Chapitre 17: Le prix d’une vie

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Pierre d’Ambroise, abri de Lise

Pierre s'éveillait paisiblement. Malgré les récents événements, il avait plutôt bien dormi.

Il enleva la cape qui lui servait de drap, puis se redressa péniblement Se mettant debout comme il pouvait, il sentit chaque blessure de son corps meurtri. Outre les bleus et fractures qu’il s’était faits, la blessure d'arbalète était celle qui lui pesait le plus. Il se mouvait avec difficulté lorsqu'il se dirigea vers un bol contenant de l’eau. Mis à part le bandage qui lui couvrait le dos, il était torse nu et quand il croisa son reflet, celui-ci lui renvoyait l'image d'un inconnu. Son visage fatigué arborait une légère pilosité.

Par les trois, combien de temps avait-il été inconscient ?

Il comprit que cela devait faire trop. Le jour était déjà bien entamé et les rayons de soleil perçaient l'épais toit en feuilles de l'abri. Se tournant face à la salle, il chercha du regard le reste de ses habits. Observant les lieux, son regard se posa sur un veston bleu et une chemise blanche. Il s'approcha de ses affaires et il eut une pensée sombre. Depuis la nuit de sa fuite, sa veste et ses armoiries étaient ses seules possessions. Comment un fils de la maison d’Ambroise avait-il pu s'égarer à ce point. Il souriait en pensant au récit héroïque de ses ancêtres que lui contait son précepteur Corbius. Il toucha le tissu bleu de sa veste. Il put apercevoir l'emblème familial. Il tenait à présent son habit entre ses mains et pouvait voir la trace laissée par le carreau d’arbalète et le sang incrusté dans les fibres. Bien qu’abîmé et tâché, Pierre pouvait se rendre compte des efforts de lavage de son hôte.

Parmi toutes les choses qui auraient pu lui arriver, jamais il n’aurait pensé être sauvé par une sorcière. Selon Corbius, elles renfermaient toutes le mal, qu’elles en soient conscientes ou non. Elles avaient affronté les Sauveurs aux côtés du Créateur et étaient ainsi damnées pour leur choix. Hormis les écrits de la foi des Trois, Pierre n’avait jamais eu un second son de cloche à propos de ces “personnes” si tant est qu’elles le soient. Peut-être que, comme toutes choses de ce monde, les sorcières étaient plus compliquées, que les écrits ne contenaient qu’un fragment de la vérité. Grimaçant en tentant d’enfiler sa chemise, il essayait tant bien que mal de s'habiller. Après le stade douloureux d'enfiler sa chemise , il s’équipa ensuite de sa veste familiale mais à ce simple geste, il se demandait s'il lui restait une famille. Un poids lourd lui pesait à présent sur les épaules.

Chassant les idées noires de sa tête, il se dirigea vers la porte. Poussant le battant en osier, il s’aventura à l'extérieur. Le soleil, comme s'il lui était étranger, l’aveugla de tous ses feux. Ses yeux tentèrent de faire face à l'agression que Pierre leur imposait. Après un certain temps d’adaptation, le jeune seigneur put enfin prendre plaisir à regarder la nature environnante. L’abri était astucieusement caché dans le relief du terrain. Le toit de feuilles et de branches était comme une continuité au sol qu'il surplombait. La forêt environnante, bucolique, était un spectacle aux yeux de Pierre. Les oiseaux, piaillaient et le dominaient depuis les branches des arbres. Telle une assemblée le jugeant de leur hauteur, ils se faisaient entendre. Malgré cette effervescence de bruits et de couleurs, Pierre fut interpellé par un son plus particulier, plus pur. Le bruit de l’eau s'écoulant. Attiré par ce nouveau son, il se mit en marche lentement.

L’herbe et les feuilles sous les pieds de Pierre étaient comme un tapis le menant vers son but. Se mouvant avec le peu de finesse que lui permettaient ses blessures, il descendit sur ce qui s’apparentait à un chemin, qui ressemblait plus à une piste qu’une voie aménagée. Il se déplaçait jusqu'à atteindre une éclaircie dans l'épais bois de la forêt. Face à lui se tenait une rivière, un sinueux courant d’eau qui marquait la fin du bois. De son refuge depuis le dur réveil d'il y a peu.

