Chapitre 19: La route royale

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Pierre d’Ambroise, sur la grande route royale en direction du sud

Pierre et Lise avaient quitté l’abri depuis quelques jours, voyageant léger plus par obligation que par choix. La sorcière, qui avait récolté quelques affaires échouées sur le bord de la rivière bordant son ancienne demeure, avait déniché une épée qu'elle avait offert à Pierre. Les routes du royaume n’avaient jamais paru si dangereuses et, par les temps qui couraient, être armé n’était pas un luxe.

L’épée d’une grande simplicité n'arborait aucune décoration, mais Pierre jugeait qu’elle saurait tout à fait servir si le besoin s’en faisait sentir. Le temps n’avait pas été clément depuis leur départ. Tous deux s’étaient emmitouflés dans de longues capes et bravaient l’averse qui s'était de plus en plus agravée. La pluie tombait drue sur la région, une brume couvrait les longues étendues autrefois verdoyantes. Elles cachaient le malheur qui s'y trouvait. Marchands, voyageurs et gens du cru avaient quitté les routes boueuses en quête d'un refuge.

Le voyage aurait pu être un bon moyen de parler et de faire plus ample connaissance, mais il n’en fut rien. Tous deux avançaient silencieusement la plupart du temps, et ce depuis trois jours déjà. Pierre qui broyait du noir pensait aux évènements récents et l’aspect sinistre du royaume n’arrangeait rien à à son humeur. Lise, qui semblait être une personne intelligente, ne voulait pas le déranger le voyant en prise avec ses songes. Que pouvait-il penser d'elle maintenant qu'il connaissait sa vraie nature. Lui laissant le temps nécessaire, elle attendait le moment où il lui parlerait.

Ils cheminaient sur la route royale, principal axe pour qui traversait le royaume, Pierre avait déjà arpenté ces chemins mais jamais il n’était parti en direction du sud. Cette route d’ordinaire fourmillante était fantomatique. Les quelques voyageurs que les deux jeunes gens croisaient détournaient le regard et préféraient se hâter. Les villages qu’ils avaient aperçus n'avaient plus fière allure. Un voile triste s’était abattu sur le royaume, créant une ambiance annonciatrice de malheur. Le sentiment ambiant avait quelque chose de malsain. Il se tramait des choses sombres et le royaume entier pouvait le sentir.

Marchant silencieusement, Lise, qui regardait Pierre depuis un moment, décida finalement d’engager la conversation. Partis comme ils étaient, le jeune seigneur allait rester refermé sur lui-même durant le restant du chemin qu’ils allaient faire ensemble.

— Alors comme ça, tu as participé au tournoi royal ?

Ne pouvant se dérober à une question aussi simple, Pierre répondit.

— En effet, mais techniquement je n’ai pas commencé la compétition…

— Ha, donc un membre de ta famille avait été choisi à ta place, répondit Lise d’un ton sarcastique.

— On peut dire ça, dit Pierre soupirant. Mon jeune frère Eudric a commencé le tournoi, il a vaincu son adversaire mais a été blessé dans l’affaire. J’ai donc pris le relais pour représenter au mieux notre famille.

— Et donc, ton seigneur a décidé de t’utiliser à ce moment. Intelligent de t’avoir gardé dans sa manche.

— Mon père est, était, quelqu’un qui avait toujours deux coups d’avance mais je n'ai pas réussi à atteindre la finale en fin de compte.

Un silence avait pris place dans la discussion à la suite de l'annonce de Pierre, Lise continua toutefois :

— Après t’avoir trouvé sur la rive, je t’ai soigné pendant un moment. Le spectacle de la rivière cette nuit-là était choquant et depuis il tourne dans mon ésprit. De passage dans un village pour vendre des baumes et onguents, j’ai demandé les nouvelles du royaume. On m'a... expliqué ce qui s'était passé à la capitale. Si je déduis, bien ta famille soutenait le camp qui a été attaqué, c’est ça ?

— Mon père gardait pour lui ses choix en matière de politique. J’ai appris durement ses décisions lorsque des hommes du cousin de la reine ont tenter de me tuer. Ils préparaient leur coup depuis longtemps à n’en point douter. Les hommes du “roi Leonard” ont attaqué lors du banquet, au moment où tout le monde était vulnérable.

