver. Je te gardais dans ma manche pour la suite. Ne me déçois pas, fils.

Sur ces mots Durand tourna les talons et s'en alla. Pierre, soufflant, avait maintenant la responsabilité du tournoi sur les épaules. Regardant son père s'éloigner, il entendit son page qui s'approchait et lui dit à voix basse :

Je crois que cet après-midi sera l'heure de briller, mon seigneur. Je me suis renseigné auprès des arbitres et après leur avoir donné quelques couronnes, ils m'ont dit votre prochain adversaire : les Montanie.

Pierre, souriant intérieurement, choisit soigneusement sa réaction.

— Merci Lionel, va donc préparer mon armure, cette journée sera à nous.

Le jeune page s'éloigna donc et laissa son maître à ses pensées. Il lui restait à vaincre ses concurrents avant de retrouver son ami Charles sur la lice.

Le début d'après-midi avait été plutôt calme, Pierre s'en était allé manger dans une des échoppes locales avec des hommes de la famille. Le repas plus que copieux avait amplement suffi car il se dirigea ensuite vers sa tente personnelle. Le stress et l'excitation commençaient à se réveiller en lui. Faisant les cent pas dans ses quartiers, il essaya de se vider la tête de toutes les pensées qui pouvaient le distraire. Il devait à présent agir comme un prédateur et se focaliser sur sa proie. D'après les informations que le jeune page avait glanées, les Montanie allaient faire concourir l'aîné de leur famille. Pierre allait donc faire face à un adversaire de même calibre que lui. Il visualisa alors dans sa tête les mouvements qu'il allait devoir faire. Il imaginait déjà la force de son cheval, le poids de sa lance et l'espace serré de son armure. Pierre n'aimait pas ces grandes armures de métal, mais il était obligé de les utiliser s'il voulait survivre à la joute prévue. Attendant ainsi depuis un petit quart d'heure, le jeune homme vit son page et plusieurs hommes apporter son armure.

Le jeune Ambroise s'approcha donc. Il admirait l'imposante armure de plates. Son heaume était peint aux couleurs du royaume et un ours sculpté trônait sur l'extrémité. La pièce d'acier comprenait des plaques de métal poli, il pouvait voir son reflet dans celle-ci et félicitait intérieurement le page qui l'avait briquée toute la matinée. Pierre avait pressenti que les événements prendraient ce genre de tournure et avait donné des ordres allant en ce sens à son jeune servant pour préparer son équipement. Toujours dans sa bulle, Pierre se plaça au milieu de la tente et appela ses hommes pour mettre l'armure. Déjà équipé d'un épais gambison, les aides présents s'attelaient à assembler les nombreuses parties de la lourde protection. Se dressant au milieu de la tente, Pierre admirait les hommes autour de lui. Rompus à la joute depuis l'époque de son père, les serviteurs ne perdaient pas un instant. Mais il fallut tout de même un certain moment à leurs mains expertes pour équiper le chevalier.

S'admirant, il posa son heaume sur la table. Son page amena alors un tabard coloré et richement agencé. En plus des armoiries familiales qui étaient brodées sur ce tissus il y avait également les différents tournois où Pierre avait eu l'honneur de concourir. Jusqu'à présent, il n'avait jamais eu la chance d'être dans le dernier carré des compétitions auxquelles il avait participé, cependant il s'était entraîné durement depuis plusieurs mois et espérait voir ses efforts être couronnés de succès. Il mit alors son tabard, son heaume et se dirigea à la sortie de la tente. Les cors de la lice qui s'étaient apaisés durant l'heure du repas avaient repris de plus belle. Le son de la population et de l'orchestre arrivait jusqu'à lui. Marchant vers son cheval, il sentit ses mains trembler. Tout en continuant sa route, il essayait de se concentrer pour réprimer ses réactions. Cheminant depuis quelques minutes déjà, il put enfin apercevoir sa monture. Équipée aussi richement que lui, elle avait fière allure et son père n'avait pas lésiné sur les moyens quant aux ornements du cheval.

Le jeune homme se hissa avec de l'aide sur sa monture. Pierre pouvait maintenant partir et aller à la lice. Un homme portant l'étendard des Ambroises ouvrait la marche et les membres de la maison l'acclamaient en chemin. Progressant à travers la forêt de tentes, il entrait comme son frère ce matin par la porte nord. Pierre était le dernier éligible au tournoi pour sa famille et n'avait pas le droit à l'erreur. Le héraut royal annonça la venue des deux concurrents et une clameur se fit entendre dans toute la lice. Les phases éliminatoires de ce matin étant passées, les spectateurs avaient afflué en nombre encore plus grand et les gradins étaient bondés.

L'ambiance était survoltée. S'arrêtant à la porte en attendant son tour, Pierre vit son opposant entrer en scène en premier et saluer la foule. le jeune homme respirait de plus en plus fort dans son armure et attendait son moment. Il entendit alors son nom et, au son des cors, éperonna sa monture pour pénétrer dans l'arène. Les gens l'acclamaient en grand nombre et l'orchestre présent se faisait entendre puissamment. Pierre savourait ce moment tout en faisant le tour de l'arène en saluant la foule. Ayant procédé comme il se devait, le jeune seigneur se mit alors à côté de son opposant et ils saluèrent tous deux la famille royale.

