Chapitre 12: Le dernier voyage d'un roi

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Pierre d’Ambroise, Intérieur du Temple Sainte Sophie, centre-ville de Fressons

Les bruits de la célébration emplissaient le Temple, la partition entonnée par l’orgue retentissait dans la tête de Pierre comme si le Créateur sonnait le tocsin en personne. Il était assis sur les bancs de la nef centrale et se frottait la tempe avec insistance. Le coup qu’il avait reçu durant son dernier affrontement avait laissé des traces sur lui au niveau physique mais pas seulement. Son égo, qui avait grimpé en flèche durant le tournoi au fur et à mesure de ses victoires, s’était vu coupé net dans son élan. Après sa défaite il n’avait plus aucun souvenir. Il avait été plongé dans le vide, dans un repos plus que forcé.

Ayant refait surface seulement quelques heures auparavant, la messe qui était alors célébrée paraissait plus une torture qu’autre chose à ses yeux. Il se consola tout de même, il n'était pas censé participer au tournoi de toute façon, finir dans le dernier carré l'avait sûrement fait remarquer parmi les grands du royaume et ça, personne ne pouvait le lui enlever. Après un moment interminable, l’orgue fit enfin silence et Pierre put reprendre pleine possession de ses idées. Assis à l'extrémité du banc où se tenait sa famille, il bordait le passage central qui s'étendait sous l’imposante nef. Une longue procession avait entrepris le chemin dans des chants religieux d’une grande ferveur. L'Eidhöle de Fressons guidait en personne la colonne. Il était suivi d’une file interminable de prêtres et autres enfants de la foi. Le vieil homme avançait grâce à un sceptre surmonté par l’insigne des Sauveurs. Un nuage de fumée, issu des encensoirs portés par les prêtres, suivait l'Eidhöle .

En voyant le cortège cheminer progressivement vers lui, Pierre prit le temps d'apprécier l’architecture travaillée des lieux. Loin au nord il n’avait pas la chance d’observer de tels bâtiments. Le style de la capitale était épuré et simple, comparable à ses habitants. Ici, à Fressons, le style gothique prenait tout son sens. Après de nombreux jours passés dans la ville, Pierre commençait à s'acclimater à de telles oeuvres architecturales.

Le Temple était presque plein à craquer. Les familles nobles qui avaient fait le déplacement avaient pris d'assaut les bancs de la salle. Bourgeois, badauds et autres petites gens qui avaient eu la chance d'accéder à l'intérieur se massaient sur les extrémités et inondaient les travées bordant la nef centrale. La cérémonie du jour avait une connotation spéciale, en plus de clôturer le tournoi royal, elle commémorait la perte du roi, mort depuis peu. Pierre et sa famille, qui s’étaient présentés pourtant à l’avance, avaient dû jouer des coudes pour accéder au Temple. Une foule compacte s'attroupait sur la place de celle-ci. Les gardes de Fressons avaient eu fort à faire pour maintenir l’ordre, jouant quant à eux des poings à quelques rares occasions. La foule étant en ébullition, les gardes de la ville présents étaient dépassés, l’ordre fut uniquement maintenu grâce à l’action des gardes personnels de l'Eidhöle.

C’est d'ailleurs la présence de ces mêmes gardes à l'intérieur du Temple qui interpellait Pierre. Dans un lieu consacré d’une telle importance, aucun homme armé ne pouvait rentrer et pourtant Pierre distinguait des armes sous les longues capes pourpres des soldats de l'Eidhöle. La mort du roi avait dû jeter un certain désordre pour que de telles mesures soient prises. Ordinairement aucune troupe en armes n’aurait pu approcher la famille royale et encore moins dans leur propre Temple.

Pierre fut détourné de ses songes quand la procession des prêtres atteignit enfin le choeur du saint batiment. Tel un puits de pureté, la lumière s’y déversait en traversant les vitraux richement ouvragés de l'édifice. Ceux-ci, travaillés avec soin, reflétaient l’histoire des grands du royaume ainsi que du rôle de la foi des Trois dans celui-ci. Pierre pouvait se remémorer les légendes contées par sa mère le soir et avoir une image représentative des héros de son enfance. C'était une pensée réconfortante. L'Eidhöle et ses confrères, enfin arrivés devant l’autel, allèrent tous à une place définie pour jouer leur rôle dans la consécration qui s'apprêtait à débuter. Britius vêtu de pourpre posa son sceptre tout en appliquant le signe des Sauveurs en direction du vitrail central. Bientôt suivis de ses pères, les choristes présents entonnèrent les chants sacrés. Les prêtres qui possédaient des encensoirs naviguaient dans les travées de bancs en saluant les ouailles ainsi que les croyants de passage.

Quand le chant des choristes s’estompa, les cloches du Temple se firent entendre, l’assemblée au grand complet s’agenouilla. Dans un raclement de gorge audible, l'Eidhöle s'avança face à l'assemblée et prononça les bénédicités des Sauveurs. Psalmodiant dans la langue de l'Eclésiarchie, de nombreux bourgeois et roturiers ne comprenaient pas un traître mot mais prièrent de concert avec les nobles de la salle. Quand l'Eidhöle finit son psaume, des enfants de chœur firent sonner des cloches et toute l’assemblée se leva. Les imposantes portes du Temple s’ouvrirent et une nouvelle file fit son apparition à l’entrée. Des hommes en armures portaient le cercueil du roi tandis que des chevaliers arboraient son écu et ses armes à l’avant de la procession. Tous étaient de hauts nobles du royaume proches du roi, cela leur conférait le grand honneur d'accompagner une dernière fois leur suzerain.