— Je... devrais peut-être pas te le demander mais, ta famille, que lui est-il arrivé ?

Pierre, regardant devant lui avec tristesse, répondit avec sincérité à la question.

— Mes parents sont tous les deux morts. Mon frère s’était, par chance, absenté juste avant que Léonard de Corvinus ne lance son plan.

— S’il est plus amical que toi, j'espère sincèrement qu'il a survécu, fit-elle en souriant à l'héritier d’Ambroise.

Échangeant un sourire qui se mua en rire, il reprit.

— Tu sais pas mal de choses sur moi on dirait mais, toi, à part ton nom, je ne sais rien. Ne voudrais-tu pas m’en dire plus ?

— Te parler de “moi”, dit-elle en fronçant les sourcils. Il n’y a pas grand-chose à dire. Tu sais que je suis une sorcière apparemment. Tu dois avoir l’esprit très ouvert pour avoir accepté de voyager en ma compagnie. Ou être un vrai âne bâté.

— On partira sur un esprit ouvert, répondit Pierre. Non vraiment, en quoi consiste ton rôle de sorcière ? Tu as de la famille ?

— Avant de te répondre, laisse-moi te poser une question, que sais-tu sur les sorcières ?

— Je sais ce que l’Eclesiarchie des Sauveurs nous enseigne, commença-t-il en souriant. Les sorcières sont des créatures foncièrement mauvaises et servez le Créateur et ses obscurs desseins. Enfin, c'est ce que m'a raconté mon précepteur Corbius. À ceci près qu’il m'a toujours encouragé à garder l’esprit ouvert. Il avait l’habitude de dire que toute chose écrite n’est qu’une demi-vérité qui attend d'être remplacée par de nouvelles connaissances.

— Donc ton précepteur était un prêtre ?

— Oui, c'est un homme bon, j’espère le revoir un jour. Mais, maintenant, revenons à notre discussion. Parle-moi de toi.

— Bon, si tu insistes, je suis née sorcière. Ma mère devait l'être. Je ne les ai jamais connus, donc je ne pourrais pas le dire. Mes parents étaient membres du clan Dhysoris, je suppose qu’avec ton éducation tu dois connaître.

Faisant mine de réfléchir, Pierre sourit avant de répondre.

— C'est l’un des grands clans de sorcières de la région de Périfort.

— En effet, que sais-tu d’autre ?

— La région est connue sous le nom de "domaine des dames”. L’endroit est craint pour ses quatre clans de sorcières qui se partagent les terres avec animosité, juste?

Soupirant, Lise coupa Pierre pour reprendre les explications.

— Jusqu'ici, tu as raison, les quatre clans ou covens de sorcières sont les Dhysoris, Heks, Olicyn et Braasca. La région a toujours souffert de leur lutte. Les monarques du royaume ont toujours craint la région et à juste titre. Ils n’ont jamais cherché à la pacifier. Mais l’endroit est aujourd’hui à l'image du royaume. Il est plus dangereux qu’avant. Les clans de sorcières sont en pourparlers et quelque chose de louche se prépare. Tu peux me croire.

— Tu penses que ce que préparent les clans a un rapport avec les événements de la capitale ?

— Possible, je ne pourrais toutefois pas te l’affirmer.

— Si la région est autant dangereuse, pourquoi y retourner si tu avais réussi à partir ?

— Lorsque nous en avions parlé, je t’ai dit que je suis liée à ma famille et à mon clan. Mais si ce n’était que moi je ne serais pas venue. Ma grand-mère, une sorcière "bénévolante", m'a élevée loin des clans. Elle a toujours su me montrer la voie à suivre. Je sais qu’elle n'acceptera pas ce que préparent les clans et je dois la protéger, tu comprends.

— Les liens du sang sont forts. Je te comprends tout à fait. Tu as parlé avec elle récemment ?

— Non, et cela m'inquiète. Comme tu t’en doutes, nous autres avons divers moyens pour entrer en contact. Mais ma grand-mère n'a émis aucun signe depuis quelques mois. Cette situation me préoccupe .

— Je te comprends, le village où tu penses la retrouver se situe encore loin ?

— Non, on devrait y être avant la fin de journée si on continue comme ça, répondit-elle avec une expression changée.

Son sourire avait fait place à un visage sérieux.