Son adversaire se nommait Hubert Montanie. Ses armoiries familiales arboraient deux clefs croisées sur un front tranché de bleu et blanc. Saluant la reine, Hubert approcha sa lance le plus possible de la tribune noble et une femme de haute naissance accrocha un ruban autour de celle-ci. C'était au tour de Pierre. Ayant complètement oublié cette partie du protocole avec le stress, scruta les alentours à la recherche d'une quelconque connaissance. Balayant la tribune noble du regard, il aperçut alors la jeune Adela Cresso. De trois ans sa cadette, elle était le seul faciès qu'il connaissait. Il l'avait rencontrée lors d'une fête entre leurs deux familles. Originaire du nord tout comme lui, ils avaient eu l'occasion de se parler sommairement. Cultivée et gentille, elle lui avait fait bonne impression. Prenant son courage à deux mains, Pierre se dirigea à son tour vers la tribune noble. Priant pour avoir fait le bon choix, il tendit sa lance à la jeune Adela pour qu'elle lui donne sa bénédiction.

À sa surprise, damoiselle Adela le gratifia d'un sourire et noua son ruban autour de la lance du chevalier. Surpris qu'elle lui accorde ses honneurs, Pierre releva son arme, salua la tribune d'un signe de tête et retourna de son côté.

Le héraut royal annonça alors le début du tournoi de l'après-midi. Eudric, par sa prouesse de ce matin, avait permis à son frère d'être bien classé. S'il gagnait, le jeune homme était sûr de participer au dernier carré. L'un des hommes de Pierre lui tendit alors son écu et l'attacha fermement. Le stress de Pierre était à son comble. Sa concentration était telle qu'il arrivait à faire abstraction du bruit de la lice. Ainsi équipé, il s'avança vers la barrière centrale. Le monde autour de lui était en suspens, sa respiration résonnait dans son heaume et sa transpiration se faisait déjà abondante. Pierre se concentra, fit le vide autour de lui en attendant le départ.

L'esprit de Pierre fut comme pris dans un silence anormal. Le jeune homme fut réceptif et vit les drapeaux des juges s'abaisser. Éperonnant avec force sa monture, il s'élança sur le terrain. Son cheval, fière bête issue du nord, soulevait des gerbes de sable à chaque coup de sabot sur le sol. Pierre, qui était plaqué contre sa selle par la vitesse, présentait son écu fermement à l'adversaire. Un vieux maître d'armes qu'il avait engagé lui avait présenté des astuces peu connues de la joute. Se rappelant ses leçons, le jeune homme se redressa énergiquement sur sa selle et se posta vers l'avant du cheval comme on lui avait appris. Avant que les deux cavaliers n'entrent en contact, le jeune seigneur avança quelque peu sa lance et grappilla de la distance. Son arme vint se figer en plein dans l'écu et le changement qu'il avait opéré lui permit d'esquiver la lance adverse. La sienne, qui avait explosé à l'impact laissa Hubert avec une marque déjà visible. Pierre avait marqué les spectateurs et son adversaire. La foule en liesse saluait le coup porté. Il se dirigea alors au trot de son côté.

Camouflé dans son heaume, Pierre laissa sortir un souffle de répit. Son petit tour avait fonctionné, cependant son adversaire ne se laisserait pas avoir deux fois. L'un des hommes de Pierre lui tendit une nouvelle lance et il se remit en position. Voyant les deux chevaliers prêts, le juge baissa son drapeau et les cavaliers repartirent de plus belle. Pierre fondant droit sur Hubert, il n'eut donc que peu de temps pour réfléchir à son prochain coup. Son adversaire devait s'attendre à voir Pierre répéter son action. Il choisit donc de rentrer dans le jeu de son concurant et retenta la même botte qu'il avait sortie auparavant.

Cependant, il s'agrippa fermement à sa selle et serra son écu. Les deux lances atteignirent leurs cibles et les combattants furent projetés en arrière de leur selle. Pierre priait pour qu'Hubert le crût assez sot de répéter cette technique indéfiniment. Il s'était sacrifié lors de cette seconde passe et son épaule gauche brûlait de douleurs. Serrant les dents, Pierre se mit à nouveau en position pour la troisième passe. S'élançant à nouveau, l'héritier d'Ambroise ne changea pas sa posture jusqu'à l'approche de son adversaire. Se jugeant assez près de lui, le jeune homme puisa dans ses réserves d'énergie pour basculer en arrière de son côté droit et la lance d'Hubert égratigna l'écu de Pierre au passage. La lance de ce dernier, quant à elle, vient se figer à droite de l'écu du chevaliers adverse. Celui-ci subit alors l'impact dans son intégralité.

Hubert fut arraché de sa selle et vint s'écraser dans le sable. La foule hystérique applaudissait le fait d'armes de Pierre. Encore choqué par la dernière passe, il ne se fit pas prier pour jeter le restant de sa lance avant de saluer la foule victorieusement. Des servants royaux avaient accouru jusqu'à Hubert qui tentait de se remettre debout, mais vacillant, il se fit porter jusqu'à la sortie. Pierre qui défit quant à lui son écu put alors être assez libre pour dénouer son heaume. Il le tendit en l'air et la foule l'aclama de plus belle. Son plan avait parfaitement marché. Arpentant ainsi la piste, il prit le temps de saluer dame Adela qui lui rendit la politesse. Il quitta triomphalement la place de joute et retournait à sa tente pour quitter son armure qui devenait de plus en plus lourde.

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