Les émotions ne se firent pas attendre et, au passage du cercueil, des femmes pleurèrent la mort de leur roi et les seigneurs recommandaient son âme aux Sauveurs. L’orgue, comme pour ajouter une touche plus solennelle à la venue du cercueil, se fit à nouveau entendre dans un refrain bien triste. Après avoir traversé la longue file de bancs dans la nef, la dépouille finit sa course au coeur du Temple où l’attendait encore l'Eidhöle. Celui-ci appela ses confrères pour sanctifier le cercueil et la royale dépouille. Les prêtres qui entouraient à présent le cercueil entonnèrent des chants de lamentations pour assister une dernière fois à la présence du roi dans ce monde. Les chevaliers qui avaient amené la dépouille s'étaient écartés et se tenaient à présent sous les colonnes du coeur. Tous se tenaient stoïquement répartis en cercle autour du choeur du Temple, telles des statues. Les chants liturgiques qui n’avaient pas cessé depuis leur arrivée furent amplifiés par l'Eidhöle et ses confrères. Leurs voix commencèrent bientôt à couvrir celles des jeunes choristes.

Pierre eut une pensée particulière pour ce vieux Corbius, il aurait adoré assister à une telle cérémonie. Au nord, les messes étaient plutôt courtes et moins enjolivées. Pierre se rappelait les écrits que Corbius lui imposait. Passionné, l’homme pouvait passer d’un récit décrivant la messe durant l’époque du bas Empire aux aventures chevaleresques de Roland durant la grande guerre. L'absence du Prieur Corbius pesait déjà sur Pierre qui trouvait l’excursion à la capitale plutôt rébarbative. Son regard se perdit dans le flot continu d’activités qui occupaient le Temple, il laissait son esprit vagabonder sur des sujets bien moins intéressants que l'événement qui se déroulait. Son père Durand, assis à sa droite, avait remarqué l'ennui de son fils et le lui fit comprendre d’un coup de coude. Rechignant face à la surprise de la réprimande, Pierre souffla et regarda les prêtres finir leur office sur la sainte dépouille.

La douleur lancinante à la tête de Pierre s’était calmée depuis un petit moment et il put sans autre inconfort finir la cérémonie. Les bancs de Temple bondés regorgeaient des nobles du royaume aussi bien nordistes que sudistes. Parmi les broderies chamarrées qu’arboraient ces familles de haute noblesse, Pierre percevait les armoiries des familles de tout le Corvin. Se laissant sourire, il repera celles de ses adversaires du tournoi. Son regard balayant la foule s'arrêta net en voyant son ami Charles à l’autre bout du Temple. Il devait passer un moment long, lui aussi. Les chants des prêtres cessèrent peu à peu et deux jeunes enfants de choeur approchèrent du corps royal avec une longue bannière représentant les armoiries du Corvin. Ils y déposèrent délicatement le drapeau et s'éclipsèrent. Les cloches retentirent à nouveau et le calme qui régnait dans l'église s'estompa peu à peu.

Les gens qui peuplaient les lieux se dirigèrent progressivement vers la grande porte au fur et à mesure de son ouverture. Telle une rivière suivant son cours d’eau, la foule présente dans le Temple se dirigeait vers l’entrée pour quitter les lieux. La foule qui suivait les passages entre les bancs se massait dans l’allée centrale et, dans un flux continu, se déversait à l’entrée sur la place du parvis de l'église. Pierre, qui suivait ses parents dans ce flot de personnes, respira enfin quand il atteignit la sortie. L’air du Temple s’était vicié avec l’important nombre d’occupants et l'encens utilisé sans modération. L'ambiance sur la place du parvis était moins solennelle que dans le lieu saint. Un brouhaha y régnait. Les gens de tous horizons parlaient des nouvelles et du banquet royal qui allait bientôt se tenir. Pierre s'arrêta avec eux sur la gauche du Temple. Son père avait salué celui de Charles et tous deux parlaient bruyamment tels deux camarades qui ne s'étaient pas vus depuis un certain temps. Leurs femmes respectives, quant à elles, parlaient discrètement contrairement à leurs époux. Pierre, qui observait la scène, ne put rater son ami Charles qui s'avança vers lui, souriant comme à son habitude.

Charles, grimaçant, donna un léger coup dans l'épaule de Pierre qui sentit alors son bleu dû au tournoi.

— Voyons tu sais bien qu’avec Corbius, nous sommes aguerris face à de telles épreuves. En tous cas, je suis content que tu sois là j’ai pensé au pire quand je t’ai vu à la fin du tournoi, tu as été étalé et pas qu'un peu, fini de dire Charles.

— Écoute, si j’avais pu éviter cela, je l’aurais bien fait, continua Pierre en rigolant. Mais bon, il semblerait que ce maudit Vistel soit bien coriace, je ne m’y attendais pas.

— Tu as surtout été imprudent ; dit Charles en accompagnant son ami.

Tous deux suivirent leurs familles qui quittaient les lieux non sans jouer des coudes pour se frayer un passage.

Les mots de Charles résonnaient encore en Pierre. Il avait été imprudent dans son dernier combat et cela lui avait coûté la victoire et les honneurs qui s'ensuivaient. Un duel de tournoi était une chose mais si cela avait été en combat il serait à présent mort. Les temps étant plus qu'incertains, Pierre savait qu’il devrait combattre bientôt et il ne pouvait courir le risque de refaire une telle erreur. Sortant de ses idées, le jeune seigneur sourit naïvement en marchant. Il se trouvait à la capitale et allait assister à un banquet comme le royaume n'en avait connu que très peu. Marchant à côté de son meilleur ami, il se réjouissait du temps qu’il allait encore passer dans cette ville et ne se ferait pas prier pour en profiter. En cours de route il se prit à observer le ciel.

Le temps tournerait bien vite du joyeux tournoi aux troubles belliqueux.

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