S'approchant de la rive, il prit le temps de s’agenouiller. Il regarda son image dans l’eau limpide et il tentait de se reconnaître. Pierre plongea une main dans l’eau, il sentit le froid l’envahir et se rappela des sensations récentes par lesquelles il était passé. Il laissa aller son regard sur la surface puis regardait l'eau passer. Comme si ses songes pouvaient être eux aussi emportés, il observait des branches et autres impuretés tractées par le courant. Pensif, il était immobile sur la rive. Il entendait et ressentait la forêt, la rivière et les pas qui s’approchaient. Détournant les yeux, il regarda le chemin par lequel il était venu. Lise, telle une vision, avait fait son apparition, elle s’approchait de lui. Respectueuse du calme dans lequel le jeune seigneur s’était plongé, elle regardait la surface de l’eau avec lui.

— Tu te sens capable de bouger normalement on dirait, dit-elle d’un air amical.

— Presque. Normalement n’est pas le mot que j’utiliserais.

Lise s'assit alors à côté de Pierre à distance de la rivière. La voyant faire, le jeune homme, qui était agenouillé depuis son arrivée fit de même.

— D'ailleurs, depuis combien de temps suis-je ici ? dit Pierre en rassemblant son courage.

— Je dirais au moins deux bonnes semaines, répondit-elle en le regardant.

Mais voyant le regard triste de son invité, elle continua son récit. De sa découverte lors d'un soir ou elle ne trouvait poins le sommeil. Comme par un coup du sort ou simplement par chance elle s'en était allée se promener vers la rivière. La lune, haute dans le ciel, éclairait son chemin. Voulant trouver une certaine sérénité en regardant le passage de l'eau, elle fut étonnée par le spectacle qui s’offrit à elle. La rivière, cette nuit-là, n'avait pas tracté que des branches. Des corps, de nombreux corps flottaient sur la surface et Lise observa, impuissante, ce macabre spectacle.

Pierre, qui avait écouté avec attention depuis le début, se risqua à parler.

— Spectatrice, car tu… ne pouvais pas t’approcher du courant?

— Oui, reprit-t-elle. Malgré les pamphlets d'idioties que les gens ont pondus sur les Maïgans, les sorcières, certaines choses sont bien vraies. Je ne peux traverser ou toucher un courant d’eau.

— Mais pourquoi m’avoir aidé ? continua Pierre avec un regard lourd de tristesse.

— À vrai dire, je n’ai pas dû faire beaucoup d’efforts pour te trouver. Ton corps, qui suivait le cours d’eau comme les autres, s’est approché de la rive et s'y est échoué en quelque sorte. Je dois bien avouer que je me suis demandé quoi faire à ce moment-là. Je me suis donc approchée. Et bien que je n'avais que peu d’espoir sur ta survie dans ces eaux glaciales, je t’ai tiré jusqu'à ce que tu sois entièrement sorti. Tu avais un carreau d'arbalète qui dépassait de ton dos et je ne pouvais pas te retourner. Je me suis approchée de ton visage, mais ne me faisant pas de faux espoirs, je me suis contentée d'écouter ta respiration. Ton souffle était presque absent. Je t’ai donc porté comme je pouvais. Pour quelqu'un de jeune, je dois bien dire que tu pèses déjà un bon poids, dit-elle en rigolant, bientôt suivie de Pierre. Après le calvaire que tu m'as imposé pour remonter ton corps jusqu'à l'abri, j’ai rassemblé ce que je pouvais de baumes et onguents et j’ai commencé à te soigner, dit-elle avant de faire une pause dans son récit. Je t’ai soigné du mieux que j'ai pu mais tu étais gravement blessé et ce qui m'a donné le plus de soucis était le projectile coincé dans ton dos.

— Pour tout t’avouer, je dois dire que je sens presque encore sa présence.

— Et malheureusement je pense que cela durera, j’ai retiré le carreau sans trop de soucis mais la blessure dans ton corps est profonde. Après t’avoir rapiécé comme je le pus, je t’ai installé dans un coin de l’abri et tu as passé la semaine suivante à délirer et à te rapprocher toujours plus de la mort.

— Ça, je crois en avoir eu conscience, dit Pierre en réfléchissant aux récits qui lui étaient faits.

— Conscient ou non, tu as baissé les bras à un moment et tu as failli rejoindre tes “Sauveurs”.

— J’ai peut-être baissé les bras à un moment, mais, dit-il en montrant son bras, tu as usé de ta magie pour me retenir, je me trompe ?