— Normalement je devrais continuer directement jusqu’au Bas Corvin. Si tu le désires, tu pourrais m'accompagner.

Lisant le refus dans son regard, Pierre reprit.

— Dans tous les cas, je pense rester un jour ou deux dans le village où nous allons, le voyage se fait déjà long. Si tu souhaites me suivre après, jusqu'à Périssier. Je n’ai plus beaucoup d’argent, mais je te serai éternellement reconnaissant de m’avoir sauvé.

Sans plus de mots, Lise serra la mains de Pierre et tous deux cheminèrent à nouveau dans le silence. Cependant, le calme qui les avait pris fut vite brisé. Des voix étaient audibles plus loin sur la route. Ainsi que des rires.

S’approchant, Pierre et Lise tombèrent sur un spectacle qu’ils auraient évité avec joie. Trois hommes d’armes aux couleurs d’une des familles du Haut Corvin s'en prenaient à une femme. Un chariot maigre en fournitures gisait sur le bas-côté du chemin, la roue cassée, il avait répandu son contenu dans les hautes herbes avoisinantes. Un homme, sûrement propriétaire de l’engin, gisait quant à lui au sol, inerte.

Les trois combattants présents semblaient prendre plaisir à tourmenter la jeune personne qui tentait de les repousser. Riant d’un air mauvais, ils la poussèrent à terre. L’un d'eux regarda en arrière et aperçut aperçut les deux arrivants.

— Ha, d’autres vagabonds, on dirait que la route royale en regorge aujourd’hui, commença-t-il d’un air menaçant.

L’un de ses deux camarades le rejoignit tandis que le troisième maintenait la femme au sol.

— J’espère que vous n'êtes pas sudistes et que vous avez de quoi payer la taxe, cette partie de route appartient au seigneur Estilet. Avec la guerre qui se profile, il faut bien trouver de l’argent pour la financer...

— En plus, reprit son camarade, si vous vous dirigez dans cette direction, vous allez au Bas Corvin. J'espère pour vous que vous ne comptez pas rejoindre cette région de traîtres ?

Le premier homme qui osa s'approcher assez proche de Lise, s'adressa à elle.

— Pourquoi vous cacher sous ces capes ? Montrer vos têtes ! Dit-il en tentant de lui tirer sa capuche.

Un froid soudain prit Pierre, le soldat découvrant la tête de Lise s'arrêtant en la fixant dans les yeux. La pièce d’armure de son bras fut soudain écrasée par une force invisible. S'écroulant à terre, il lâcha son épée. Son camarade abasourdi réagit instinctivement et attaqua avec sa masse. Pierre, dégaina son épée, dévia son attaque et donna à son adversaire un coup de pommeau sur la tempe. L’homme chancelant tenta à nouveau d’attaquer Pierre. Mais, esquivant facilement, il lui transperça le ventre de sa lame.

Le dernier homme, lâchant son arme, s'éloigna de la femme qu’il avait malmenée. Lise s'avança alors vers lui.

Pierre, perplexe, vit l'homme tomber et s'éloigner en rampant. Il demandait pardon d’un air effrayé. D’un mouvement de la main, Lise prit l’arme que l’homme avait lâchée. Elle ferma le poing. La lame, soulevée en apesanteur et fila en direction du soldat . Elle se ficha dans son torse. La femme au sol, pleurant, prit les jambes a son cou. La sorcière fit un signe de tête à Pierre et il rengaina son arme avant de la rejoindre. Les hommes d’armes qui avaient dû les prendre pour des soutiens de la reine au vue de leur direction, n’avaient pas tardé à le passer au fil de leurs lames. Leur odieux acte fait, ils avaient alors tourmenté la femme avant que Pierre et Lise n’arrivent. Pierre avait pu voir l'étendue des pouvoirs de sa compagne de route. Perplexe, il ne savait qu'en penser. Elle était puissante, bien plus qu'il l'avait imaginé.

Qu'arriverait-il si Lise décidait d’utiliser ses pouvoirs pour faire du mal ? N'étais-ce pas ce qu'elle venait de faire ?

Pierre ne pouvait avoir totalement confiance en Lise, elle était dangereuse et elle venait de le lui montrer. Emportant sa question sur le chemin, il reprit sa route.

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