— Oui, dit Lise sans plus de cérémoniel. Si je n’avais pas agi, tu serais mort. M’en veux-tu pour ça ?

Comme unique réponse Lise n'eut que le silence du jeune seigneure tirailler entre le réel et ses convictions.

— Ne t’en fais pas, je n’ai pas utilisé la magie obscure du Créateur. J’ai juste... usé de mes pouvoirs pour te lier à ce monde.

— Lier à ce monde ou à toi. En as-tu profité pour me jouer un tour ? reprit Pierre en se levant.

Pour lui tenir tête, Lise se leva face à lui.

— Tu aurais peut-être mérité de mourir si ce sont là tes remerciements, commença Lise en saisissant le bras de Pierre. Cette marque t’a permis de rester dans ce monde. Nul maléfice à cela, tu es juste lié à moi à présent car c’était le seul moyen. Comme j’ai été liée à toi quand je t’ai tiré de la rivière. Le destin joue bien des tours mais tu devrais être content, je ne suis pas une sorcière mauvaise quoique tu puisses en penser. Je ne fais appel à mes pouvoirs que pour aider.

Lâchant le bras de Pierre, elle s'éloigna.

— De toute manière vous êtes tous pareils, les nobles : vous jugez les gens avant même de leur laisser une chance de prouver qui ils sont.

Voulant répondre, Pierre ne put que regarder Lise s'éloigner.

Il avait peut-être été trop dur mais comment une personne comme lui pouvait s’approcher de la magie sans éprouver de doutes. Il avait été élevé selon les saints écrits... Mais il devait finir cette discussion et s’excuser. Il avait blessé son hôte sans le vouloir et sans pour autant s’en rendre compte, on ne l’avait pourtant pas élevé comme ça.

Après avoir pris le temps d'intérioriser ce que Lise lui avait dit, Pierre se décida à la rejoindre pour finir la discussion et lui montrer que lui aussi, il n’était pas le noble détestable qu’elle se figurait. Rebroussant chemin jusqu'à l'abri, il s’engouffra à l'intérieur par la porte d’osier. Il découvrit la sorcière occupée à préparer des affaires près du feu.

S’approchant d’elle, il s'accouda contre l'arbre porteur de l’abri et entama la discussion.

— Écoute, j’ai peut-être été maladroit dans mes paroles. Je ne voulais en rien te juger ou te manquer de respect. Je ne te remercierai jamais assez pour m'avoir sauvé.

— Ne t’en fais pas, je vais te laisser à tes soucis de nobles. Je dois m’en aller, j’ai des “affaires” en cours qui m’attendent, dit Lise en préparant un sac de manière machinale.

— Alors tu comptes disparaître comme tu es apparue, à travers la nuit ?

Se retournant et s’approchant de Pierre, Lise le regarda dans les yeux.

— Je ne “disparais” pas, je devais partir vers le sud depuis un moment et ta présence ne m’a que retardée.

— Et pour quelle raison? reprit Pierre d’un ton amical.

— Que je le veuille ou non, j’ai de la famille, ils s'attendent à mon retour. Contrairement à moi, ils ne sont pas aussi amicaux avec les personnes ordinaires comme toi.

— Alors ce n’est pas par plaisir que tu y vas, je me trompe?

— Non tu as… raison.

— Alors, pourquoi y aller?

— Car je n’ai pas le choix. Tu es bien lié par le sang à ta famille et tu dois les servir. C’est ce que font les nobles non?

— En quelque sorte mais..

— Et bien moi, reprit Lise, je suis contrainte comme toi. Je suis liée a mon clan, finit-elle d’un air triste.

— Mais tu as dit que nous étions liés aussi, non ?

— Oui ! mais ce n'est pas pareil, tu es lié à moi, pas l’inverse et…

— Et je vais te montrer que je ne suis pas “un noble” mauvais, de toutes façons je dois faire route vers le sud pour m'éloigner du Haut Corvin et de la capitale. Alors pourquoi ne pas t'accompagner après tout?

Souriante, enfin, Lise continua.

— Ta présence ne devrait pas trop me peser. je pense. On dira que c'est le prix de mes soins, messire, finit-elle en feintant une révérence.

— Oui on pourra dire ça, conclut Pierre avant de raisonner avec lui même. Si c‘est le prix pour sa vie, elle vaut bien de voyager avec une sorcière.

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